Publié le 23 Nov 2018 - 23:57
TROUBLES A L’ORDRE PUBLIC, AGRESSIONS, VOLS…

Quand le Kankourang affole la population

 

Troubles à l’ordre public, agressions, vols… Voilà, entre autres maux qui entourent le Kankourang d’aujourd’hui. Contrairement à celui d’hier qui était vénéré et respecté, du fait qu’il était considéré comme le gardien des valeurs des peuples, régulateur de la société, chasseur des mauvais esprits et protecteur des circoncis, des fruits et des productions agricoles, celui d’aujourd’hui est démystifié. Le Kankourang fait peur. Il sème la terreur lors de ses sorties et s’en prend à d’honnêtes citoyens. A Kolda, deux procès ont eu lieu dans ce sens. Des actes de violence qui ont poussé l’autorité territoriale à prendre des mesures.

 

Le préfet du département de Kolda, Mactar Diop, a publié un arrêté interdisant la sortie du Kankourang. Une décision consécutive à diverses dérives notées dans la région, lors de la sortie de cette figure culturelle importante du sud du Sénégal. Il est indiqué dans l’arrêté que ‘’ces activités sont interdites sur la voie publique, au niveau des lieux et espaces publics du département de Kolda, pour menaces sérieuses de troubles à l’ordre public’’. Une décision qui n’agrée pas les jeunes. ‘’Le préfet n’a pas le droit d’empêcher les citoyens d’organiser des activités dans le but de faire vivre leur culture. Cette décision nous a plongés dans une colère noire. Et nous allons continuer à organiser la sortie du Kankourang et voir ce qu’il peut faire contre nous’’, ont-ils menacé. Qu’ils soient sûrs de trouver l’autorité sur leur chemin, car elle ne compte fléchir.

Et si les jeunes affichent leur désaccord, les personnes âgées jugent la décision sage et opportune, après plusieurs problèmes notés. Le dernier cas en date est celui du dénommé Samy Danif Mané qui a comparu devant le tribunal de grande instance de Kolda. Le sieur Mané est un agent de sécurité, célibataire sans enfant, qui n’oubliera jamais la date du 31 octobre, jour de son procès.

Le 15 octobre, lors d’une manifestation de la sortie des circoncis au quartier Saré Kémo, dans la commune de Kolda, Samy Danif Mané a arboré le costume du Kankourang. Il était accompagné par une ribambelle de jeunes armés de coupe-coupe, de gourdins, de couteaux et torses nus. Peut-être pour leur propre délire et mettre la folie à leur manifestation, ils ont pris de l’alcool. Ils se sont enivrés avec une boisson forte appelée ‘’Kana’’. Saouls, ils ont occupé la route principale qui mène vers la gare routière. C’était aux environs de 18 h. Ce faisant, le Kankourang a cassé les vitres et portes de trois véhicules.

Pathé Sabaly, l’une des victimes, est taximan à Kolda. Devant la barre du tribunal, il a retracé le film de l’évènement : ‘’J’étais à bord de mon taxi, en direction de la gare routière. Arrivé à hauteur de Saré Kémo, je suis tombé sur un groupe de jeunes. A sa tête, le Kankourang, lequel s’est jeté sur mon véhicule pour casser le pare-brise d’un coup de coupe-coupe, sans aucune raison valable. Je suis sorti pour leur parler et ils se sont rués sur moi. Ils m’ont ordonné de quitter les lieux, si vraiment je voulais rester en vie. Et comme ils étaient ivres, j’étais obligé de les laisser continuer leur sale besogne.’’

Après M. Sabaly, le groupe s’en est pris à un autre automobiliste dont ils ont martyrisé le capot de la voiture et donné un coup de coupe-coupe au bras du chauffeur qui a été évacué à l’hôpital régional de Kolda par les sapeurs-pompiers. Toujours dans sa folie meurtrière, le Kankourang s’est attaqué à un autre véhicule de l’Administration, qui se trouve être celui du gouverneur de la région de Kolda, Ousmane Kane.

Dépassé par la tournure des évènements, Pathé Sabaly a suivi à distance le Kankourang jusqu’au lieu où se tenait la fête de sortie des circoncis, afin de connaître l’identité du Kankourang. Une fois sur les lieux, il a fini par identifier Samy Danif Mané comme étant celui qui s’est caché derrière les habits du Kankourang pour commettre le forfait.  Ce qui lui a valu sa comparution du mercredi 31 octobre devant la barre du tribunal de flagrants délits.

Regrets tardifs

A la barre, le prévenu Samy Danif Mané a tout nié en bloc. Face aux pertinentes questions des magistrats et la clarté des déclarations de la victime Pathé Sabaly, le Kankourang a été contraint de passer aux aveux. ‘’C’est moi qui portais les habits du Kankourang, mais je ne me rappelle pas avoir commis le forfait dont on m’accuse’’, s’est défendu le sieur Mané. ‘’Parce que vous étiez ivre. C’est pour cela que vous ne pouvez pas vous rappeler de ce qui s’est passé ce jour-là’’, a dit le président du tribunal. ‘’Non, je n’avais pas bu’’, a rétorqué le prévenu. ‘’Donc, vous avez fait exprès de casser les véhicules des gens’’, lui a encore rétorqué le procureur. Mais il finira par avouer : ‘’C’est vrai, j’avais bu de l’alcool. Mais je vous demande de me pardonner. A partir d’aujourd’hui, je ne vais plus porter les habits du Kankourang.’’

Irrité par la mauvaise foi du prévenu et la gravité des faits, le ministère public a requis un an d’emprisonnement ferme contre Samy Danif Mané. D’après le maitre des poursuites, les faits sont constants et ne souffrent d’aucun doute. Parce que le prévenu a reconnu qu’il a posé des actes graves à l’encontre d’honnêtes citoyens.

Mais, à la fin du procès, le tribunal a infligé une peine d’avertissement au Kankourang en le condamnant à 6 mois de prison ferme. En plus de la sanction pénale, les magistrats ont condamné également le Kankourang à payer la somme de 100 mille francs Cfa à la victime Pathé Sabaly à titre de dommages et intérêts.

Il y a un an, des faits presque similaires ont été notés à Kolda. Une bande de jeunes avait atterri devant la barre du tribunal. Souleymane Camara, Boubacar Badji, Sambou Camara (tous élèves) et l’agent administratif au Conseil départemental de Kolda, Mamadou Lamine Guirassy, avaient été condamnés à 2 mois avec sursis par le tribunal de grande instance de Kolda. Ils avaient été reconnus coupables de coups et blessures sur la personne de Yaya Bodian ayant occasionné une incapacité temporaire de travail de 7 jours. Ces quatre jeunes du quartier Saré Moussa, commune de Kolda, avaient tabassé Yaya Bodian, au cours d’un rituel du Kankourang.

Ce dernier, pourtant, vaquait tranquillement à ses occupations, dans les rues de Saré Moussa, lorsqu’il a croisé le Kankourang et ses accompagnants. Rapidement, il a été encerclé et roué de coups. N’eût été l’intervention de Mamadou Lamine Guirassy, un des accompagnants du Kankourang, le pire aurait pu se produire.

C’est pourquoi, au regard des scènes de violences notées çà et là, il a été jugé nécessaire et urgent de nettoyer ou de réorganiser la sortie du Kankourang qui doit être protégé et surtout se départir de toutes ces personnes malintentionnées qui sont en train de ternir l’image du Kankourang, un masque sacré. 

Protecteur et régulateur de la société

En effet, du temps des ancêtres, le Kankourang était un masque, un être mythique, gardien des valeurs des peuples casamançais. Un génie protecteur des communautés, qui avait une image populaire et spectaculaire. Car il jouait un rôle important de régulateur de la société et était le garant de la sécurité des initiés, à l’occasion des cérémonies de circoncision. Il chassait les mauvais esprits, assurait également la protection des fruits et des productions agricoles, veillait sur l’environnement et généralement sur la consolidation du tissu social.

En atteste le témoignage de personnes âgées. Si un couple avait des problèmes de ménage très sérieux au point d’en venir aux mains ou de divorcer, c’est le Kankourang qui réglait la situation en imposant des amendes aux deux parties en conflit. Dans les champs, il était présent pour suivre et contrôler les travailleurs, en particulier les jeunes. En plus de cette noble mission de gardien de la tradition, il alliait l’utile à l’agréable, en animant une procession au rythme du ‘’jambadong’’ (danse des feuilles en langue mandingue). Les acteurs de ce spectacle aux allures carnavalesques chantaient et dansaient au son des tam-tams.

Grâce au rôle important qu’il jouait au sein de la société, le Kankourang a été classé patrimoine culturel immatériel mondial par l’Unesco en 2003. Mais, aujourd’hui, le Kankourang est géré non pas par des adultes, mais par des jeunes dont l’âge et la maturité laissent à désirer.

Des vieux dépités et en colère

Au Fouladou, les personnes du 3e âge sont remontées contre les jeunes. D’après ces vieux interrogés, les jeunes sont en train de démystifier le Kankourang. ‘’La sortie d’un Kankourang obéissait à des règles et dès son apparition dans les rues, les populations, effrayées, se barricadaient chez elles’’.  ‘’Aujourd’hui, disent-ils, cet être mythique attire plus pour son caractère carnavalesque que pour son rôle de régulateur social. Il apparaissait généralement en hivernage, à l’occasion des cérémonies de circoncision, entre les mois de juillet et d’octobre. Couvert de la tête aux pieds de fibres rouges faites d’écorces du sommelier appelé en langue mandingue ‘fara jung’ ou ’kankourang fanoo’ (le pagne de masque) d’où il tire son nom, il ne laissait pas indifférent initiés et touristes’’.

Selon ces sages et conservateurs de la culture et de la tradition des sociétés du Fouladou, le Kankourang est toujours muni de deux machettes qu’il croise. Il crée ainsi un bruit grinçant accompagné d’un cri strident.

Mais aussi effrayant qu’il puisse paraitre, le Kankourang fait moins peur maintenant que dans le passé.  Dans la ville de Kolda, par exemple, ses sorties rythmées de danses, de chants et de courses-poursuites prennent aujourd’hui une tournure inquiétante.

‘’De nos jours, lors des cérémonies de sortie des circoncis, le Kankourang et ses accompagnants exigent de l’organisateur de leur remettre de l’argent afin qu’ils se procurent du chanvre indien ou de l’alcool. Ils pensent que suivre ou sortir le Kankourang, c’est se droguer, racketter d’honnêtes citoyens, troubler la quiétude des populations qui dorment tranquillement chez elles, entre autres dérives’’, confient-ils avec amertume.

EMMANUEL BOUBA YANGA

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