Quand les frondeurs adoraient le «dieu» Wade
Soutiens actifs hier de la gestion et des méthodes d'Abdoulaye Wade, les frondeurs du PDS semblent déterminés aujourd’hui à être ses plus grands pourfendeurs.
La fronde dirigée par Pape Diop et Cie, désormais (et pour longtemps ?) coalisés dans une alliance dénommée Bokk Gis-Gis, installe le Parti démocratique sénégalais (PDS) sous les feux de l'actualité. Opposés à la «logique de cooptations sur des bases et à des fins inavouées» du secrétaire général national, Abdoulaye Wade, ces barons libéraux, compagnons historiques de l'ancien président redevenu opposant, voudraient prendre leur destin politique en mains en «menant le combat à l’intérieur du PDS». Dans une posture tout à fait commode qui voudrait faire table-rase d'un passé un peu trop récent pour être rangé aux oubliettes.
Car, pendant 12 ans (et même plus si on tient compte des 26 ans d'opposition de Me Wade), aucun membre de Bokk Gis Gis n’a eu le courage d’apporter la moindre contradiction au… maître au risque de perdre le maroquin par lequel il était tenu aux ordres. Mais aujourd'hui, de «constante» avec les habits de démiurge qui lui étaient reconnus, Wade serait devenu «anachronique» jusqu'à susciter la compassion. Jadis «visionnaire» sans faille, l’ex-président est caricaturé sous les traits d'un «gestionnaire solitaire» qui met en péril la survie du Pds qu'il a créé de toutes pièces. Alors «leader généreux» au-dessus de la mêlée libérale, il se serait métamorphosé en dirigeant dont les «pratiques suspectes» le seraient «au détriment d’un processus démocratique» reconnu...
Et quoi encore ? Pape Diop, président du Sénat et tête de file des frondeurs, s’est toujours accommodé de la situation qu’il décrie aujourd’hui dans son parti. Tant que cela l'arrangeait. Jamais avare d'éloges à l'endroit du chef (presque) honni. Dans une interview au magazine Jeune Afrique, il déclarait : «Je n’ai d’autre ambition que de servir Abdoulaye Wade. La politique est un métier dans lequel je n’excellerai jamais. Il n’est pas dans ma nature d’user de manipulation ni de coups bas. J’ai hâte de retourner dans le monde des affaires». Plus dramatique par rapport aux revendications actuelles liées à la direction du Pds, cet autre propos : «Nous ne pouvons pas ne pas penser à la relève après avoir bien travaillé. Je soutiendrai le candidat que Wade aura désigné pour lui succéder. Et je jetterai dans la bataille mon argent, mon influence et mes relations pour qu’il gagne».
Aujourd’hui, le président du Sénat a fondamentalement évolué car le scénario qui ferait d'Oumar Sarr le patron du Pds semble écarté. Il est clairement dans une logique de rébellion. Même si ses rapports avec Me Wade ont été très tumultueux, l’ancien président de l’Assemblée a toujours joui des privilèges de Wade au point de cautionner ses décisions les plus discutables. A son actif : la mise en accusation de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck inculpé puis blanchi dans l’affaire des chantiers de Thiès ; la loi Ezzan qui amnistie les assassins du vice-président du Conseil constitutionnel en 1993, Me Babacar Sèye, ainsi que d'autres crimes de nature politique.
Mamadou Seck ?
Lui aussi ne semble pas dans une meilleure posture de crédibilité dans cette guérilla contre l'absolutisme légendaire d'Abdoulaye Wade. Il doit tout ou presque à son ex-mentor. Porté à la tête de l’Assemblée nationale à la faveur de l’éviction de Macky Sall, le maire de Mbao a trop souvent été considéré comme un bras séculier du pouvoir défunt. Comme avec Pape Diop, c'est par lui que Wade est passé pour faire approuver ses lois. Dont la pire a été le projet présidentiel relatif au ticket président-vice-président et contre quoi les Wade ont véritablement entamé leur descente inéluctable aux enfers, au lendemain des manifestations monstres du 23 juin 2011 devant les grilles de l'Assemblée nationale. Cette loi, si elle était passée, aurait résolu l'élection du 26 février en un seul tour de scrutin car l'une de ses dispositions stipulait que le président de la République pouvait être élu avec 25% des suffrages. Or, le candidat Wade avait obtenu 35% des voix au premier tour... A l’époque, Mamadou Seck était droit dans ses bottes par rapport à ce texte jugé dangereux par la plupart des observateurs, constitutionnalistes notamment. «Le texte est bon», disait-il, puisqu’il allait régler une double équation : «la stabilité institutionnelle» et «le respect du calendrier républicain». S’agissant de la révolte, M. Seck justifiait et se portait en bouclier de Wade : «Le président a écouté et entendu son opposition, a écouté, entendu sa majorité, a également écouté et entendu le message envoyé par les chefs religieux. Je pense que dans sa posture, il ne pouvait pas ne pas tenir compte de tout cela. C'est pour cela qu'il a pris la décision sage de retirer le texte».
Ousmane Masseck Ndiaye
Si la présence de Mamadou Seck dans le groupe des frondeurs est une surprise, celle d'Ousmane Masseck Ndiaye l'est un peu moins. Le président du Conseil économique et social (CES) a toujours été couvé de l’ex-président de la République en dépit de sa gestion controversée lorsqu’il était à la Poste. Renvoyé du gouvernement à la suite de sa défaite aux élections locales de 2009, l’ex-maire de Saint-Louis sera «réhabilité» en atterrissant au CES. Une bonne planque qui avait fini de faire jaser ses adversaires politiques comme Awa Ndiaye qui lui contestait le leadership dans la vieille ville. L’homme ne ratait jamais l’occasion de vanter les mérites de son ex-mentor à qui il attribue un bilan élogieux. «Plus de 100 milliards ont été investis dans cette ville, 53 milliards à Pikine, le pont Faidherbe a reçu un portefeuille de 23 milliards, ces infrastructures routières et hospitalières sans compter les nombreuses réalisations dans le domaine de l’éducation», indique-t-il. Puis d’ajouter : «La construction du port de pêche et celle de l’aéroport international de Saint-Louis suffisent comme preuves palpables pour réélire Wade au second tour». Hélas ! Son candidat sera battu à l’issue du second tour du scrutin de la présidentielle par Macky Sall.
La même conviction était affichée par Thierno Lo avant le premier tour. Aujourd’hui congédié, l’ex-ministre du Tourisme, membre du directoire du candidat Abdoulaye Wade, affiche sa farouche opposition à la «dévolution du PDS» à Karim Wade. «Wade a mis les hommes et les femmes de Karim», déclarait-il dans le journal Le Quotidien. Une position nouvelle que l'on n'a jamais entendue de lui quand il était «à l'intérieur». Fondateur du «Mouvement des amis de Thierno Lô pour la réélection de Wade en 2012» (MAT RAW), celui que des confrères ont surnommé Zidane, est pourtant présenté comme une forte tête. Un caractère qu'il devrait au fait qu'il est issu d'un parti qui a fusionné avec le Pds, la Cdp Garab-gi du Pr. Iba Der Thiam.
Moussa Sy
Il donne l'impression d'être un dur à cuire et apparaît comme le plus intransigeant de la bande à Pape Diop. Pourtant, Moussa Sy, le député-maire des Parcelles Assainies, a longtemps joué les va-t-en-guerre contre les oppositions à l'Assemblée nationale, notamment aux premières heures de l'alternance. Sur le tard, il s'est aperçu que Karim Wade, ex-tout-puissant rejeton d'un ancien président de la République à qui rien ne résistait, était assimilable à «Tann Bombé» (un garçon gâteux dans le téléfilm Ndogu li). Pour beaucoup d'observateurs, la radicalité qu'il affiche aujourd'hui contre Abdoulaye Wade sonne faux. A ne pas oublier : il est l'auteur du fameux amendement qui, en 2001, avait permis au nouveau régime d'Abdoulaye Wade de dissoudre la totalité des collectivités locales démocratiquement élues et de les remplacer par des délégations spéciales... Les temps ont bien changé.
DAOUDA GBAYA