Publié le 29 Apr 2021 - 23:09
SITUATION AU TCHAD

Un calme précaire

 

Après un mardi chaud où il a été noté au moins cinq morts dans les manifestations de l’opposition, le Tchad a connu une journée relativement calme, hier, malgré les appels à la mobilisation de l’opposition et de la société civile hostiles au Conseil militaire de transition. L’heure était surtout aux discussions pour la formation du gouvernement de transition.

 

Suite à la journée meurtrière du mardi, le Tchad a retrouvé, hier, un calme précaire. Très attendu dans la résolution de ce conflit qui pourrait déteindre sur la situation au Sahel et même au-delà, l’Union africaine cherche encore la formule pour aller à la rescousse du pays. Reçu à l’Elysée mardi, le président en exercice de l’organisation africaine, le Congolais Félix Tshisekedi, a décliné sa position sur ce qu’il est convenu d’appeler un coup d’Etat. ‘’Nous soutenons évidemment la stabilité actuelle, mais à condition qu'elle aille très vite vers la consolidation de la démocratie, des institutions démocratiques’’.

Selon RFI, l’Union africaine va, dès cette semaine, envoyer une mission de médiation sur place, pour tenter de recoller les morceaux. Une mission qui, selon le média français, devrait être conduite par le Nigérian Bankole Adeoye, le nouveau commissaire Paix et Sécurité de l'UA.

Recevant le président Tshisekedi, Emmanuel Macron a un peu revu son discours de N’Djamena, dans lequel il accordait un soutien presque sans réserve à la junte militaire et qui avait créé beaucoup de frustrations chez de nombreux Tchadiens. Selon le président français, il n’a jamais été question de cautionner une dévolution monarchique du pouvoir. ‘’J'ai apporté mon soutien à la stabilité et à l'intégrité du Tchad, très clairement à N’Djamena. Je suis pour une transition pacifique, démocratique, inclusive. Je ne suis pas pour un plan de succession. Et la France ne sera jamais aux côtés de celles et ceux qui forment ce projet’’, a-t-il tenu à préciser, avant d’appeler au ‘’respect des engagements qui ont été pris par le Conseil militaire de transition’’.

L’armée parle de six morts et impute les débordements aux manifestants

Hier, dans la soirée, rapporte RFI, le Conseil militaire de transition est revenu sur les manifestations ayant entrainé morts d’hommes, le mardi.

Comme on pouvait s’y attendre, le Conseil militaire de transition, par la voix de son porte-parole, a imputé tous les débordements aux manifestants. Rappelant que les organisations de la société civile, de l’opposition démocratique ont bravé l’interdiction de manifestation ordonnée par le ministère de la Sécurité publique et de l’immigration, le porte-parole du CMT, le général Azem Bermandoa, déclare : ‘’Cette manifestation dite pacifique a paradoxalement abouti à la destruction volontaire de 15 véhicules de la police nationale ainsi que deux stations appartenant à la société Total. À cela s’ajoutent des coups et blessures volontaires aux agents des forces de l’ordre en mission commandée. Une policière à la retraite a été extirpée d’un véhicule de transport en commun pour être lynchée.’’

Dans la foulée, informe RFI, le général Azem Bermandoa a appelé les organisateurs des manifestations à discipliner leurs militants et a évalué le nombre de morts à six. Il déclare : ‘’Le Conseil militaire de transition demande aux meneurs de grève de recadrer leurs sympathisants et militants afin que la marche s’inscrive dans un cadre purement pacifique. Sous réserve de la confirmation du nombre exact de victimes par le parquet d’instance de N’Djamena, le CMT déplore six victimes et présente par la même occasion des condoléances aux familles éplorées’’, a-t-il précisé, non sans annoncer l’ouverture d’une enquête judiciaire.

REGIS HOUNKPE, ANALYSTE GEOPOLITIQUE

‘’Le Quai d'Orsay ne sera pas éloigné des décisions prises par la junte au pouvoir’’

Fondateur d’InterGlobe Conseils, Régis Hounkpé, Béninois établi à Paris, décrypte l’actualité tchadienne pour ‘’EnQuête’’. Pour lui, les institutions régionales doivent faire preuve de plus de pragmatisme.

Sur quoi reposent les craintes pour le Sahel, depuis la mort d’Idriss Déby Itno ?

Les craintes exprimées sont fondées, dans la mesure où l'armée tchadienne représente la force centrale du G5 Sahel. Le président Idriss Déby Itno était le véritable gendarme du Sahel. Et ses troupes, mieux formées et plus aguerries que les autres armées de la coalition, disposaient d'un avantage stratégique. La crainte est que les Tchadiens se désengagent de la zone des trois frontières, épicentre des combats anti-terroristes, pour se replier sur le front interne, face à la rébellion du Fact (la zone des trois frontières recoupe le Burkina, le Mali et le Niger). Il faut rappeler que cette zone représente, pour les groupes armés terroristes dont essentiellement l'Etat islamique au Sahel, l'opportunité de créer un djihadistan tropical. Et il y a à peine un mois, le président Idriss Déby Itno y avait envoyé 1 200 de ses soldats, au vu des risques sécuritaires et du verrou que constitue ce territoire aux frontières éclatées.

C’est pour vous dure que le Tchad est véritablement la force-pivot du G5 Sahel et pour l'ancien président tchadien, c'était la démonstration que les Africains peuvent et doivent défendre l'Afrique contre tous les périls, et le pire qui est celui du terrorisme islamiste. Avec la menace de la rébellion Fact, le CMT bat le rappel de ses troupes pour défendre l'intégrité du Tchad. 

Est-ce que cette disparition du président Déby ne fait pas encourir au Tchad le même sort que la Libye, suite à la disparition de Kadhafi ?

Le Tchad vit un épisode incertain avec une opposition politique qui réclame, à raison, le respect de l'ordre constitutionnel et qui vient de connaître des morts (cinq selon les autorités tchadiennes, au moins neuf pour la société civile, suite aux manifestations du mardi 27 avril, NDLR) ; la rébellion qui est positionnée à quelques centaines de kilomètres de la capitale N'Djamena et, évidemment, les menaces extérieures des groupes armés terroristes.

Ceci dit, je ne crois pas à la dislocation du Tchad. Je ne vois pas vraiment comment le Tchad subirait une "libyanisation" de son territoire, parce que la France vient de se poser opportunément comme défenseur de la stabilité et de l'intégrité du pays. La présence française s'est, de fait, positionnée comme partie intégrante des combats.

Justement, comment voyez-vous l’avenir de l’opération Barkhane qui a ses bases à N’Djamena ? Vous attendez-vous à une rupture ou à une continuité ?

La nouvelle donne géopolitique fait de la France un acteur plus qu'interne aux affaires tchadiennes. Le président Emmanuel Macron a adoubé la junte militaire, réfutant ainsi la volonté de la société civile tchadienne et de l'opposition politique de mettre en place une transition civile. La véritable question est : pourquoi la France défend-elle un coup d'Etat constitutionnel au Tchad ? Barkhane continuera différemment avec ce nouveau déterminant. Il y a, de ce fait, beaucoup de travail et de réflexion pour les Etats-majors des armées au front. 

Quelle alternative pour préserver la stabilité dans le Sahel ?

Ce qui est sûr, c’est que l'opération Barkhane perd en vision et devra réinitialiser sa stratégie de lutte contre les djihadistes qui menacent le Sahel, mais également les pays du Golfe de Guinée. 

Cette présence de la France ne traduit-elle pas la faillite des Etats africains et des institutions comme l'Union africaine et la CEDEAO ?

Sur ce point, ce n'est pas tant la faillite déjà actée qui m'interpelle, c'est davantage le confort avec lequel les dirigeants africains s'en accommodent. Je vais peut-être vous choquer, mais la France joue totalement ses cartes et continuera de dominer le jeu, tant que les Africains ne comprendront pas les enjeux politiques d'un monde fou et clivant. Ce sont les institutions régionales qui doivent faire preuve de souveraineté et de pragmatisme.

La prise du pouvoir par Mahamat Déby Itno est-elle une surprise ou la suite logique ? Pourquoi ?

Le pouvoir tchadien a toujours été militarisé. Bien qu'inattendue, la mort du président Idriss Déby Itno ne pouvait pas déboucher sur une transition civile et démocratique, car les intérêts en jeu sont à préserver. Ce qui peut étonner, c'est la facilité avec laquelle l'armée a validé le fils Mahamat Déby Itno, mais le critère ethnique zaghawa a résolu la question et fédéré les généraux tchadiens.

Pouvez-vous revenir un peu sur ces divergences qui opposent les différentes communautés ?

Le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad, qui menace le régime de N’Djamena, est un ensemble hétéroclite constitué de Gorans et d'Arabes en lutte contre l'armée "ethnicisée", majoritairement des Zaghawas du clan des Déby. Mais je me méfie assez des considérations ethno-tribales pour justifier des rivalités. Par exemple, en 2019, le pouvoir tchadien a été menacé par une rébellion constituée de Zaghawas et menée par les propres neveux d'Idriss Déby, les frères jumeaux Tom et Timane Erdimi. Le fait ethnique peut parfois jouer, mais il faut le manipuler avec mesure, car c'est un travers dangereux de lier des conflits à ce type de déterminant.

Y a-t-il une possibilité de voir la junte dialoguer avec la rébellion pour une sortie de crise ?

Il y a au moins trois raisons qui président à cette conviction de la junte militaire. Sur un plan symbolique, le Conseil militaire de transition ne pourra pas dîner à la même table de la médiation et de la négociation avec les rebelles, pour la simple raison que le passif est gravissime : la mort du maréchal Idriss Deby. Politiquement, ce serait improbable, parce que la junte préférera travailler avec les opposants politiques dans une éventuelle configuration de gouvernement transition civilo-militaire, que de faire de la place aux rebelles. Et maintenant, pour finir, la junte a un allié de taille qui se battra officieusement à ses côtés, contre les rebelles. Il s’agit de la France. Stratégiquement, cet avantage sera poussé à son maximum et je n'envisage pas, au moins à moyen terme, des négociations et une sortie de crise aisée.

La France pourrait-elle constituer une puissance médiatrice ?

Je ne le crois nullement. La diplomatie française a clairement pris position pour la junte militaire. Et cela, manifestement, confirme la duplicité des discours officiels, entre soutien à un État de droit et la démocratie d'un côté, et de l'autre, être dans des accommodements stratégiques, peu importe la nature du régime. Il est certain que l'Union africaine doit jouer son rôle et rappeler le respect aux normes constitutionnelles. Mais permettez-moi d'en douter. Pour l'opposition politique, l'UA n'est pas crédible. Je pense qu'en dépit de tout, l'organisation continentale doit jouer sa partition.

Maintenir, restons lucides : le Quai d'Orsay ne sera pas éloigné des décisions prises par la junte au pouvoir.

MOR AMAR

 

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