‘’Bajenu Gox’’, ces héroïnes locales !
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Après près de trois ans de travail, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et ses collaborateurs ont procédé, il y a quelques jours, à la restitution des résultats de l’enquête sur l’hésitation vaccinale à Niakhar et sur le rôle particulier joué par les ‘’Bajenu Gox’’ dans l’approche communautaire et la facilitation du contact avec les populations.
Situé à près de 120 km à l’est de Dakar, Niakhar est nichée en plein cœur du département de Fatick. Comme de nombreuses zones rurales, elle se distingue par ses habitats modestes loin du luxe de la capitale. Mais ici, un luxe demeure : l’implication des “Bajenu Gox” dans le lien entre les établissements sanitaires et la population. Elles sont choisies par la population elle-même pour les représenter et les accompagner.
Mise en place par le président Abdoulaye Wade en 2009 pour la promotion de la santé de la mère, de l’enfant et du nouveau-né, le programme “Bajenu Gox” continue d’avoir une importance capitale dans les zones rurales, malgré les avancées technologiques et la prolifération des moyens de communication. “Bajen” désigne en wolof la sœur du père. Celle-ci a un statut particulier au sein de la famille. Elle est à la fois conseillère et c'est elle que l’on consulte pour régler les problèmes. ‘’Gox’’ signifie quartier ou lieu où l’on habite.
Adjointe au maire de la commune, Fatou Faye est également ‘’Bajenu Gox’’ et elle en est très fière. Elle témoigne : “Depuis 2010, je suis ‘Bajenu Gox’. J’éprouve du plaisir à travailler pour ma communauté, parce que c’est du volontariat et c’est ce qui me plaît.”
“Les ‘Bajenu Gox’ préparent le terrain du personnel soignant”
Rencontrée au centre de santé de Niakhar, elle est venue assister à la restitution du projet Ecovacsen-HPV (étudier les comportements vaccinaux au Sénégal : le cas du vaccin contre le HPV). Ce projet a été coordonné par le docteur Cheikh Sokhna de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et Patrick Watel, directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Il a regroupé plus d’une dizaine d’enquêteurs issus de la zone de Niakhar. Il visait à réaliser une enquête sur l’hésitation vaccinale et les facteurs qui en étaient la cause. Plus de 300 soignants entre Niakhar et Dakar ont été interrogés.
Mais durant cette enquête, le rôle des ‘’Bajenu Gox’’ a été mis en avant. “Durant les entretiens avec les populations, nous avons fait face à une défiance de la part de ces dernières. Il a été remarqué que celles-ci accordent leur confiance que si la promotion est faite par l’intermédiaire de personnes familières”, explique Jean Constance de l’Observatoire régional de la santé à Marseille, auteur du recueil de photos “Sur la route des ‘Bajenu Gox’”.
Dans son ouvrage, Jean Constance a décidé de mettre en avant ces dames pour montrer leur rôle dans le lien entre le système de santé et la population. Durant l’étude dans la zone de Niakhar, les enquêteurs ont été assistés par les “Bajenu Gox” des communes rurales de Sob, de Ndox et de Toucar. “Les ‘Bajenu Gox’ sont souvent sollicitées pour des campagnes de sensibilisation auprès des populations. Elles préparent le terrain au personnel soignant pour faciliter son action”, raconte-t-il.
“Si tu es paresseuse, tu ne peux pas être ‘Bajenu Gox’”
Proches des populations et véritables relais communautaires, ces femmes travaillent avec les structures sanitaires, aident les femmes dans le suivi de leur traitement et dans le respect des rendez-vous. “On fait du porte-à-porte durant les campagnes de vaccination pour les enfants. On informe les femmes et les mamans, et on leur rappelle l’importance de se soumettre à ceci”, affirme Anna Kama, ‘’Bajen Gox’’ de la commune rurale de Sob. Elle fait aussi partie des modèles choisis et suivis par Jean Constance durant son reportage photo.
Âgée d’une soixantaine d’années, Mme Kama était au service de la population avant même la mise en place du programme ‘’Bajenu Gox’’. Depuis qu’elle évolue dans le milieu de la santé en 2004, Anna Kama est proche des femmes de son village. Le statut de ‘’Bajenu Gox’’ n’a fait que renforcer sa légitimité. Selon elle, leur travail nécessite énormément de patience, de disponibilité et une bonne capacité d’écoute. “Être ‘Bajenu Gox’, c’est beaucoup de travail. Si tu es paresseuse, tu ne peux pas l’être. Parce que tu dois souvent aller à la rencontre des populations, particulièrement des femmes’’, déclare Anna Kama.
Par Mamadou KANE