Publié le 31 Mar 2015 - 10:38
CONTRIBUTION

À propos du décret portant application de la loi relative à la déclaration de patrimoine

 

Le Journal officiel n° 6821 du 24 novembre 2014vient de publier le décret n° 2014-1463 du 12 novembre 2014 portant application de la loi n° 2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine.

Force est de constater que le décret précité, signé sur le rapport du Ministre de l’Intégration africaine, du NEPAD et de la Promotion de la Bonne gouvernance, dans son corpus comme dans ses annexes, révèle des inexactitudes, omissions, incohérences et infirmités qui incriminent les conditions tout autant que les problèmes de sa préparation. Les lecteurs en jugeront d’eux-mêmes. À l’examen, le texte suscite pas moins d’une dizaine de remarques.

1)  L’inexactitude sur la promulgation de la loi relative à la déclaration de patrimoine

Il est inexact de dire dans le rapport de présentation que la loi n° 2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine a été promulguée en application de l’article 7-1 de la loi du 27 décembre 2012(à savoir la loi portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques).Il importe de rappeler que le paragraphe 7.1 de la section 7 « Intégrité des acteurs » de l’annexe du Code susvisé renvoie à « une  loi spécifique qui précise les conditions et le périmètre d’application du principe selon lequel tous les détenteurs de toute autorité publique, élus ou hauts fonctionnaires font une déclaration de leur patrimoine en début et en fin de mandat ou de fonction et la même loi spécifique doitdéfinirles infractions et sanctions de tout enrichissement illicite ».Ce qui n’est pas du tout le cas de la loi n° 2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine. En effet, il est d’évidence que le champ d’application de la loi du 2 avril 2014 diffère de celui retenu par le Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques.

A l’occasion de l’examen du projet de loi relative à la déclaration de patrimoine, cette question avait été soulevée par des membres de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale. Je suis du même avis que les députés qui soutenaient que, dans le Code de Transparence du 27 décembre 2012, tant les personnes détentrices d’une autorité publique que celles qui sont élues doivent faire une déclaration de patrimoine. 

      2)  La base juridique du décret n’est pas clairement établie

On peut se demander en vertu desquelles dispositions de la loi relative à la déclaration de patrimoine a été pris le décret du 12 novembre 2014. En effet, le législateur ne mentionne qu’un seul décret d’application dont l’objet est de fixer la liste des personnes assujetties à la déclaration (voir article 7 de la loi).

      3) L’omission des ministres dans la liste des assujettis

À l’article premier, on constate l’omission des ministres dans la liste des personnes assujetties à la déclaration de situation patrimoniale.

4)  La référence imprécise du texte définissant les catégories d’agents chargés de l’exécution du budget

L’article 2 débute par le membre de phrase «  au sens la loi n° 2014-17 du 2 avril 2014 » pour définir ce qu’on entend  par « administrateur de crédits », « ordonnateur de recettes et de dépenses »  et « comptable public ».L’emploi de la locution « au sens de » laisse penser que la loi du 2 avril 2014 définit les concepts d’administrateur  de crédits, d’ordonnateur et de comptable public. Or, tel n’est pas le cas : ces notions sont définies dans le décret portant règlement sur la comptabilité publique.

      5) La mention à une catégorie d’agents (les administrateurs de crédits) qui n’existe plus

S’agissant des administrateurs de crédits, la définition donnée à l’article 2 est celle du décret du 13 mars 2003 portant règlement général sur la comptabilité publique, dont les dispositions sont abrogées et remplacées depuis le 1er janvier 2012 par le décret n° 2011-1880 du 24 novembre 2011. C’est dire que le droit existant ne reconnaît plus les administrateurs de crédits comme personnels chargés de l’exécution du budget de l’Etat. Le législateurn’aurait pas dû ajouter les administrateurs de crédits dans la liste des assujettis.

6) La non-exhaustivité dans l’énumération des catégories d’agents (ordonnateurs et comptables)

Notre décret en question (article 2) précise que les ordonnateurs délégués ou secondaires sont également concernés au même titre que les ordonnateurs principaux. Et quid des ordonnateurs suppléants et des fondés de pouvoirs et mandataires des comptables publics ?

   7) Le périmètre incomplet du montant fixé comme  seuil pour l’assujettissement à la déclaration

D’après le dernier alinéa de l’article 2, le montant d’un milliard de francs CFA fixé comme seuil « concerne les crédits reçus du budget général augmentés, éventuellement, du montant des financements ….. ».En se limitant aux crédits reçus du budget général de l’État, les rédacteurs du décret ignorent les crédits des comptes spéciaux du Trésor ainsi que les opérations de trésorerie que les comptables publics sont autorisées à effectuer, sans parler du portefeuille des titres au regard de la définition du comptable public donnée à l’article 2 du présent décret.

8) Le défaut d’objet d’énumération

Selon l’article 4, « (les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses et les comptables publics ….) sont tenus de déposer leur déclaration dans un délai de trois(3) mois suivant leur nomination ou élection…. ».Dans le droit budgétaire actuel, les administrateurs de crédits, les ordonnateurs et les comptables publics sont des personnels nommés et non élus : les mots « ou élection » sont à supprimer.

   9)  La discrimination de régime matrimonial

L’article 7 exige que les assujettis mariés sous le régime communautaire déclarent les biens de la communauté ou les biens réputés indivis. Pourquoi l’emploi de la conjonction « ou » ? Les personnes  mariées sous le régime communautaire tout comme celles mariées sous le régime de la séparation des biens peuvent posséder des biens réputés indivis. S’agissant des biens indivis, le déclarant ne doit préciser que sa part des droits indivis.

Sur un autre registre, on constate que le décret, comme du reste la loi relative à la déclaration de patrimoine, est muet sur la déclaration des biens soumis au régime dotal (article 384 du Code de la Famille) différent du régime dela séparation des biens et du régime communautaire.

10)  Les modalités d’application de l’article 12sont à clarifier

Cet article énonce que « l’OFNAC procède à la vérification de chaque déclaration de patrimoine composée du formulaire rempli, des pièces justificatives et de la note explicative ».La question que nous posons est de savoir quelles vérifications l’OFNAC est-il en droit de faire en ce qui concerne les premières déclarations de patrimoine. Les vérifications de fond qui incombent à l’OFNAC ne sauraient concerner que les déclarations de fin de mandat, de renouvellement ou de cessation d’une fonction.

Terminons par les annexes du décret qui ne sont pas épargnées dans ce travail à tout le moins imparfait.

     11) Des mentions erronées dans les annexes 1 et 2

Dans l’annexe 1, il est mentionné les administrateurs de crédits des établissements publics, des agences et de diverses autres structures administratives assimilées alors que le régime financier de ces entités ne reconnaît pas l'administrateur de crédits comme une catégorie de personnel chargée de l'exécution de leur budget (voir le décret  n° 2014-1472 du 12 novembre 2014 fixant le régime financier et comptable de ces structures).

Une autre mention erronée est le fait d’affirmer, dans l’annexe 2(au point 1 relatif aux indications à lire avant de remplir le formulaire), qu’« en application de  la loi n° 2014-17du 2 Avril 2014, les autorités publiques, élus comme hauts fonctionnaires, chargés de la gestion des deniers publics, doivent déclarer la situation de leur patrimoine » :la loi du 2 avril 2014 ne vise pas toutes les autorités publiques, ni tous les élus et hauts fonctionnaires et de plus, elle ne se limite pas à des personnes chargées uniquement de la gestion des deniers publics.

12)  Une inexactitude juridique à corriger

Lamention manuscrite qui est à la fin du formulaire de déclaration et avec pour titre«Engagement sur l’honneur »commence par « Je jure sur l’honneur que…. ».La loi ne dit pas que les personnes concernées doivent jurer sur l’honneur mais plutôt qu’elles certifient sur l’honneur exacte et sincère leur situation patrimoniale. Il convient de s’en tenir à la rédaction ci-après plus conforme à la loi : « Je certifie sur l’honneur que  les informations (..….) sont exactes et sincères »

P.S. : À Monsieur le Ministre de l’Intégration africaine, du NEPAD et de la Promotion de la Bonne

gouvernance

Monsieur le Ministre,

Les citoyens sénégalais peuvent-ils connaître pourquoi le Gouvernement tarde à publier ou plutôt ne veut pas publier au Journal officiel les trois décrets d’application prévus aux articles 8, 18 et 20 de la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’OFNAC, comme l’exige la loi ? Il n’est point besoin de rappeler que le droit des citoyens à l’information est un élément important à respecter dans la promotion de la bonne gouvernance.

Mamadou Abdoulaye SOW

Inspecteur principal du Trésor à la retraite, ancien ministre

Dakar – Sénégal

mamabdousow@yahoo.fr

 

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