Publié le 1 Jan 2022 - 11:37
SCANDALE DES CTE, L’HECATOMBE DU VARIANT DELTA, CIMETIERES SUBMERGES

Une année de calamités 

 

Le variant Delta a pris ses marques cette année. Des morts, des cas sévères, des patients en réanimation ; tout ce cocktail dans des structures sans oxygène.  Des morts qui remplissent les cimetières.

 

Cette année 2021 a été meurtrière, avec une troisième vague de Covid-19 aussi foudroyante qu’inattendue. En effet, au sortir d’une deuxième vague de la pandémie un peu calme, le pays se relâcha, sous l’impulsion des politiques. Des rassemblements aux allures de démonstrations de force furent organisés. Même le ministre de la Santé oublia les gestes barrières, en enfilant son manteau d’homme politique. Les masques tombèrent, les bus se remplirent, les cérémonies familiales reprirent de plus belle.

Mais l’accalmie dura le temps d’une rose. La troisième vague fit une entrée fracassante, avec le variant Delta venu de l’Inde. Il toucha le pays de plein fouet. Des centaines de morts furent enregistrés, alors que la pandémie était jusque-là un peu ‘’clémente’’ avec le Sénégal.  

Pour couronner le tout, les centres de traitement épidémiologique (CTE) n’étaient plus fonctionnels, ayant été fermés pendant l’accalmie. Le Sénégal croyait avoir déjà vaincu la pandémie de Covid-19. Pire, on apprend que le matériel des CTE a été ‘’vendu’’ à des privés. Les révélations du Pr. Niang portent l’estocade à la tutelle.

Avant cela, des entités avaient alerté sur l’arrêt des CTE. Ce fut le cas de la plateforme Avenir Sénégal Bi Nu Begg. Elle invita le ministre de la Santé à s’expliquer publiquement sur les raisons de l’abandon prématuré des CTE, alors que la pandémie n’est pas finie.

A ces revendications, s’ajouta l’existence d’un système de pantouflage par lequel des médecins du public orientaient les malades vers les structures privées dont ils étaient propriétaires ou associés.

Le débat s’orienta aussi sur la fiabilité et la véracité des statistiques sur les contaminations, les tests, les décès qui ne semblaient pas refléter l’évolution quotidienne de la maladie dans la communauté.

Révélation du Pr. Niang, plainte de Diouf Sarr

Dans sa chronique du lundi 19 juillet, ‘’le Quotidien’’ remit le couvercle sur la vente du matériel du public aux structures sanitaires du privé. Le chroniqueur se demandait où se trouvent les centaines de lits d’hospitalisation, les dizaines de respirateurs artificiels et les unités de production d’oxygène acquis dans le Programme d’urgence de riposte contre le Covid-19. Au point qu’on en arrive à devoir en commander à nouveau dans l’urgence.

Ainsi, on apprend que les centres de traitement des épidémies (CTE) ont été démontés, alors que la pandémie n’est pas encore vaincue. Invité du ‘’Jury du dimanche’’ d’iRadio, le docteur Babacar Niang, le patron de Suma assistance et pionnier de la médecine privée, ne met pas de gants pour dénoncer ces pratiques en cours dans le pays. Ses révélations apportent des réponses aux questionnements du journal et de tous les Sénégalais. ‘’Du matériel du public est vendu aux structures sanitaires du privé. La maison de… (un grand entrepreneur) et d’autres revendeurs qui ont pignon sur rue te sortent tout le matériel que tu veux. Ce n’est pas normal. Tout ministre de la Santé qui vient, la première recommandation qu’on lui fait, c’est de ne pas soulever ce lièvre. On achète par des revendeurs qui sont agréés. Il y a d’autres même qu’on voit, ce sont des bricoleurs. Même eux, ils ont le formulaire. Pour les gants de protection, actuellement, si vous ne mettez pas 7 000 F CFA, vous n’avez pas une paire’’, déclare l’invité.

Le Dr Niang rame à contre-courant de la bien-pensance. Selon lui, au ministère de la Santé, quand vous commencez à travailler là-bas, il y a une caisse, et vous recevez votre part tous les mois. ‘’Ça part de là-bas. On te fait une commande de deux milliards de francs CFA, tu apportes 100 appareils, on t’en prend d10, on te rend les 90. Qu’est-ce que vous allez faire de ces 90 appareils ?’’.

Révélations pour révélations, le Dr Niang ajoute que la gestion de cette troisième vague a révélé que bien des choses que l’on pouvait considérer comme acquises n’existent que dans les discours et autres rapports officiels. 

Il est aussi question des arriérés de primes à payer aux personnels de santé qui sont accumulés. Il évoque également le fait qu’aucun service de réanimation n’est aux normes, dans la région de Dakar qui concentre plus de 86 % des malades de la pandémie.

D’ailleurs, en cette fin décembre, le chef de l’Etat a décidé de mettre fin à cette prime de motivation des agents de première ligne dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. 

Les accusations du Dr Niang sur la vente du matériel des CTE étaient graves. Au point que le ministre de la Santé et de l’Action sociale se sentit offensé. Diouf Sarr, en effet, saisit le procureur. Nous étions au mois d’août. Le Dr Niang fut convoqué par la Brigade des affaires générales de la Division des investigations criminelles (Dic), au lendemain de la plainte du ministre de la Santé. Qui saisit le procureur de la République pour ‘’propos diffamatoires de nature à porter le discrédit sur les efforts déployés dans le cadre de la lutte contre la pandémie au Sénégal’’.

Déficit d’oxygène

La troisième vague fut donc meurtrière. Les cas graves étonnèrent. La prise en charge devint une mission quasi-impossible, face au manque criant d’oxygène. Des citoyens, ayant perdu des parents, dénoncèrent des ruptures. Les autres plus nantis se tournèrent vers le privé où l’oxygène était vendu à plus de 900 000 F CFA, selon le Pr. Niang.

Une polémique naquit autour d’une panne de la centrale à oxygène du CTE de Fann. Des patients parlèrent de morts causées par cette panne.

Au même moment, Delta fit son apparition. Au Sénégal, le variant fit des ravages, étant à l'origine d'un grand nombre de contaminations et complications. Trente pour cent des infections à la Covid-19 enregistrées au Sénégal en juillet furent causées par le variant Delta (indien), selon le professeur Souleymane Mboup, Directeur de l’Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef).

Durant tout le mois de juillet, le Sénégal fait face à une explosion des cas liés à la propagation du variant Delta. À Dakar, le système de santé est sous forte tension, alors que tous les lits d'hôpitaux dédiés aux patients atteints de la Covid-19 sont occupés et que le personnel de santé est au bord de la rupture. Les services de réanimation sont saturés et accueillent des patients de plus en plus jeunes et non-vaccinés.

Les autorités, impuissantes face à cette propagation, renouent avec des mesures de restriction, notamment dans les transports publics, les mesures d’hygiène et surtout le confinement. Cette fois, c’est Dakar et Thiès qui sont concernées. Le ministre de la Santé suggère aux services publics et privés de privilégier le télétravail et de réduire le personnel dans les services.

Les experts sénégalais regroupés au sein du CNGE recommandent aux populations d'éviter tout rassemblement, de quelque nature que ce soit, d'éviter les déplacements et les voyages. Le Sénégal connaît sa troisième vague épidémique, avec un nombre de cas de contamination multiplié par dix, depuis le mois de juin.

 Les fakes-news autour du vaccin AstraZeneca font rage. La distribution des doses de Sinopharm est politisée et fait débat.

Les meurtriers mois de juillet et d’août

La Covid a fait 1 886 morts au Sénégal. Au mois de mars 2021, on était à 930 morts. Puis, le nombre a explosé, les mois qui ont suivi.

En effet, au 1er janvier 2021, le pays enregistrait 19 511 cas positifs dont 17 433 guéris, 416 décédés et donc 1 661 sous traitement. Au cours du mois, il y eut 7 787 nouveaux cas et 222 décès, portant le nombre de cas à 26 927 pour 638 décès. En février, il y a eu 7 593 nouveaux cas et 234 décès, portant le nombre de cas à 34 520 pour 872 décès. Au 9 mars 2021, le Sénégal cumulait 36 039 cas positifs dont 31 184 guéris, 930 décès et 3 924 encore sous traitement. Au 4 avril 2021, le nombre total de cas est passé à 38 953, pour 37 614 guérisons et 1 063 décès. Le taux de mortalité est alors de 2,73 %, celui de guérison de 96,56 % et celui de personnes encore malades de 0,71 %.

Au 20 avril 2021, le Sénégal enregistre officiellement 39 664 contaminations et 1 087 décès, depuis le début de la pandémie. En avril, il y a eu 1 562 nouveaux cas et 53 décès, portant le nombre de cas à 40 344 dont 1 107 décès. En mai, il y a eu 1 072 nouveaux cas et 32 décès, portant le nombre de cas à 41 416 dont 1 139 décès. En juin, il y avait 1 541 nouveaux cas et 27 décès, portant le nombre de cas à 42 957 dont 1 166 décès.

Le mois de juillet constitua un tournant, avec 19 333 nouveaux cas et 187 décès, portant le nombre de cas à 62 290 pour 1 353 décès. En août, il y eut un léger fléchissement pour le nombre de cas (10 515), mais le nombre de morts atteignit des sommets avec 412 décès, portant le nombre de cas à 72 805 pour 1 765 décès.

En septembre, le souffle tomba, avec 970 nouveaux cas et 93 décès, portant le nombre de cas à 73 775 dont 1 858 décès. En octobre, il y eut 142 nouveaux cas et 20 décès, portant le nombre de cas à 73 917 dont 1 878 décès. Le mois de novembre a enregistré 73 nouveaux cas et sept décès, portant le nombre de cas à 73 990 pour 1 885 décès.

Les ravages de Delta submergent des cimetières 

À Yoff, le plus grand cimetière de la capitale, des dizaines d’inhumations sont effectuées chaque jour.  Dans les cimetières chrétiens, le ressenti est le même. Cela fait dire que le décès dû au coronavirus est sous-estimé dans les bulletins quotidiens de la tutelle. Habib Sagna, responsable du cimetière Saint-Lazare, renseigne que les ravages de la Covid-19 se ressentent dans son travail. "Nous, en une semaine, on faisait six à sept enterrements. Actuellement, en une seule journée, on peut faire six à sept. Par rapport à la première vague, on ne l'a même pas senti ici. Avec tous les enterrements qu'on a faits ici, ceux qui sont Covid-19, on n'en avait même pas une dizaine. La deuxième vague, on en avait, mais pas tellement. Mais par rapport à cette troisième vague, on l'a subi de plein fouet’’.

C’est le même étonnement chez le gérant du cimetière de Pikine. ‘’Depuis que je suis ici, en 1993, on n'a jamais eu près de 20 enterrements dans la journée. La situation est alarmante. Il y a près de 14 enterrements par jour’’, confie-t-il.

Ainsi, près de 60 000 cas de coronavirus ont été détectés, depuis le début de la pandémie. 

VIVIANE DIATTA

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