Voyage au cœur d'un colosse aux pieds d'argile...

A la sortie de Keur Momar Sarr, il faut encore parcourir trois kilomètres sur le même tronçon traversant ce chef-lieu d’arrondissement du département de Louga pour trouver sur le côté droit le site qui polarise l’attention des sénégalais depuis quelque temps. Plantée naturellement dans un décor ouvert sur le Lac de Guiers, la station de pompage et de traitement, au centre d’une brûlante actualité, offre pourtant toutes les commodités. Ou presque.
La station de pompage et de traitement de Keur Momar Sarr, dont l’ordre de démarrage des travaux a été donné le 22 novembre 2001 et les essais entamés le 27 novembre 2004, est effectivement mis en service le 26 décembre de la même année. D’une capacité de 130 000 m3/jour, elle a été réalisée en deux phases. La première, d’un montant de 11 147 190 250 Cfa HT, a été permise par un financement BOAD/CBAO/IDA. La seconde a coûté 5 003 825 930 Cfa HT sur financement IDA. L’usine de Keur Momar Sarr porte l’empreinte de l’entreprise ONDEO DEGREMONT/CDE.
Une consistance prometteuse
Le dispositif est composé d’une prise d’eau sur berge, d’une station de pompage d’eau brute et d’une chaîne de traitement. Celle-ci est constituée d’un ouvrage de mélange et de repartitions, de décanteurs à lit-de boue, de filtres à sable rapides et d’ouvrages annexes. Il comprend aussi un réservoir de stockage de 10 000 m3, une station de pompage d’eau traitée et un dispositif anti bélier. On y compte également une alimentation électrique à partir de la ligne Senelec de 30 kv Sakal- Keur Momar Sarr- Richard Toll, et une centrale d’énergie autonome de secours représentant 50% de la capacité de la station. A tout cela, s’ajoutent un atelier de maintenance, un bloc administratif, une infirmerie, une cité de seize logements peints en blanc pour le personnel, et un terrain pour les sportifs. Surplombant le lieu où est localisée la panne ayant fait couler beaucoup d’encre et de salive, trônent trois ballons d’air de couleur bleue sous forme de réservoir. Sur chacun d’eux, est inscrite une des lettres Keur Momar Sarr. Toute cette infrastructure était conçue en vue de l’approvisionnement en eau potable à long terme pour la région de Dakar.
«Nous n’avons pas regretté d’avoir été associés à ce projet en tant que partenaires. Nous en sommes très fiers. A voir cet ouvrage, je suis très impressionné, surtout de savoir que dans la mise en œuvre de ce projet, on a pu réaliser une épargne de l’ordre de 20 millions de dollars», se réjouissait déjà Gobinz Nankani, vice-président de la Banque mondiale. Il était en visite sur le site le 26 janvier 2004, en compagnie du ministre de l’Agriculture et de l’Hydraulique de l’époque, Habib Sy.
Un vrai traumatisme
Aujourd’hui, c’est un véritable traumatisme que la station de pompage et de traitement de Keur Momar Sarr est en train de...''vivre''. Deux jeudis noirs, les 12 et 26 septembre 2013 (11 ans après la tragédie du Joola), marquant respectivement le déclenchement de la grande panne et l’explosion du tuyau ayant entraîné cinq blessés, ont fini par installer le doute sur le dispositif auquel tant d’espoirs étaient fondés. A son chevet, sont venus tour à tour depuis quelques jours le ministre de l’Hydraulique, le Premier ministre, le président de la République, des députés, des techniciens chinois, des français, des Imams, Thierno Madani Tall de la famille omarienne, une délégation du patronat, sous la pression sans doute du calvaire vécu par les populations dakaroises. Quoi qu’il advienne dans le futur, il est permis de retenir d’ores et déjà que la station de Keur Momar Sarr n’a pas été à la hauteur des garanties escomptées, 9 ans seulement après sa mise en service sur un délai d’amortissement de 30 ans. Même si la situation se rétablissait demain, l’heure est déjà à l’élaboration d’autres stratégies alternatives qui réduiraient davantage le pourcentage de dépendance de la région de Dakar au lac de Guiers.
En attendant que tout cela soit mis en œuvre, la station de pompage et de traitement de Keur Momar Sarr a vu se déchirer le voile dans lequel l’avait enveloppé le cours normal des choses. Elle est partie pour figurer en bonne place parmi les faits saillants de l’année 2013. En plus d’une image écornée, c’est tout le système de distribution du liquide précieux au Sénégal qui est remis en cause.