Les temps forts d’un procès pas comme les autres
Arrêté le 7 mars 2017 pour divers chefs d’inculpation relatifs aux deniers publics, Khalifa Sall a comparu, presque sans répit, devant le tribunal correctionnel de Dakar, entre le 23 janvier et le 23 février 2018. En attendant le verdict, EnQuête revient sur les grands moments de ce dossier.
Il était une fois l'affaire de la caisse d'avance de la mairie de Dakar. 22 jours, voilà le temps qu'aura duré ce procès express qui a cristallisé toute l'énergie des habitants de la capitale. Vendredi 23, c'était l'épilogue. Comme au premier jour, c’était houleux, électrique, mais succulent, pour certaines personnes avides de polémiques. Comme à son habitude, le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye a provoqué l’ire des avocats de la défense. Cette fois, sa ‘’bourde’’ a provoqué un profond malaise dans le tribunal. Acculé de toute part, il tente maladroitement de se défendre.
Aux avocats qui l’accablent d’avoir fait preuve de légèreté, il rétorque : ‘’Je le dis et je le répète : Plusieurs personnes ont travaillé sur ce dossier. Quand je l’ai reçu, je l’ai d’abord confié à un substitut. Et quand il m’a présenté les résultats de ses enquêtes, j’ai vérifié et j’en suis arrivé à la même conclusion. C’est ainsi que j’ai décidé de prendre en main ce dossier. Je l’ai ensuite transmis au juge d’instruction. Cela fait déjà trois magistrats qui ont travaillé là-dessus. Puis, le dossier est allé à la chambre d’accusation devant trois magistrats. Il était aussi à la Cour suprême. Il faut être sérieux. Il y a beaucoup de magistrats qui ont travaillé sur ce dossier et qui ont eu la même observation que moi. Parmi eux, il y en a un qui est ici.’’
La défense n’en attendait pas plus de la part du ministère public. Très vite, Me Ousseynou Fall rue dans les brancards et demande au tribunal de prendre acte de cette déclaration inattendue. Car, estime-t-il, un magistrat qui a participé à l’instruction n’a pas le droit de participer au jugement. Le procureur revient à la charge et tente de se justifier, en affirmant qu’il parlait d’un substitut. Mais la messe semblait déjà dite. Ses arguments laissent perplexe la majorité de la salle. De quel magistrat s’agit-il ? La question ne connaîtra peut-être jamais de réponse. Mais le sort de Khalifa, lui, sera connu le 30 mars. Ainsi en a décidé le président Malick Lamotte.
Du fond de sa cellule, même après la clôture du procès, le détenu le plus célèbre du Sénégal continue de se battre. Dans une longue lettre, empreinte d’émotion, qu’il a écrite à ses juges, il demande avec insistance, comme s’il avait senti les dés pipés : ‘’Etant un justiciable comme tous mes compatriotes, peut-on m’expliquer pourquoi aucun de mes droits n’est respecté ?’’ Khalifa Sall, au sortir de son procès, est resté amer. Il déclare, avec un air désespéré : ‘’Je croyais qu’au Sénégal, même au pire des criminels, ce que je ne suis pas, ce que je suis loin d’être, la Constitution et les lois de la République garantissaient le respect de tous leurs droits : le droit d’être assisté, le droit de se défendre à toutes les étapes de la procédure et le droit à un procès juste et équitable.’’ Dans la même lettre, il pose au président Malick Lamotte et à ses assesseurs une multitude de questions qui le pourchassent comme son ombre. ‘’Pourquoi a-t-on toujours violé nos droits en nous refusant une assistance à l’enquête de police ? Pourquoi le magistrat instructeur a instruit uniquement à charge ? Pourquoi essaie-t-on de salir mon honneur, malgré le manque de consistance et l’indigence de l’accusation ?’’ s’interroge-t-il, comme pour lancer un dernier clin d’œil à l’homme sur qui repose désormais son sort.
Un procès aux multiples rebondissements
Nous sommes le 3 janvier. Le procès Khalifa Sall reprend après un premier renvoi. Contre toute attente, des changements de taille sont opérés aussi bien du côté du parquet que du tribunal. Ce sont les patrons de ces deux institutions eux-mêmes qui, comme s’ils s’étaient passé le mot, font leur apparition dans le dossier. Malick Lamotte (président du tribunal de grande classe hors classe de Dakar) prend la place de Magatte Diop (président de la 2e chambre correctionnelle). Au même moment, Serigne Bassirou Guèye dessaisit son ‘’brillant’’ substitut, le ‘’très mesuré’’ Aly Ciré Ndiaye. Mais si Magatte Diop est resté dans le dossier en tant qu’assesseur, Aly Ciré, lui, a depuis lors disparu des radars.
Les surprises ne sont pas venues uniquement des magistrats. La ville de Dakar aussi, par le biais du président de sa Commission des affaires administratives et juridiques, Moussa Sow, a complètement bouleversé la physionomie du procès en se constituant partie civile. Au même titre que l’Etat. C’était le 23 janvier, après un second renvoi de l’affaire. Ce qui n’a pas manqué de donner au procès un caractère encore plus bizarre. Avec d’une part des prévenus qui se chargent réciproquement. Et d’autre part, des parties civiles qui ne s’entendent sur rien.
Mieux, pendant que des avocats de l’Etat ainsi que le procureur défendent les percepteurs défendeurs, la mairie de Dakar prenait fait et cause pour Khalifa Sall et Cie. Malick Lamotte se perd et chasse Me El Hadj Diouf du procès. Le tonitruant avocat crie au scandale et parle de deux poids deux mesures. C’était le jeudi 1er février, la veille de la bataille des exceptions. Le lendemain, Malick Lamotte purgeait certaines exceptions relatives notamment à la compétence de sa juridiction, à la liberté provisoire de Khalifa Sall. C’est une première victoire pour l’Etat et ses représentants. En attendant la phase décisive.
La bataille des parties civiles
La constitution de partie civile de la ville de Dakar n’aura pas enchanté l’Etat et ses représentants. Devant le juge Malick Lamotte, ils ont tenté en vain de la récuser. Dans la foulée, la défense a également récusé la constitution de l’Etat. C’était en quelque sorte le procès de la décentralisation. Les hostilités ont été épiques. Parmi les questions juridiques posées : est-ce que l’Etat peut se constituer partie civile dans une affaire où les deniers d’une collectivité sont en cause ? Du côté de l’Etat, on s’est demandé comment la ville de Dakar, qui a toujours défendu qu’elle n’a subi aucun préjudice, peut se constituer ?
Ainsi, dans les débats, ont été brandies pêle-mêle la libre administration des collectivités locales, les limites des droits de l’Etat dans la gestion des deniers des collectivités locales, la personnalité juridique de ces dernières….
Le casse-tête du règlement n° 5 de l’UEMOA
L’organisme communautaire a été maintes fois cité par les avocats de la défense. C’est à croire qu’il s’agit là d’un des principaux arguments de la défense. Les avocats de Khalifa Sall et Cie estiment en effet que les droits de leurs clients ont été bafoués sur le fondement du règlement précité, repris à l’article 55 du code de procédure pénale. Il ressort en effet, de ce texte, que tout prévenu a le droit de se faire assister par un conseil, dès son interpellation. Ce qui, selon la défense, a été dénié à l’édile de la capitale et ses coprévenus.
Au-delà de cette bataille des exceptions, le procès de la caisse d’avance repose sur des faits concrets. Des faits qui remontent entre 2011 et 2015. A la fin d'une mission d'audit de l'inspection générale d'Etat, il a été demandé l'ouverture d'une enquête judiciaire contre le maire de Dakar. Il a fallu plus d'un an plus tard, quand l’édile commence sa tournée politique à l'intérieur du Sénégal, pour que la justice soit mise en branle. Mieux, au même moment, le procureur est ‘’assis’’ sur plusieurs autres dossiers qui puent les milliards (voir ailleurs). Ce parfum politique a pollué les débats le long de ce feuilleton judiciaire.
Au-delà de la passion, le procès aura au moins eu le mérite de mettre à nu la grande nébuleuse autour de la gestion des deniers publics. Sous le couvert de la politique, des dépenses diverses, entre autres, ces deniers sont malmenés sans aucune obligation de rendre compte. C’est valable aussi bien pour les collectivités locales que pour l’Etat centrale.
Khalifa Sall, Mbaye Touré, Ibrahima Yatma Diao, Amadou Makhtar Diop, Yaya Bodjan, Fatou Traoré sont tous poursuivis pour association de malfaiteurs, détournement et escroquerie sur les deniers publics, blanchiment de capitaux, faux et usage de faux dans des documents administratifs et commerciaux. Dans son réquisitoire, le procureur a requis des peines de 5 ans pour MM Bodjan, Diao et Diop, 7 ans à l’encontre de l’édile de Dakar et de son Daf Mbaye Touré, 2 ans, dont 1 avec sursis pour Fatou Traoré la trésorière du GIE Tabbar. Pour les percepteurs, qui sont accusés d’être de mèche avec le parquet dans cette affaire, le parquetier a demandé leur relaxe pure et simple.