Publié le 8 Dec 2017 - 21:47
FERMETURE DE L’AÉROPORT DE DAKAR

Senghor vous dit au revoir !

 

C’est officiel, Senghor a passé le témoin à Blaise. Depuis hier, a eu lieu la délocalisation de l’aéroport international du Sénégal vers Diass. Mais, du côté de Yoff, ça n’a pas fait que des heureux. Alors que certains regrettent la fin d’une histoire, d’autres déplorent une perte de leur outil de travail.

 

Son enfant attaché dans son dos à l’aide d’un pagne, une sacoche à la main, Khady Badji, alias ‘’Trump’’, tient fermement quelques billets de banque. Dans cette petite liasse, il y a du franc Cfa, du dollar et de l’euro. Elle ne cesse de répéter les mêmes gestes sur un périmètre réduit. Cette jeune dame cambiste vit ses dernières heures à l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Cette infrastructure mythique de la capitale sénégalaise devrait être fermée avant-hier 6 décembre à minuit (ça n’a pas été le cas, voir encadré). De toute façon, avec l’inauguration-ouverture du nouvel aéroport international de Diass, Senghor ne tardera pas à passer le témoin à Abdoulaye Wade (pardon, c’est plutôt Blaise Diagne).

En ce mois de décembre des années de changements climatiques, Dakar ne connait pas encore un froid mordant. A minuit passé, zéphyr caresse les visages des occupants et des visiteurs. Pas besoin de plus qu’une chemise pour se sentir au chaud. Mais, il n’en reste pas moins que la température reste très élevée, selon qu’on soit nostalgique ou inquiet, voire ‘’frustré’’. Comme Khady Badji, l’ensemble des cambistes risquent de voir leur carrière connaitre un atterrissage forcé, avec un redécollage pour le moins incertain. ‘’C’est triste de devoir partir d’ici. Certains ont fait 10 ou 15 ans, d’autres même 20 ans. Maintenant, il ne nous reste qu’à penser à faire autre chose’’, se plaint Dramé, un cambiste dans une veste noire assortie d’une chemise blanche. ‘’Nous sommes perdus, il suffit de regarder les visages pour savoir que nous sommes anéantis’’, renchérit Lamine Ndiaye.

Avec la fermeture de l’aéroport Dakar-Yoff, c’est toute une histoire et une partie de vie qui prennent fin ainsi. Khady est arrivée sur les lieux depuis 1985, lorsqu’elle avait 5 ou 6 ans. Cette Diola atteinte d’albinisme trainait sur cette superficie qui a fini de devenir son lieu de travail. Elle y a trouvé son mari, et comme ce petit de plus d’un an sur son dos, ses enfants aussi connaissent les lieux. Tout le contraire de Diass qui pourrait leur être raconté. C’est d’ailleurs la raison de la frustration de pas mal d’entre eux. Ils sont nombreux à être persuadés que l’histoire du nouvel aéroport ne devait pas s’écrire sans eux. ‘’On ne nous a pas prévus à Diass. D’après ce que j’ai entendu, nous ne sommes pas les bienvenus là-bas. Ce qui n’est pas normal’’, dénonce Hann, un recycleur de chariots. ‘’On devait prendre les anciens, ils s’y connaissent  le mieux. Nous sommes des habitués et nous connaissons comment ça fonctionne. Même des employés de l’aéroport viennent parfois nous demander des conseils. Nous guidons les passagers gratuitement’’, ajoute Khady et Lamine Ndiaye.

Profiter des complicités et des mauvaises habitudes

Avec la générosité des voyageurs, il pouvait gagner 10 000 à 20 000 F Cfa par jour. Cuisinier de formation, il a eu la clairvoyance de réfléchir trois mois avant à son redéploiement. C’est ainsi qu’il a parlé avec un voyageur qui lui a trouvé un travail dans son domaine de compétence. Et dès lundi, il doit retrouver son nouveau terrain. Dramé, par contre, n’a pas eu cette chance. C’est actuellement qu’il est en train de réfléchir sur ce qu’il fera. Dia est aussi dans le même cas. Ce jeune de plus de 30 ans, atteint d’un handicap physique, se déplace avec promptitude à l’aide des béquilles. En deux enjambées, il transverse une bonne distance pour se retrouver devant le nouvel arrivé à bord d’un taxi ou d’un véhicule particulier. Ne sachant pas quoi faire, lui comme Khady ont décidé de tout laisser entre les mains de Dieu, convaincus qu’ils sont que c’est le coup du destin.

Cependant, ce fatalisme n’est que de façade. Certains, à l’image de Khady, sont pourtant persuadés qu’ils trouveront leur place à Diass. ‘’Ce sera génial à Diass, je pense même que ce sera comme Dakar des années 1090, la belle époque. Ils ont fermé un aéroport pour en ouvrir un autre, il n’y a donc pas à s’inquiéter’’, relativise-t-elle sous un style rappé, propre à la jeune génération.

Ces propos corroborent ceux de Hann. Si l’on en croit ce dernier, une bonne partie des laissés pour compte n’entend pas rester sur la touche. ‘’Les gens sont déterminés à aller à Diass. Certains prévoient même de louer des chambres à côté’’. En fait, des différents discours, on comprend que, dans leur tête, c’est juste une question de temps. Ils vont juste aller en chômage technique et prendre le temps de nouer des complicités, mais aussi de laisser les mauvaises habitudes s’installer pour prendre leur ticket d’entrée.

Cet optimisme est aussi le résultat de la réalité actuelle. Considérés, à l’aéroport Léopold Senghor, comme des clandestins, ils ne le sont que de nom. Mais, dans les faits, ils opèrent aussi librement, autant que n’importe quel employé régulier. Les changes se font au vu et au su des forces de l’ordre. Les gendarmes en faction entendent même les marchandages avec les clients. De loin, ils peuvent les observer facilement, mais ils font semblant de n’avoir rien remarqué. ‘’Même ici, ce n’est pas permis, mais les gens font preuve de compréhension. Il y a la sécurité nécessaire pour nous démasquer et nous chasser des lieux, mais notre présence est tolérée’’, reconnait Dramé.

Les limites de la tolérance

Toutefois, cette tolérance n’est pas sans limite. Bien que tolérés, les cambistes doivent faire preuve de célérité dans les opérations. Ceux qui prennent trop de temps ou occasionnent du bruit peuvent en faire les frais. ‘’Parfois, les gendarmes nous arrêtent pour présence irrégulière, parce que nous n’avons pas de badge, ils nous emmènent au poste, parfois pendant des heures, avant de nous relâcher’’, révèle Hann. Il n’a pas fallu 10 minutes après son témoignage pour assister à un cas. Ayant pris ‘’trop de temps’’ pour une opération de vente de cadenas, Dia le handicapé s’est fait prendre et a été conduit au poste. Il sera fouillé, et son argent confisqué. Mais à peine un quart d’heure il est relâché avec ses biens. Mais au lieu de le laisser revenir auprès de ses camarades, l’agent lui a indiqué la porte de sortie. Fin de soirée pour lui !

Dans d’autres circonstances, le fautif peut même être déféré et aller en prison. Hann déclare avoir été présenté deux fois devant le juge. La première fois, il a menti pour s’en sortir, mais à la deuxième, il a été contraint d’avouer. ‘’J’ai été libéré et le juge a demandé qu’on ne lui envoie plus des cas pareils. Il sait que nous ne faisons rien de mal, nous sommes là pour travailler’’, se félicite-t-il.

Selon nos interlocuteurs, il y a entre 400 et 500 jeunes qui s’activent autour de l’aéroport. Ils sont cambistes, recycleurs de chariots, vendeurs de cartes de recharge de crédit ou en  détail, vendeurs de thé ou de café, taximen ou encore restauratrices. Depuis hier, une page de leur vie s’est fermée sans qu’une nouvelle s’ouvre à Diass.

Ces infortunés ne sont pas les seuls ‘’victimes’’ de la délocalisation. Valise sur le chariot, sac à dos accroché aux épaules, Moussa Ndiaye se dirige vers la salle d’embarcation. Ce jeune d’une trentaine d’années affirme faire régulièrement la navette Sénégal - Europe pour vendre des denrées alimentaires (huile de palme, poissons fumés…) aux expatriés. Ce jeune de la banlieue est particulièrement furieux  de la perspective de payer plus pour le même voyage. ‘’Nous ne pouvons pas faire avec les conditions qui sont fixées pour Diass. J’ai entendu des tarifs qui ne nous arrangent pas. Dans ce pays, on a l’impression que chaque régime qui vient fait ce qu’il veut. Il fallait une période de transition. Mais tel que c’est fait, c’est trop brutal’’, dénonce-t-il.

Passagers et travailleurs déjà nostalgiques

Assane Ndao habite Ngor. Pour venir à l’aéroport, ce monsieur d’une cinquantaine d’années a besoin de quelques minutes et pas plus de 1 000 F pour rallier les lieux. Ayant embarqué à Yoff, il devra débarquer à Diass, à 47 km de Dakar. Il s’inquiète lui aussi certes, mais pense que c’est un mal nécessaire. ‘’Aller à Diass, c’est un peu loin. Et puis, les tarifs ne sont pas donnés, mais c’est ça le développement. Si on y retrouve les infrastructures nécessaires, on ne va pas se plaindre’’, relativise-t-il.

Il y’en a d’autres qui, par contre, s’y retrouvent parfaitement. Non seulement au-delà du nouveau bijou, ils verront aussi leur trajet respectif réduit. C’est le cas d’Abdou Lahat Fall et Mouhamadou Habib Dieng. Le premier habite Thiès et le second Louga. Tous les deux se félicitent de la proximité dont ils vont bénéficier. Tout de même, ils ont un petit pincement au cœur, en pensant que c’est leur dernière embarcation. Mais au-delà, M. Dieng soutient que le monde bouge et qu’il évolue avec.

Ce sentiment est partagé par une autre catégorie. A 00 h 45 mn, un groupe de six personnes, toutes en uniforme noir et blanc, prennent des photos-souvenirs. Il s’agit de M. Baben et de ses collègues déjà nostalgiques. Ils viennent de terminer le service et sont conscients du fait que c’est leur dernier jour de travail sur les lieux. Le lendemain, ils devraient se retrouver loin de là. ‘’C’est toujours difficile de quitter un endroit où on a vécu pendant des années. Nous partons le cœur gros, mais c’est ça la vie. C’est pourquoi nous voulons immortaliser Léopold Sédar Senghor’’.

Pourtant, de prime abord, rien n’indique que la structure vit ses dernières heures en tant qu’aéroport international du Sénégal. L’ambiance est restée la même, la lumière toujours aussi vive. Mais Senghor n’entend pas faire dans la résistance, comme le prouve les écritures électroniques qui défilent au-dessus de bâtiment. Deux messages y alternent. L’un rappelle aux visiteurs qu’ils sont bien à l’aéroport Dakar-Yoff, l’autre leur donne la grande nouvelle, en français et en anglais : ‘’Ouverture officielle de l’Aéroport international Blaise Diagne, jeudi 7 décembre 2017.’’ 

Ainsi donc a eu lieu, hier, le passage de témoin au grand bonheur des autorités. Exit Senghor ! Bienvenue Blaise !  

BABACAR WILLANE

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