Publié le 25 Nov 2015 - 08:34
CONTRIBUTION

Leaders de Bennoo Bokk Yaakaar, encore un peu plus loin !

 

Les leaders de la Coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) ont donné une conférence de presse le 19 novembre 2015, pour rendre publique leur position par rapport à certaines questions qui alimentent l’actualité. Les leaders de la mouvance présidentielle se sont ainsi  prononcés sur l’appel du Cadre de Concertation de l’Opposition à manifester devant l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015, les chaudes empoignades entre partisans de Modou Diagne Fada et de Mme Aïda Mbodj qui se disputent âprement le contrôle du Groupe parlementaire « Libéraux et démocrates », la position du Président de la République par rapport au terrorisme, la privatisation de la Suneor, etc.[1].

Pour ce qui concerne les troubles qui ont secoué l’Assemblée nationale, les leaders de BBY déplorent et rejettent catégoriquement l’idée d’une quelconque crise, car l’Institution « fonctionne correctement ». De leur point de vue tout au moins, et c’est leur liberté. Cependant, on peut se poser légitimement des questions, si on considère que nombre de ces alliés du Président de la République ont porté les « Assises nationales du Sénégal » (ANS) sur les fonts baptismaux et les ont conduites  jusqu’à terme. Si ces gens-là, dont les plus représentatifs pourraient être considérés comme les pères desdites Assises estiment, aujourd’hui, que l’Assemblée nationale « fonctionne correctement », il y a des questions à se poser.

Ils ont, avec l’ensemble des membres des ANS, produit trois documents majeurs : la Charte de gouvernance démocratique, le Rapport général et un projet de Constitution. Pensent-ils, en toute sincérité, que l’Assemblée nationale qui a été secouée par les soubresauts dérisoires que l’on sait « fonctionne correctement », comparée à celle que nous avons proposée dans les trois documents précités ? Est-elle devenue « le lieu d’impulsion de la vie publique ? » Est-elle « dépositaire de la souveraineté et de la volonté du peuple », comme nous l’avons souhaité dans le cadre des ANS ? Peut-être, n’avons-nous pas la même compréhension du fonctionnement normal, correct de cette importante institution. Les députés que nous voyons à l’œuvre de 1960 à nos jours, sont davantage dépositaires de la volonté du Président de la République que de celle du peuple.

Oh ! J’entends déjà la réplique qu’on me fait : avec le référendum de mai 2016, tout sera réglé. Je n’en suis pas du tout convaincu. La réforme des institutions devrait être la priorité des priorités pour le successeur du Président Wade. C’était une forte demande sociale,  bien plus forte que la baisse des denrées de première nécessité. Le successeur du vieux président a attendu plusieurs mois pour mettre en place la Commission chargée de les réformer. Il réserve ensuite un accueil presque glacial aux conclusions de ladite Commission et achève d’anéantir tous les espoirs avec sa déclaration « qu’ (il n’en) prendrait que ce qu’ (il) juge bon ». S’y ajoute que son conseiller spécial chargé des questions juridiques, le très compétent Pr Ismaïla Madior Fall, dresse rapidement une véritable muraille de Chine entre le Président de la République et la volonté populaire, exprimée dans les conclusions de la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Le prochain et très lointain référendum qui portera sûrement ses marques indélébiles, comportera plus de propositions « déconsolidantes » que de propositions « consolidantes ». Nous n’en attendons donc rien de particulièrement consistant.

Pour revenir à la conférence de presse du 19 novembre 2015, les leaders de la Coalition BBY se sont d’abord félicités de la décision de l’Etat de se séparer de l’ex-actionnaire majoritaire de la Suneor. Ils ont ensuite exprimé le souhait de voir cet Etat « ouvrir une enquête sur la privatisation de la Sonacos devenue Suneor, par l’ancien régime libéral ». L’un des leurs, le doyen Robert Sagna, s’en est chargé en ces termes : « La Suneor a été cédée à moins de 6 milliards alors que sa valeur réelle était de 50 milliards de nos francs, sans compter sa valeur foncière. » M. Sagna poursuivra : « Il y a de sérieuses suspicions de bradage et de pillage dans cette affaire qu’il faudra élucider. »

La privatisation de la Sonacos date d’avril 2005 et a fait l’objet de plusieurs inspections, la dernière étant menée tout récemment par l’Inspection générale d’Etat, qui aurait déjà déposé son rapport. Cette fameuse privatisation n’a donc plus pratiquement rien de vraiment secret. Pourquoi nos amis de BBY attendent-ils une dizaine d’années après cette fameuse privatisation pour s’en émouvoir ? On ne peut plus parler de suspicions de bradage et de pillage dans cette affaire. Il n’est pas, non plus, pertinent de demander qu’on l’élucide. Nous savons bien aujourd’hui qu’il y a eu bradage et pillage dans cette privatisation. Et, des pillages et des bradages, il y en a bien d’autres, de nombreux autres, qui ont été révélés par les rapports de l’Inspection générale d’Etat (IGE) et de la Cour des Comptes.

Je ne m’appesantirai que sur quelques exemples typiques de bradage et de pillage, tirés du « Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes » de l’IGE (juillet 2014).

Nous nous souvenons encore du « monstrueux montage financier » du Monument dit de la Renaissance africaine. Cet exemple est classé par l’IGE dans la catégorie des « cas illustratifs de la mal gouvernance ». D’emblée, l’IGE fait remarquer que le financement du fameux Monument a été confié à un particulier, en contrepartie d’un paiement en nature improprement dénommé « dation de paiement ». Pour l’information du public, l’IGE rappelle ce qu’est  la « dation de paiement » : « Une opération juridique par laquelle, en paiement de tout ou partie du montant de sa dette, un débiteur cède la propriété d’un bien ou d’un ensemble de biens lui appartenant ». L’IGE a constaté, par les investigations qu’elle a menées, « de multiples violations de la loi et une absence totale du souci de préserver les intérêts de la collectivité ». Le Code des Obligations de l’Administration, le Code des Marchés publics ainsi que celui du Domaine de l’Etat ont été systématiquement et sans état d’âme violés. Je renvoie simplement le lecteur, et éventuellement nos amis de BBY qui ne l’auraient pas lu, au Rapport de l’IGE (pp ; 68-69-70-71-72-73-74-75). Ils se feront ainsi une idée exacte de la manière cavalière avec laquelle nos lois sont traitées, souvent à des niveaux très élevés.

Je me permettrai d’insister, cependant, sur le mauvais choix du mode de financement de l’ouvrage qui a coûté au contribuable sénégalais les yeux de la tête. Les contrôleurs ont cherché, cherché.  Point de trace, dans les comptes de l’Etat, du financement du très contesté monument. La raison ! Ce financement « a été pris en charge par un particulier pour vingt milliards (20 000 000 000) de francs CFA, en contrepartie de l’attribution, en pleine propriété, de terrains domaniaux d’une superficie de cinquante-six hectares, trois ares, cinquante-six centiares (56 ha 03 à 56 ca) ».

En réalité, le coût initial du projet était de douze (12 000 000 000) de francs CFA. Un « avenant » sous forme de travaux supplémentaires de huit (8 000 000 000) de francs CFA le portera à vingt milliards (20 000 000 000). Le « partenaire » vendra ensuite à deux démembrements de l’Etat, l’IPRESS et la Caisse de Sécurité sociale (CSS), deux parcelles de terrain de 184 353 mètres carrés l’un et de 27 652 mètres carrés l’autre, respectivement à vingt-sept milliards six cent cinquante-deux millions neuf cent cinquante mille (27 652 950 000) francs CFA et à deux milliards quatre cent trente-deux millions sept cent mille (2 432 700 000) francs CFA.

Le « partenaire » veinard se retrouve donc, dans cette transaction facilitée sûrement par le « fabricant de milliardaires », avec un gain de sept milliards six cent cinquante-deux millions neuf cent cinquante mille (7 652 950 000) francs CFA, compte non tenu des trente-six (36) hectares restants. Ce veinard qui, dans toute grande démocratie qui se respecte, aurait eu sûrement maille à partir avec la Justice, qui n’épargnerait certainement pas celui qui en a fait aussi facilement un milliardaire. Au lieu de cela, il se la coule au su et vu de tout le monde, bien blindé.

Un autre acte de mal gouvernance flagrante que je vais résumer pour que ce texte soit mois long, c’est l’acquisition, par l’Etat – l’Etat-homme  –, des terres du général Chevance Berlin à Bambilor. Dans cette affaire, les contrôleurs ont relevé un détournement d’objectifs, des violations manifestes de la loi (encore), la perte de ressources fiscales, l’enrichissement sans cause de particuliers au détriment de la collectivité nationale et du Trésor public, etc. Le Titre foncier n° 1975/R est situé dans le Département de Rufisque et des villages traditionnels y sont implantés. Sous le prétexte fallacieux de « sécuriser ces villages et prévenir tout risque de contentieux entre leurs habitants et les propriétaires inscrits au Livre foncier, l’Etat a engagé une opération d’acquisition du Titre foncier. Cependant, la manière dont l’opération a été menée a révélé que l’objectif ainsi déclaré n’était qu’un prétexte et que le soubassement véritable était un projet planifié d’enrichissement de particuliers ».

Les contrôleurs constatent ensuite, tout naturellement, que «  les terres acquises par l’Etat ont été cédées à des particuliers, qui les ont revendues notamment à la Caisse de Sécurité sociale (encore elle), à la Caisse des Dépôts et Consignation et à une coopérative d’habitat dans des conditions qui ignorent toutes les règles de gestion du patrimoine foncier de l’Etat ». Pendant que l’Etat-homme (l’expression est de moi-même) enrichissait illicitement des particuliers qui renvoyaient sûrement l’ascenseur, l’Etat-Institution perdait dans les différentes opérations, « hors toutes pénalités, amendes et intérêt de retard, la somme de trente milliards cinq cent trente-trois millions quatre cent cinquante-six mille (30 533 456 000) francs CFA ».

Je n’ai fait que résumer. J’invite le lecteur en général et, en particulier, nos amis de BBY qui n’ont pas encore lu le Rapport des contrôleurs de l’IGE à parcourir les pages 76-77-78-79. Ils seront indignés de la manière dont l’homme-Etat a conduit de bout en bout cette affaire rocambolesque.

Le Rapport met en évidence de nombreuses autres affaires qui sont des cas caractérisés de mal gouvernance. Il en est ainsi, pour ne citer que celles-là, de la Maison du Sénégal à New-York, de l’Université du Futur Africain, des agences nationales et du gros Festival mondial des Arts nègres (FESMAN). Je les passerai en revue, dans deux ou trois prochaines contributions, encore plus si c’est nécessaire, avec la seule motivation d’être informé, à partir de sources sûres, sur la manière dont notre pauvre pays est gouverné, hier comme aujourd’hui. En attendant, je reviens à nos amis de Bennoo Bokk Yaakaar, à ceux de Bennoo Siggil Senegaal en particulier.

Ils demandent que l’affaire de la Suneor soit élucidée. Ils enfoncent une porte ouverte : cette affaire l’a déjà été, comme de nombreuses autres d’ailleurs. Il suffit de lire les rapports de l’IGE et de la Cour des Comptes qui font un excellent travail. Malheureusement, les recommandations pertinentes qu’ils font sont rarement suivies d’effets. Les fautes de gestion – parfois carrément du maa tey  –  qu’elles mettent en évidence ne sont jamais sanctionnées, ou le sont rarement. Au lieu donc d’appeler à de nouvelles enquêtes, les alliés du Président de la République devraient l’encourager à sanctionner sévèrement les champions de la mal gouvernance, qui continuent allègrement leurs massacres, étant persuadés que la moindre brindille ne leur tombera sur la tête. Par rapport à cette impunité manifeste, insoutenable, le mutisme des leaders de BBY inquiète. Les postes de ministre, de Dg, de PCA ou les  nombreuses autres stations seraient-elles passées par-là ? Nous nous posons en tout cas légitimement cette question, en attendant, probablement, les prochaines contributions.  

Dakar le 24 novembre 2015

Mody Niang, mail : modyniang@arc.sn

 

 

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