Publié le 18 Jun 2014 - 11:37
MBOUR A L'HEURE DES CHARETTES ET CALÈCHES

Une économie au sabot

 

La ville de Mbour, compte tenu de sa démographie galopante, est confrontée à un véritable problème de transport. À côté des ''taxis clandos'', les calèches et charrettes constituent une alternative aussi bien pour le transport en commun que pour celui du poisson. En plus de faire partie du décor, depuis des décennies, elles facilitent le déplacement des personnes et de leurs biens. Aujourd’hui, une économie toute entière s'est développée autour de l'exploitation du cheval. Mais, c'est sans compter avec les autorités municipales qui veulent les faire disparaître du décor. 

 

C'est le petit matin, les chants des coqs résonnent dans les quartiers périphériques de Mbour Sérère et de la Zone Sonatel. Les gens commencent à vaquer à leurs occupations. Leur destination reste le centre-ville. D'aucuns rejoignent leurs ateliers, d'autres vont au marché ou au port. Le charretier Ngor Sène, à l'instar de ses compatriotes, s'apprête à  vivre une autre journée de dur labeur. Sa calèche, communément appelée «làngàl» a été spécialement aménagée pour transporter une dizaine de personnes. Une fois apprêtée, il s'en va à la recherche de clients.

Le cocher et l'animal se comprennent à merveille. «Lorsqu’on a un animal de somme, il faut l’élever d'une manière spécifique. Chaque geste a un sens», renseigne-t-il. Pourtant les gestes ne suffisent pas, car Sène emploie un ensemble de mots, souvent d’onomatopées qui font que le cheval avance vite, ralentit ou s'arrête. 

A cette heure matinale, le cocher se dirige vers l’arrêt de Mbour sérère souf (un quartier périphérique de la ville de Mbour). ''Marché, marché'', lance-t-il aux passants. Les clients viennent petit à petit. La plupart sont des femmes qui vont au marché pour vendre de la marchandise. Une quinzaine de minutes lui suffisent pour avoir 8 clients. Il décide de partir.  «Même si je n’ai pas encore le nombre, je suis obligé de partir. Il se peut que j’ai la chance d’avoir d’autres clients en cours de route», souligne-t-il. Son espoir n'est pas déçu.

Deux coins de rue plus tard, il rencontre deux clients. Leur loi leur impose 10 clients à bord, en plus du cocher. Avec ce poids, tantôt le cheval trottine, tantôt il va en galop. Comme pour lui donner du courage, le cocher utilise la chicotte, mais d’une manière modérée, ponctuant la marche du cheval de : «tiam ! atia way !). À chaque fois qu’il prononce ces mots, l’animal augmente de vitesse, prouvant la grande complicité entre les « deux amis ». 

Arrivé au marché où se trouve l'aire de stationnement des charrettes en provenance de Mbour sérère et de la zone sonatel, tout le monde descend et paie le transport (50 F Cfa). Vu le trajet, le prix du transport est très modique. 

Une misère

Pourtant les cochers n’ont pas le choix, car ils sont rudement concurrencés par les ''taxis clandos'' qui pratiquent le prix de 100 F par client. «Il fut un temps, nous avions augmenté le prix de 25 F, mais la clientèle avait boudé. D’année en année, ces Mbourois des quartiers périphériques se contentent des pièces de 50 F», raconte Simon Sall. Pour avoir une autorisation de transporter des clients, chaque charretier verse 30 000 F.

«Il y a de cela 10 ans, l’activité la plus rentable était le transport avec l'aide de calèches'', se rappelle le vieux Ndiaye. Il fallait louer la calèche à partir de 300 F. En plus des bagages, seulement trois personnes pouvaient monter à bord. A côté des ''langal'', il y a les charrettes pour le transport du poisson. Elles font la navette entre le port et Mballing (un village limitrophe de la commune de Mbour, en allant vers Joal). Là, on prépare le poisson fumé.    

Un système financier dense et large

À Mbour, la journée d'un charretier est un saut vers l'inconnu.  À la fin de la journée, il peut se retrouver avec 5000 F. Mais souvent, c’est le marasme. Les plus chanceux ont un contrat de location avec les parents d’élèves. Ils transportent les élèves 4 fois par jour : le matin, à la sortie à midi, l'après-midi et le soir à 17h. Pour ces 4 trajets par jour, le cocher peut empocher 20 000 F, par élève, par mois. Avec le transport de poisson, ils gagnent entre 3 000 à 4 000 F, par voyage. Quand il y a beaucoup de poissons, les charrettes peuvent faire six voyages, entre le quai de pêche et Mballing. Mais, lorsque le poisson se fait rare, ceux qui ont une clientèle fidèle peuvent faire 2 à 3 voyages. Les autres se contentent de raser les murs. 

Pourtant, l’existence des charrettes a permis la mise en place d'un système économique très élaboré dans la capitale de la Petite Côte. Les villages environnants (Gagna bougou, Mboulém, carrière, Mballing, Warrang etc.) se sont lancés dans la culture de haricot et d’arachide, pour le foin vendu aux charretiers. Partout, il y a des points de vente d'aliments pour cheval (foin, tourteaux, mil).

Les forgerons se frottent également les mains, en fournissant le fer de sabot et l’armure du cheval. En plus de ces corps de métier, la clientèle fait de l’épargne, en payant un transport à moyen coût. La municipalité aussi y trouve son compte. «Nous payons les taxes municipales à 250 F/j ou 3 500 F/mois. Avec ces centaines de charrettes, c’est beaucoup d’argent que nous mettons dans les caisses de la mairie», renseigne Simon Sall, le vice-président de l’association des charretiers.  

Dans le collimateur de la mairie

Pourtant ces derniers temps, les charretiers sont la cible des agents municipaux. «La mairie nous a déguerpis de notre aire de stationnement habituel», fulmine Simon Sall. «Nous avons beaucoup souffert, car nous étions devenus indésirables. Il a fallu l’intervention de bonnes volontés pour que la mairie nous donne une autre autre aire. Mais notre business est au plus mal. La mairie a installé une gare de taxis-clandos pour nous concurrencer. Nous faisons moins de profit. À Mbour sérère, c’est le marasme. Il n’y a plus de clientèle'', se lamente-t-il.

À Mbour, près de 60% des charretiers n’habitent pas dans la commune. Ils viennent des régions de Fatick, Diourbel et Thiès. Cette année, les récoltes n'ont pas été bonnes, à cause du dernier hivernage calamiteux.  Au village, les greniers sont vides et Mbour est devenu l’eldorado de ces jeunes désespérés qui cherchent de l’argent à envoyer aux familles qui se trouvent dans la campagne. 

LA MODERNISATION DES CHARRETTES

Tout un programme de campagne

Les prochaines locales et la course vers la mairie font de la question des charrettes un sujet de campagne. Certains candidats optent pour une modernisation de ces moyens de locomotion. C'est le cas de Mamadou Aïdara Diop de la liste majoritaire de Ngalu. «La ville de Mbour, dit-il, à ses spécificités, telles les villes de Saint Louis et de Rufisque. Il est donc préférable de moderniser ce transport, pour attirer des touristes, que de le liquider». 

Il veut que les calèches soient intégrées dans le transport à des fins culturelles et touristiques. Yèrim Mbagnik Diop de la liste majoritaire de l’Alliance pour la citoyenneté est sur la même longueur d'onde. «Sur le plan de la mobilité urbaine, on a un programme de modernisation des charrettes, allant dans le but de les embellir et de les sécuriser'', révèle-t-il. La coalition ALC va plus loin, en présentant les prototypes d’une calèche à 4 places et d'une autre de 6 places.

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TROIS QUESTIONS À... ALIOUNE DIOM, RESPONSABLE DE LA VOIRIE DE LA MAIRIE DE MBOUR.

«Les charrettes ne sont pas faites pour transporter des vies humaines»

 

On accuse les autorités municipales de mettre en place une politique de liquidation des charrettes. Qu’en est-il ?

Parler de liquidation, c’est trop dire. C’est juste le fait que Mbour est une grande ville, un lieu touristique. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place une politique d’amélioration du transport urbain. Nous ne pouvons pas laisser les calèches et les charrettes faire le transport en plein centre-ville. Tôt ou tard, nous allons les faire circuler dans la périphérie, ne serait-ce que pour leur sécurité et pour le décor, parce qu’il est beaucoup plus aisé de prendre un taxi que d’emprunter une charrette. Ces types de charrette ne sont pas faits pour transporter des vies humaines, mais plutôt de la marchandise. Nous sommes conscients que socialement, les cochers sont des responsables de famille, mais nous aurions souhaité qu’ils se limitent dans les zones inaccessibles aux véhicules motorisés.

Vous parlez de zone touristique, or on trouve des calèches dans des villes comme le Québec. Pourquoi la mairie ne pense pas à une modernisation de ce type de transport qui peut contribuer à attirer le tourisme ?

Je pense que la mairie ne serait pas apte à mettre en place ce système de calèches modernes. Ce sont les opérateurs économiques mbourois qui doivent le faire et que la mairie puisse les accompagner. Les opérateurs économiques doivent venir à Mbour, nous proposer un type de calèche qui remplit toutes les normes de sécurité et d'esthétique à même d'attirer la clientèle. Pour l’instant, nous organisons ce transport. Mais le jour où nous allons décider de les faire circuler en dehors de la ville, ceux qui auront ce type de projet seront accompagnés. 

Quelle est la contribution financière de la taxe prélevée sur les charrettes ?

Nous souhaitons avoir une organisation plus moderne pour nous adapter au développement de la ville et donner un service adéquat à la population. Les charretiers paient la taxe journalière de 250 F et la mensuelle de 3500 F. Ce qui fait qu’ils contribuent environ à 300 000 F par mois. Mais, la mairie ne peut pas déguerpir immédiatement les charrettes qui contribuent beaucoup au déplacement des Mbourois.

André BAKHOUM (MBOUR)

 

 

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