Publié le 5 Mar 2015 - 05:44
MAROC

Les galères de Rokhaya, jeune nounou sénégalaise sans papiers à Tanger 

 

Rokhaya, jeune nounou sénégalaise sans papiers, vivote depuis des mois à Tanger et tente d'oublier une expérience récente dans une famille aisée de la ville, faite d'exploitation et de brimades racistes. 

 

Rokhaya (nous avons changé le vrai prénom de la jeune femme préserver son anonymat, NDLR) vient de Thiès, à 70 kilomètres à l’est de Dakar. En mars 2013, la jeune femme n’a pas eu besoin de visa pour entrer à Dakhla. "Quand tu viens du Sénégal, on te donne trois mois automatiquement." Rokhaya baisse la tête, esquisse une moue résignée. "C’est pour prolonger le séjour, après, que ça se complique." Pour travailler aussi.

Dans la province d’Oued Eddahab, très peu de débouchés s’offrent à cette aide-infirmière diplômée de 23 ans. "J’ai essayé de travailler dans des pharmacies mais à chaque fois, on me disait que le budget était serré, qu’on ne pouvait pas me payer." Elle décide alors de rejoindre des "frères" sénégalais à Tanger. L’un d’eux, Arona Samb, l’accompagne aujourd’hui. "Tanger, c’est presque l’Europe, il y pleut des jobs par milliers, ironise le jeune homme. C’est ce que tout le monde entend avant de débarquer ici." Et de tomber de haut, souvent.

Corvées et insultes racistes

Après une tournée des officines, aussi infructueuse qu’à Dakhla, Rokhaya entend parler d’une famille aisée qui cherche une "nounou" pour deux enfants de neuf et sept ans. Au regard des tarifs pratiqués à Tanger, la rémunération, 2500 dirhams par mois, semble décente. Mais la jeune Sénégalaise réalise bien vite l’envers du décor : ici, nounou veut surtout dire employée de maison corvéable à merci. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de mères utilisent de manière décomplexée le mot "noubonne", néologisme signifiant nounou et "bonne" à tout faire. "Il fallait arriver suffisamment tôt pour préparer le petit déjeuner, habiller les enfants, les emmener à l’école puis aller les chercher, se souvient Rokhaya. L’après-midi, il fallait faire le ménage, beaucoup de ménage. En principe, je devais quitter à 17 h. Mais très souvent, je partais une ou deux heures plus tard."

Une besogne dont la jeune femme aurait pu s’accommoder, bon gré mal gré, si elle ne s’accompagnait systématiquement de brimades et autres insultes racistes. "Ça hurlait en permanence dans cette maison. J’étais la "Azzia" ("négresse" en darija marocaine) de service. Même les enfants m’appelaient Azzia plutôt que par mon prénom. Le pire, c’est que je ne pouvais même pas riposter." Difficile de se défendre quand on est seule et, la plupart du temps, en situation illégale. "Les filles vivent sous la menace de se faire dénoncer, expulser, déplore Arona Samb. Elles connaissent rarement leurs droits, ne savent pas que la police peut prendre leur défense et accuser la famille dénonciatrice d’exploiter une sans papiers."

Car, en principe, la loi oblige l’employeur à "déclarer la nounou à la Caisse nationale de sécurité sociale et à prouver que le travail qui lui est proposé ne peut être accompli par une employée marocaine", explique Saïd Bouamama, président de l’Association Rencontre méditerranéenne pour l’immigration et le développement (Armid). "Hélas, la majorité des familles qui recourent à cette pratique le font dans l’illégalité totale, ce qui fait qu’à la direction de l’emploi, le flou est complet sur la situation de ces immigrées, poursuit le militant associatif. Elles sont sous-payées et tolèrent plus l’humiliation que les autres."

Un privilège devenu accessible aux classes moyennes

"La préférence pour ces femmes réside apparemment dans le fait qu’il s’agit d’un travail de qualité, bon marché, discret et exercé par des francophones, écrit l’universitaire Nazarena Lanza dans l’ouvrage collectif D’une Afrique à l’autre (Éditions Karthala, 2011). Le bouche-à-oreille a certainement contribué à leur faire une bonne réputation. Ce qui autrefois était un privilège limité à certaines grandes familles qui avaient gardé cette habitude en continuité à la pratique de l’esclavage (encore banale au début du XXe siècle), devenait accessible à la classe moyenne."

Au chômage depuis des mois, en instance de régularisation, Rokhaya ne baisse pas les bras pour autant. Elle aide comme elle peut dans un restaurant sénégalais et vit chez des compatriotes en attendant des jours meilleurs. Pas question en tout cas de rentrer à Thiès. "J’y ai travaillé avec trois médecins. Un seul me payait de temps en temps, et ça ne dépassait jamais les 70 000 francs CFA, sauf pendant les campagnes de vaccination où j’étais payée environ 3 000 francs par jour. Je ne peux pas aider ma famille avec si peu d’argent."

(jeuneafrique.com)

 

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