Le cours magistral du DG du CSE Cheikh Mbow
Venu animer le thème de la rentrée académique du CHEDS, le DG du CSE s’est prononcé sur les tensions liées aux ressources naturelles et leurs perspectives.
La rentrée académique 2024-2025, sur le thème ‘’Environnement et gouvernance des ressources naturelles : quels enjeux sécuritaires et perspectives en Afrique ?’’ du Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) a eu lieu hier. Le thème de cette année a été décortiqué par le professeur Cheikh Mbow. Le directeur général du Centre de suivi écologique souligne que les conflits découlant des ressources naturelles ont tendance à surgir à la suite d'une perturbation persistante des moyens de subsistance locaux, résultant à la fois des conséquences environnementales de l’extraction et des flux illicites ou légaux de capitaux.
Ainsi, dit-il, ‘’les points d’attention sont de plusieurs ordres, notamment les mesures de sauvegarde environnementale (une stratégie de suivi nationale des plans de gestion environnementale et sociale), le maintien des activités productives préexistantes, tout en assurant une répartition équitable des revenus qui prenne en compte les populations locales ainsi que le contrôle des flux de personnes et des trafics liés à l’émergence de nouvelles activités économiques’’.
Évoquant le zircon exploité sur la Grande Côte du Sénégal par la Grande Côte Opération (GCO), l’actualité révèle, souligne-t-il, un drame social avec des villages délocalisés, des lieux de culte, des écoles rasées, des opportunités touristiques anéanties et surtout un environnement en ruine. ‘’Ce dont on ne parle pas assez, c’est la fragilisation du littoral au moment où la lutte contre l’érosion côtière est un souci majeur dans la lutte contre les changements climatiques. Ainsi, une exploitation extractive du zircon pourrait accélérer la salinisation des terres par intrusion d’eau de mer et entraîner des pertes énormes de zones cultivables dans les Niayes’’, alerte-t-il.
L’autre source de tension qui persiste, après l’étape de l’exploitation, ajoute le Pr. Cheikh Mbow, est celle liée à la commercialisation, avec des règles sévères édictées par des acteurs guidés par des logiques d’accaparement sans équivoque, au prix de devoir mobiliser les forces des États puissants pour servir des intérêts privés.
En effet, explique-t-il, ‘’les processus environnementaux, sociaux et économiques qui régissent l’extraction et la commercialisation des ressources naturelles sont toujours complexes. Par conséquent, les options de gouvernance et les cadres de transparence indispensables pour contenir les aspirations de plusieurs acteurs aux intérêts divergents sont toujours difficiles à concevoir’’.
Inquiet, il fait remarquer que l’Afrique est devenue un repère du boom minier mondial grâce aux performances techniques dans l’exploration géologique. ‘’L’essor du pétrole, affirme-t-il, est similaire à celui des pays du Golfe. Selon les estimations, la production pétrolière devrait doubler d’ici 2030, une grande partie de la nouvelle production provenant de la Mauritanie, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire, du Ghana et du Nigeria. Cependant, les incertitudes liées à la variation du prix du baril peuvent fausser les prévisions budgétaires, avec des conséquences sociales parfois dramatiques (le Soudan du Sud n’a pas pu payer les salaires pendant des mois). La gouvernance préventive permet, au demeurant, de diversifier les activités économiques (éviter la dépendance au pétrole), au même titre que les séries de mesures cohérentes d’ordre institutionnel, organisationnel et juridique pour un développement harmonieux’’.
‘’Les pays miniers dépensent plus que les autres pour leur sécurité’’
Ainsi, prévient le directeur général du Centre de suivi écologique, la dépendance aux ressources naturelles extractives porte souvent les germes des conflits violents. ‘’Les preuves existantes, développe-t-il, indiquent que les ressources naturelles peuvent, en réalité, engendrer des problèmes de sécurité nationale et nuire au développement économique. Il est donc normal que les pays miniers dépensent plus que les autres pour leur sécurité. Étant donné que les opérations minières se déroulent dans des zones reculées, les entreprises doivent avoir des services et des plans d’intervention d’urgence en cas d’accident ou de crise. Cela inclut les éboulements, les blessures, la contamination chimique et les prises d’otages. Cela passe par la mise en place de moyens matériels et logistiques, d’outils de communication adaptés et de protocoles d’urgence à respecter’’.
En outre, il est communément admis que les ressources naturelles, contrairement à d’autres secteurs comme l’agriculture ou la pêche, peuvent être plus facilement exploitées, pillées ou assujetties à des règles informelles de gestion. Cette prédation économique, souligne le Pr. Mbow, explique plusieurs ‘’nouvelles’’ ou ‘’petites’’ guerres en l’absence d’autres opportunités de survie dans les pays pauvres dotés de ressources naturelles abondantes.
Pour pallier, ‘’des marqueurs forts doivent être recherchés en amont dans l'élaboration de nouveaux budgets pour une gestion des impacts économiques, environnementaux et sociaux ainsi que pour le suivi des sauvegardes environnementales et sociales des sites miniers ou pour réparer les infrastructures endommagées et restaurer les sites d’exploitation. La question, ici, est : que fait-on des sites miniers après exploitation ? En aval, il s’agit tout particulièrement d’adopter des mesures protégeant les intérêts locaux afin que chaque citoyen sente qu’il n’a pas été abusé dans les arrangements financiers, les produits et autres avantages liés aux ressources naturelles’’, indique-t-il.
Or, fait-il remarquer, dans le contexte subsaharien, l’impact est plus complexe, car la région est marquée par la pauvreté, la diversité sociale, les pressions démographiques et les vastes espaces géographiques en jeu. ‘’En conséquence, les gouvernements sont confrontés à d’immenses défis lorsqu’il s’agit de créer et de maintenir un ordre politique et sécuritaire durable’’, indique le Pr. Mbow. Pour qui les nombreux points d'entrée à la gouvernance des ressources naturelles constituent un ensemble visant à améliorer la transparence et la responsabilité des gouvernements et des entreprises privées lors de l’octroi de licences d’exploration, de la passation de contrats, du contrôle de l’extraction, de la gestion équitable des revenus ainsi que du suivi de la conformité des entreprises à leurs obligations fiscales et environnementales.
Typologie des conflits liés aux ressources minières
D’après lui, il existe plusieurs angles d’analyse qui l’amènent à faire une typologie des conflits liés aux ressources minières. Il s’agit des ressources ‘’pillables’’, comme les diamants ou l’or, qui impliquent des réseaux occultes similaires à ceux des groupes organisés de la drogue. Les conflits et la violence associés à ces ressources, explique le professeur Cheikh Mbow, se présentent sous des formes plus difficiles à cerner que les conflits armés dont les acteurs sont des groupes organisés (guerre civile libyenne), le ‘’pillage des ressources naturelles’’ et leur exportation, qui impliquent des groupes extérieurs.
‘’Une cartographie des conflits de ces réseaux, y compris ceux sous influence religieuse dans la région sahélienne, est nécessaire pour comprendre, privilégier et renforcer la sécurité et les déterminants de la pauvreté qui poussent vers des pratiques illicites sur les ressources naturelles ; une bonne partie des recrues dans ces violences provient de couches sociales défavorisées. En Afrique du Sud, la police bloque la sortie de la mine d’or abandonnée de Stilfontein, où des centaines de mineurs illégaux se cachent dans des conditions dramatiques, avec en toile de fond une grande criminalité organisée’’.
Ainsi, pour le DG du CSE, la nécessité de garantir des processus de gouvernance durables et crédibles dans l’exploitation des ressources naturelles est née des circonstances spécifiques qui se déroulent tant au niveau local que global, à l’échelle des États. ‘’Cette gouvernance est portée par une réglementation sur les pratiques extractives des entreprises privées qui essaient d’asseoir, de façon volontaire ou par contrainte, des principes de sécurité et des droits de l'homme. Elle est également un besoin des gouvernements qui mettent en place des mesures pour gérer l’exploitation et la valorisation de ces ressources, notamment à travers l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Il s’agit d’un ensemble de stratégies conçues pour améliorer le niveau de responsabilité et de transparence des entreprises mises en œuvre pour encadrer l'octroi de licences, l’exploration, l’extraction, la signature de contrats et la gestion des revenus tirés des ressources naturelles’’, renseigne-t-il.
Toutefois, prévient le Pr. Mbow, le processus gouvernemental est rendu difficile par les conflits violents, ce qui rend nécessaire le développement de stratégies innovantes capables de créer un lien entre la gouvernance des ressources et le maintien de la paix. ‘’La malédiction ou la bénédiction des ressources naturelles dépend, dans une large mesure, de la façon dont elles sont gouvernées, tenant compte des défis sécuritaires. Il n’y a pas de modèles réplicables ; chaque situation est spécifique. L’État du Sénégal a décidé d’instituer un Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (Cos-Petrogaz) à côté de l’ITIE pour y donner plus de place à l’opposition, à la société civile, aux syndicats et à l’Ordre national des experts, afin de garantir une exploitation optimale et transparente des ressources pétrolières et gazières au profit de l’économie nationale et des générations actuelles et futures. On ne peut évoquer la gestion des ressources naturelles sans pointer du doigt un phénomène prégnant et préoccupant qu’est le changement climatique’’, fait remarquer le DG.
Géostratégie, climat et sécurité
Dans la mesure où, le simple fait que le changement climatique, selon lui, aggrave la rareté des ressources peut, directement et de façon incontestable, déclencher des conflits et inciter un grand nombre de personnes, par obligation ou par choix, à se déplacer. Le déplacement expose ces personnes vulnérables à de nouveaux risques, du fait de nouveaux rapports de force et de nouvelles dynamiques de pouvoir devant une pénurie de ressources (lac Tchad, Darfour).
Or, ‘’lorsque les migrations liées au climat se produisent dans un contexte de fortes concentrations de populations ou à proximité d’endroits critiques pour la stabilité politique ou économique, des conséquences démesurées peuvent survenir en termes de bilan humain ou de pertes, dommages et préjudices. Les politiques et programmes de résilience ou d’adaptation pourraient contribuer à éviter que les impacts du changement climatique ne deviennent des déclencheurs de conflits. L’adaptation au changement climatique doit tenir compte des tensions sociales, politiques et économiques.
La gouvernance locale est un point d’entrée intéressant pour faire face aux risques de sécurité liés au climat et renforcer la coopération entre les acteurs en place, et surtout avec les communautés. Cet ancrage local permet de déployer des mécanismes de résolution des conflits qui doivent être intégrés dans la logique climatique et sécuritaire de façon cohérente’’, indique le professeur Cheikh Mbow.