Publié le 12 Jun 2013 - 02:22
ZOOM SUR “YAKH DJEUF”

...Où la tentative avortée d'El Hadj Malick Sy d'ériger une zawiya

 

 

Yakh djeuf ! Un nom, un quartier, une histoire. Situé en plein centre-ville, ce village traditionnel renferme une grande partie de l'histoire de la communauté léboue. C'est un “Penc” qui, à l'image de Mbott, n'a jamais changé d'emplacement contrairement aux dix autres penc lébous. Et c'est dans cet endroit mystique et mythique que Seydi Hadji Malick Sy n'a pu ériger son Zawiya à Dakar, après Saint-Louis et Tivaouane... Reportage au coeur d'un espace traditionnel et commerçant.

 

Ceinturé par les rues Galandou Diouf, Paul Holl ou encore la rue Fleurus, Yakh djeuf que d'aucuns assimilent à la rue Abdou Karim Bourgi essaie tant que bien que mal de résister aux intempéries de la modernité. Ce quartier, dont la naissance remonte aux années 1600, conserve jalousement les débris de son passé quoique son aspect extérieur ait fini par se métamorphoser. Ce patrimoine lébou dégage, à vue d'oeil, l'image d'un grand marché, voire d'un sandaga bis.

Yakh djeuf, qui s'était caractérisée dans le passé, par ses cases, puis ses baraques, est devenue une rue très commerçante se distinguant par son attirail de produits cosmétiques, son "paq carreau", la vente de matériels pour la construction de bâtiments. Il offre, de l'extérieur, l'image d'un réel monde des affaires avec ces devantures des maisons transformées en cantines. "On peut dire que c'est un lieu béni où il est facile de s'enrichir. Il n'y a pas d'endroit à Dakar où les affaires sont autant florissantes" confient à l'unanimité Abdoul Mbodj et ses amis, des "business man" qui ont fini par se faire un nom dans le quartier. Comme beaucoup d'autres, ils tirent leur épingle du jeu dans ce milieu qui, confient-ils, aurait succombé à l'usure du temps. "Il y a du tout ici....". Des visages et gestes expressifs renseignent sur les activités des uns et des autres... Le milieu donne l'air d'être le poumon névralgique de Sandaga en raison du ryhtme infernal des activités.

Les embouteillages monstres dans ces rues étroites ne laissent pas d'espace aux piétons qui doivent jouer des coudes avec les vendeurs ambulants; "Yakh djeuf" grouille chaque jour de monde. Tous viennent d'horizons divers pour faire fortune dans cet univers qui aurait fini par sécréter une jeunesse quelqu peu tordue dans la tête. "Ici, les jeunes du quartier ont préféré verser dans la facilité plutot que de gagner leur vie dignement. Toutes les filles se prostituent...Enfin la plupart d'entre elles", soulignent puis rectifient Abdoul Mbodj et son "collègue" Cheikh. Quid des activités des jeunes garçons ? Silence et boule de gomme chez les deux compères.

“Grandeur et vertu d'une communauté solidaire!”

Pour autant, l'ambiance qui prévaut dans les différents foyers visités est toute autre. La discipline qui y est érigée en règle est frappante. Les habitants donnent l'image d'être réconciliées avec eux- mêmes, avec leurs traditions, leur religion. Ils gardent jalousement le legs de l'héritage d'ancêtres qui ont su, en apparence, inculquer grandeur et vertu à leurs descendants. D'ailleurs, explique Mamadou Guèye, un des gardiens du temple” et ainé du "Penc", la communauté léboue ne se glorifie jamais de la richesse matérielle de ses fils mais de leur probité morale et intellectuelle. "La civilisation matérialiste nous laisse de marbre. Nous sommes une communauté intègre et digne”, témoigne avec fierté le délégué du quartier de Sicap liberté 3, par ailleurs président des freys de Dakar, encore solide du haut de ses 98 ans.

Respect de la pure tradition léboue, éducation souvent stricte pour les enfants, respect du droit d'aînesse, promotion de la rectitude, etc. Yakh djeuf se veut le symbole de l'identité, de l'unité, de la cohésion d'une communauté encore attachée aux valeurs traditionnelles et à la religion musulmane. Le constat peut être fait chez Mbaye Pathé Ndoye, le représentant du chef de quartier, Abdoulaye Sambou qui, lui, loge à la Medina. Il voit le jour, en 1938, dans ce quartier qui a façonné ses traits de caractère dont la courtoisie et qui gère ses affaires dans le consensus. "Jusqu'à présent, les décisions concernant le quartier sont prises au niveau de la mosquée. Les notables se réunissent ici chaque vendredi après avoir fait leur wazifa (NDLR : séance d'invocations) dans la mosquée Yakh djeuf", laquelle aurait grandement marqué l'histoire de ce quartier...

“Une mosquée, un baobab, une histoire”

L'histoire de ce quartier se confond avec la mosquée “Yakh djeuf” où trône un gigantesque baobab qui peut conter, avec éloquence, l'origine de ce nom qui puise sa source de ces deux symboles. Même si les autres Penc ont leur mosquée, celle de Yakh djeuf semble atypique en raison de l'ambiance particulière qui y prévaut. Marchands ambulants, vendeurs de chapelets, peintre, commerçantes, jeunes filles, enfants tous semblent tirer plaisir à se prélasser, à converser dans la grande cour de ce lieu mythique, qui a toujours été le siège du "gouvernement lébou".

En effet, les décisions majeures ayant trait à l'administration du Penc se sont toujours dessinées dans ce temple mythique. Explication du président des freys, Mamadou Guèye : "les femmes nouvellement mariées prenaient départ ici pour rejoindre leur domicile conjugal, une autorité nouvellement élue devait impérativement passer dans cet endroit pour solliciter des prières. Mon grand-père, Aliou Samb, utilisait le baobab pour faire des prières à qui de droit en utilisant le baobab." L'arbre, majestueux et plein de mystères, dit-on, a régné pendant des années sur le quartier avec la bénédiction des génies protecteurs.

Au fil du temps, les versets coraniques ont voulu prendre le dessus sur des incantations héritées des ancêtres, non sans s'opposer au veto des dignitaires lébous, selon certains témoignages. Tous estiment que l'histoire de Yakh djeuf est indissociable de la mosquée et du baobab où sont enfouis les mystères d'un passé que chacun conte selon sa lecture des événements. Pour d'autres, le nom est lié à la décision prise par le vénéré El Hadji Malick Sy, le guide spirituel de la tarikha tidjane au Sénégal, d'ériger une Zawiya dans ce lieu mystique. Il s'est alors heurté au refus des dignitaires lébous et finit par élever son minaret quelques mètres plus loin, à la rue Carnot, aprés avoir dressé lui-même l'architecture de la mosquée.

"Si ce nom est attribué à ce quartier, c'est en raison du refus de la communauté léboue de permettre à Seydi Hadj Malick Sy d'ériger une zawiya ici”, nous ont confié des personnes du troisième âge sous le sceau de l'anonymat. Une version confirmée d'ailleurs par un dignitaire des lieux, Oumar Diagne. En implantant l'islam ici, il comptait déloger les génies protecteurs élevés par certains au rang de divinités, ce qui est contraire aux préceptes islamiques. Les notables lébous se sont battus corps et âme pour s'opposer à cette volonté du marabout. Il finit par ériger son minaret la rue Carnot, à quelques mètres d'ici..."

Cette version des choses est vite battue en brèche par d'autres éléments historiques qui font remonter loin dans le temps l'origine du vocable Yakh Djeuf. Selon Mbaye Pathé Ndoye, le représentant du chef de quartier, s'il est vrai que le guide spirituel tidiane a “tracé les contours” de la mosquée, “le nom par contre vient du fait que les notables des douze penc de Dakar ne trouvaient de terrain d'entente qu'ici. Ailleurs, leurs rencontres finissaient toujours en queue de poisson." Confirmation est trouvée auprès du patriarche du Penc, Mamadou Guèye, qui souligne que “Seydi Hadj Malick a été prié d'aller voir ailleurs. A la rue Carnot, la famille de Bamar Guèye et de Baye Guèye lui a cédé une partie de la maison où il a fini par implanter sa mosquée. Mais c'est bien lui qui nous a inspiré l'architecture de la mosquée Yakh djeuf.”
Pour une troisième tendance, cette mosquée, édifice antérieur à la venue du marabout tidiane, mérite son nom vu qu'elle devait contribuer à vouer aux gémonies “xamb” et autres pratiques mystiques en vigueur chez les lébous...

“Nous vivions avec les rabs”

Aujourd'hui, le penc qui s'est transformé en quartier puis en marché survit grâce aux fortes empreintes de la République Lébou qui existe encore de par son gouvernement et son assemblée nationale constituée de 36 députés appelés Ndiambour, avec trois députés pour chaque penc au moment où l'Assemblée des Frey joue le rôle de ministre de la jeunesse. “Chaque chef de penc nomme 3 freys, les douze chefs de penc constituent notre Sénat”, souligne le vieux Doudou Guèye.

Un certain leg des ancêtres est encore là, avec son visage enchanteur, dans un quartier qui était naguère une grande forêt d'où ont poussé au fil des ans des “mbaar” (cabanes de fortune) qui se transformeront en cases, avant que le modernisme n'impose ses bâtisses...

Aujourd'hui, Yakh djeuf est un melting pot d'une grande densité ethnique et professionnelle. “Grâce à notre sens de l'hospitalité, nous accueillions ici toutes les races qui étaient sans attache à Dakar. D'où la cohabitation entre tisserands, coordonnniers, pêcheurs, agriculteurs, serères, wolof, etc. Notre demeure était un vaste champs. On vivait avec les rabs. Mon grand-père était aussi un guérisseur” confie avec un brin de nostalgie le patriarche Doudou Guèye. Pour les besoins de notre enquête, c'est lui qui a été désigné comme étant le sage habilité à conter l'histoire de Yakh Djeuf.

Il se souvient aussi de cette belle époque où le chômage était inconnu dans le quartier. “Il n'y avait que trois professions : pêcheur, agriculteur ou menuisier, personne ne trainait...” Puis l'école de toubabs s'est implantée. “Je suis allé à l'école à l'âge de 12 ans, j ai été renvoyé après trois années d'études car j'étais trop âgé”, dit-il. Une exclusion qui n'empêchera pas cet ancien combattant de gravir des échelons jusqu'à être nommé en 1970, chef d'atelier de réparation et chef du service intérieur de “Dakar-téléphone”, ancêtre de Sonatel.

Des figures marquantes, le quartier en a certainement. Mais aux yeux de la communauté léboue, Yakh djeuf est un patrimoine qui veut conjuguer avec rigueur le principe d'égalité entre ses “ressortissants”. “Nous sommes tous sur un même pied. Tous ceux qui font preuve d'honnêté et de dignité dans leurs actes quotidiens sont nôtres. Un enfant du terroir qui fait fi de nos valeurs, même s'il est riche comme Crésus, est rejeté par toute la communauté”, explique notre interlocuteur. Pour autant, qui ne connaît pas Me Doudou Ndoye, Amadou Assane Ndoye, le politicien Adama Ndoye, les comédiens Yakhara Dème ou Aliou Konaré de la troupe Daaray Kocc,  l'huissier de justice Me Oumar Cissé, cousin du défunt journaliste du quotidien national “Le Soleil” Serigne Aly Cissé... ?

 

 

MATEL BOCOUM

 

 

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