Publié le 27 Jan 2016 - 19:49
RAPPORTS ENTRE LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET LE MAIRE DE DAKAR

Bataille feutrée entre Macky et Khalifa Sall

 

Après avoir réussi à mettre presque toutes les forces politiques dans son escarcelle et à anéantir le Parti démocratique sénégalais (Pds), le leader de l’Alliance pour la République (Apr) a toujours tenté d’isoler ses adversaires politiques parmi lesquels Idrissa Seck, Malick Gackou, Karim Wade et potentiellement, Khalifa Sall. Entre ce dernier et le président de la République, une véritable bataille feutrée caractérise leurs relations.

 

Porté au pouvoir le 27 mars 2012 par une très large coalition qui a mobilisé presque toutes les forces politiques et civiles du pays, le président de la République s’est très vite attelé à anéantir l’opposition réunie au sein du Parti démocratique sénégalais (Pds). A travers ce qu’il est convenu d’appeler la traque des biens mal acquis, le leader de l’Alliance pour la République (Apr) a non seulement réussi à déstructurer le Pds, en enfermant beaucoup de ses caciques dont le fils de l’ex-président de la République, Karim Wade, mais aussi à démobiliser ses bases à travers une vaste opération de débauchage politique tous azimuts.  

‘’Acte 3 de la décentralisation’’

Après avoir ainsi réussi à cantonner ses alliés dans la mouvance présidentielle et neutraliser l’opposition, Macky Sall s’est en effet mis à isoler le maire de Dakar en qui il voit désormais son seul potentiel adversaire aux prochaines joutes électorales. Dans cette tentative d’isolement, le président de l’Apr ne lésine pas sur les moyens et se veut silencieux. Dès lors, il initie la réforme de l’Acte III de la décentralisation qu’il braque contre Khalifa Sall. Si l’objectif de départ de cette réforme était de construire des territoires cohérents, viables et porteurs de développement durable, il a très vite été dévié de son sens et utilisé comme arme politique pour faire le vide autour de l’édile socialiste. Ainsi, Khalifa Sall se voit dépouiller de toutes ses prérogatives, avec la communalisation intégrale entrée en vigueur après les élections locales de 2014. Alors que ses pouvoirs sont désormais limités, le maire de Dakar a été contraint d’abandonner ou de mettre en suspens certains de ses chantiers déjà entamés pour satisfaire les besoins exprimés des populations dakaroises.

Malgré tout, Khalifa Sall ne s’est pas pour autant avoué vaincu. Puisqu’à travers une intercommunalité, il tente tant bien que mal de contourner l’obstacle que constitue la réforme de l’Acte III de la décentralisation, en favorisant une gestion commune avec ses collègues élus sur la base des listes Taxawu Dakar. D’emblée, il a rejeté la réforme de l’Acte III de la décentralisation et s’est désolidarisé de ses camarades socialistes sur cette question. ‘’J’ai mon propre point de vue sur cette nouvelle réforme et j’ai déjà dit à mon parti que son opinion ne m’engage pas du tout. Le seul souci que j’ai avec l’Acte III de la décentralisation, c’est que la continuité territoriale qui garantissait la vie dans une organisation antérieure va être suspendue. Chaque commune va vouloir mener la politique qui lui semble appropriée sans tenir compte de certaines choses’’, a dénoncé Khalifa Sall. L’édile socialiste reste persuadé que ‘’l’Acte III de la décentralisation vient de mettre un trait sur 200 ans d’histoire de la Ville de Dakar et 300 ans pour Saint-Louis et Rufisque’’. ‘’C’est désolant de constater qu’au moment où beaucoup de pays prônent la métropolisation, notre pays opte pour un autre modèle de gouvernance’’, a-t-il regretté.  

‘’Investitures aux locales de 2014’’

Le régime ne s’est pas simplement limité à suspendre la réforme de l’Acte III de la décentration comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de Khalifa Sall. En plus de cela, il a tenté vainement de récupérer la ville de Dakar. Il a dès lors changé les règles du jeu politique. Alors que tout le monde s’attendait à des listes communes de la coalition de la mouvance présidentielle, Benno bokk yaakaar (BBY) en l’occurrence, l’Apr s’est isolée dans certaines localités où elle est allée seule. A Dakar, elle a présenté l’ancien Premier ministre, Aminata Touré, contre Khalifa Sall. Le mobile étant de conquérir d’abord la commune de Grand-Yoff, avant de lui ravir la ville de Dakar. Sentant le coup venir, Khalifa Sall a très vite mis en place une coalition dénommée Taxawu Dakar. Celle-ci, à l’issue des élections locales de 2014, a donné une belle raclée au régime, en gagnant 16 des 19 communes que compte la ville de Dakar. Un plébiscite sur fond de sanction politique du régime qui multiplie les assauts contre le maire de Dakar.

‘’Blocage par l’Etat de l’emprunt obligataire de la ville de Dakar’’

Le troisième acte de cette tentative d’isolement du maire de Dakar est le blocage de l’emprunt obligataire de la ville de Dakar. Celle-ci, dans le cadre de ses activités de développement, devait contracter un emprunt obligataire de 20 milliards auprès de la fondation américaine Bill et Melinda Gates, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) et la Banque mondiale. S’inquiétant du niveau d’endettement trop élevé de la ville de Dakar, le gouvernement du Sénégal a tout simplement bloqué le projet pour, dit-il, des raisons techniques.

Mais de tels arguments fournis par le Premier ministre et son ministre de l’Economie et des Finances n’ont pas convaincu Khalifa Sall, selon qui, ‘’l’Etat disposait déjà de tous les éléments du projet, avant même de donner son avis de non-objection’’. ‘’Ce qui nous gêne, c’est que l’Etat du Sénégal puisse se dédire. Tous les partenaires qui se sont engagés dans le projet, l’Usaid, la Banque mondiale, la fondation Bill et Melinda Gates, l’ont tous fait, parce que l’Etat nous avait donné un avis de non-objection’’, a soutenu à l’époque Khalifa Sall pour éclairer la lanterne des Sénégalais. Rapidement au sein de l’opinion, cette affaire est apparue comme une simple volonté de l’Etat de contrecarrer le plan de développement de la ville de Dakar entamé par Khalifa Sall et qui commençait d’ailleurs à porter ses fruits, avec le pavage de beaucoup de rues dans certains quartiers de Dakar.  

‘’Retrait des ordures aux collectivités locales’’

Alors qu’on n’a pas encore fini de parler du blocage de l’emprunt obligataire de 20 milliards de nos francs émis par la Ville de Dakar, l’Etat lui a retiré la gestion des ordures ménagères. Cela, a déploré Khalifa Sall, en violation des dispositions de la loi qui règlementent ce secteur. Selon Khalifa Sall qui a d’ailleurs saisi la Cour suprême, dans le cadre de cette affaire, ‘à défaut de rendre les ordures aux collectivités locales, après la dissolution de la CAR, l’Etat devait d’abord modifier les dispositions du Code général des collectivités locales, comme l’avait fait le régime précédent’’. ‘’Le régime précédent avait modifié les dispositions du CGDCL et avait décidé de reprendre les ordures et de les gérer lui-même’’, a-t-il soutenu au cours d’un conseil municipal de la Ville de Dakar, à l’issue duquel il a manifesté toute sa détermination à aller jusqu’au bout de cette affaire aux relents politiques. ‘’La Ville de Dakar va s’occuper de ses ordures, parce que, ce que l’Etat ne prend pas en compte, c’est que l’autorité naturelle compétente pour s’occuper d’ordures, c’est le maire’’, a lancé l’édile socialiste sur un ton défiant.

Va-t-il franchir le pas ?

Il ressort de ces différents assauts du régime pour contrecarrer les plans du maire de Dakar ou pour tenter de l’isoler que cela n’a apparemment fait que renforcer sa légitimité politique. Car à l’évidence, Khalifa Sall est jusqu’ici sorti grandi de ces épreuves. Auparavant, il n’était que le maire de Dakar, crédité certes d’un bon bilan mais, il devait, au sein du Ps, faire face au leadership d’Ousmane Tanor Dieng et aux ambitions affichées d’Aïssata Tall Sall, dans une sorte de triumvirat. Les coups de boutoir incessants du pouvoir l’installent sur une forme de piédestal. Khalifa Sall apparaît désormais comme l’alter ego du candidat ‘’apèriste’’ et son challenger, même s’il ne s’est pas encore déterminé pour la prochaine présidentielle. Toutefois, les mouvements de soutien à sa future et probable candidature sont un signe avant-coureur et surtout l’expression du désir qu’il se présente à la future élection.

De plus en plus, il bénéficie de soutien et de sympathie au sein de son parti où des voix s’élèvent pour soutenir sa candidature. Mais jusqu’ici, les instances régulières du Parti socialiste ne se sont pas encore prononcées sur la question et n’ont pas encore arrêté une quelconque décision allant dans ce sens. Alors que l’actuel secrétaire général du parti, Ousmane Tanor Dieng, n’a pas encore clairement exprimé sa position sur sa probable candidature à la candidature du Ps, le chemin n’est pour autant pas balisé pour Khalifa Sall qui pourra faire face, à d’éventuels responsables socialistes comme le porte-parole du Ps, Abdoulaye Wilane, le maire de Podor Aïssata Tall Sall ou encore l’actuel ministre de l’Education nationale, Serigne Mbaye Thiam, sans compter OTD.

Khalifa et ses ambitions

Même si en apparence Khalifa Sall n’avance pas à visage découvert et n’a pas encore clairement déclaré sa candidature à la candidature du Ps, il pose néanmoins des actes qui trahissent souvent ses ambitions d’être investi comme le seul candidat du Ps. A tort ou à raison, nombreux sont les responsables socialistes qui l’accusent d’être derrière les récentes déclarations du maire de Médina, Bamba Fall et de celui de Mermoz-Sacré cœur, Barthélemy Dias qui, au cours d’un meeting tenu récemment à Grand Yoff à Dakar, l’ont investi comme le seul et unique candidat du Ps. Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que le chemin ne sera pas de tout repos pour le maire socialiste, si jamais il se décidait à aller à l’assaut des suffrages des Sénégalais qui lui donnent déjà une stature de présidentiable, au vu de ses résultats à la tête de la mairie de Dakar, depuis 2009. A défaut de sonner une dissidence en interne, il doit d’abord affronter les réalités de son parti avant d’affronter le candidat de l’Apr qui, avec les réformes institutionnelles engagées, peut facilement rempiler à la tête du pays.      

ASSANE MBAYE

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