Kourègue, le tournant décisif !
Ils sont venus des fronts Nord et Sud du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) prendre part à la rencontre de Kourègue, en pleine Fogny (département de Bignona). Rencontre lors de laquelle les différentes factions du mouvement irrédentiste ont réaffirmé leur farouche détermination à aller dans le sens du renforcement du processus de paix en cours. Mieux, de se retrouver, avec le gouvernement, autour d’une table de négociations.
Il est 11 h passées de 50 mn à la position 562 de l’armée, à Djiral, village situé dans l’arrondissement de Sindian, à une quarantaine de kilomètres de Bignona. Quelques civilités avec le commandement et des militaires avant que le cortège ne s’ébranle vers Kourègue, à une quinzaine de kilomètres de Djiral. Auparavant, la délégation du Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc) avait traversé des villages comme Soutou, Suelle, Niankite, Diagoye Banga, Batong avant de rallier Dibième ou encore Elol via Djibidione tristement célèbre et dont la seule évocation du nom renvoie au plus profond de la crise qui secoue la région sud du pays depuis maintenant 35 ans.
Nous quittons donc Djiral pour Kourègue. A la tête du cortège, des ‘’éclaireurs’’ pour nous conduire jusqu’à destination. Il fallait absolument emprunter cette voie sinueuse. Cette piste qui n’a de piste que de nom. Il fallait aussi traverser cette forêt qui, visiblement, a fini de souffrir du trafic illicite et abusif du bois. ‘’Se rendre au village de Kourègue, situé à une quinzaine de kilomètres de Djiral, n’est pas une sinécure. Il faut avoir le courage de s’y rendre’’, relève Ibrahima Ama Diémé, membre du Grpc.
A un kilomètre de la frontière avec la Gambie
Après une trentaine de minutes sous la poussière, apparaissent, sous nos yeux, les premières habitations de cette bourgade où des délégations en provenance des communes de Kafountine, de Diouloulou, de Kataba 1, de Djibidione, de Suelle et de Sindian, ainsi que les populations du village attendaient le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc) conduit par son président, l’ancien maire de Ziguinchor et ministre d’Etat Robert Sagna.
‘’Toutes les factions du Mfdc sont présentes à cette rencontre directement ou indirectement, parce que nous sommes dans cette zone où se retrouvent toutes les branches du Mfdc. Nous sommes en plein Fogny, à un kilomètre de la frontière avec la Gambie. Et qui parle du Fogny, parle de la présence non lointaine des hommes de Salif Sadio. Ce qui est certain, c’est qu’il y a ici la présence de leurs représentants qui leur rapporteront le discours de la vérité et ne tarderont pas à adhérer à la démarche unificatrice de paix’’, croit savoir le professeur Ama Diémé.
La bourgade de Kourègue, à l’image de celles voisines de Kabékel, Kouram ou encore Tambouille, a payé un lourd tribut à la crise qui secoue la région méridionale du pays. Déguerpies en 1997, les populations y sont revenues seulement qu’à partir de 2014. Depuis, ces villages comme ceux du Nord Sindian vont se transformer en zone de non-droit, en un véritable ‘’no man’s land’’ où le trafic de bois et la culture de chanvre indien étaient érigés en règle. L’opération de restauration de la souveraineté nationale et de sécurisation des biens et des personnes menée par l’armée en 2006 (opération qui a permis le démantèlement de la forteresse de Tambaff), principale base de Salif Sadio, va réduire de manière sensible cette économie ‘’marginale’’, mais n’a pas permis le retour effectif des populations de cette zone, la plus grande du département de Bignona.
Il a fallu atteindre 2014, soit 17 ans après, pour que les populations de Kourègue amorcent le processus de retour au bercail. Un retour rendu possible grâce au Comité international de la Croix-Rouge (Cicr) qui a mis à la disposition des retournés du zinc, des pointes et des rôniers pour la reconstruction des maisons ; des semences, du matériel agricole, du bétail et foncer quelques puits. Aujourd’hui, Kourègue a changé de visage. Maisons construites en banco, sous la forme rectangulaire dont l’essentiel n’a pas de véritables fenêtres, constituent le décor. Jadis estampillé ‘’zone rouge’’ où les ratissages, pilonnages de l’armée, crépitements d’armes, embuscades, représailles, exactions et déguerpissements rythmaient la vie des populations, Kourègue est devenu fréquentable. ‘’Le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance s’est donné pour mission de faciliter les retrouvailles entre l’Etat et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Nous avons compris qu’en fait, qu’il existe un déficit de communication entre ces deux entités. Le gouvernement ne sait pas ce qu’il y a à Kourègue. Le Mfdc, qui est dans cette zone, ne sait pas également ce que le gouvernement aurait pu faire pour Kourègue et environs. Donc, tant que ces deux entités demeurent dans cette situation, évidemment, il sera difficile de les réconcilier’’, explique Ibrahima Ama Diémé, membre du Grpc qui a facilité cette rencontre sur invitation des populations, mais aussi des combattants du mouvement irrédentiste.
Recherche d’unité au sein de Atika
Le village de Kourègue n’est pas le premier à recevoir le Grpc. Il y a eu d’autres étapes, notamment celles de Birkamanding, d’Ebinako et de Koussabel, toujours dans le cadre du renforcement du processus de paix et de la recherche d’unité au sein de Atika, la branche armée du Mfdc. ‘’Nous nous sommes dit qu’il faut que nous nous rendions dans toutes les poches de la Casamance où il est implanté un cantonnement des éléments proches du Mfdc pour les amener à comprendre que ce qu’ils veulent, c’est aussi ce que veut le gouvernement ; et la démarche normale, c’est qu’ils acceptent, d’abord, les discussions. Mais avant d’arriver à la table des négociations pour mettre fin à ces 35 ans de situation de rébellion, il faut d’abord œuvrer pour l’unité des différentes factions le plus rapidement possible’’, ajoute M. Diémé. Selon ce dernier, le Grpc est presque arrivé au bout de ce long processus, dans la mesure où, aujourd’hui (hier) à Kourègue, il (le Grpc) a salué la présence de la plupart des cantonnements, qu’ils soient venus des fronts Sud ou Nord.
‘’Ils sont là pour écouter notre discours. Ce n’était pas évident de tenir cette rencontre de Kourègue. Ils sont convaincus, aujourd’hui, que nous venons non pour les combattre ou jeter l’anathème sur qui que ce soit, mais nous venons pour leur apporter des possibilités de solution par rapport à un apaisement définitif de la situation de la région. Parce que les populations réclament cette situation, eux-mêmes la réclament’’, souligne Ibrahima Ama Diémé.
A la fin de la rencontre d’échanges et de partages, le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance a été reçu par les représentants des factions du Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Audience à huis clos au sortir de laquelle le président du Grpc a dit ‘’toute sa satisfaction auprès des populations d’abord, mais aussi ‘’beaucoup plus de réconfort par la position (pas nouvelle) mais assez avancée du Mfdc’’ qui, révèle Robert Sagna, ‘’sollicite le concours du Grpc pour que dans les meilleurs délais, une autre rencontre soit tenue pour aller, résolument, dans les phases plus concrètes’’.
Robert Sagna : ‘’L’armée fait son devoir’’
Poursuivant son propos, M. Sagna informe que ‘’les populations ont dit leurs préoccupations qui tournent autour du désenclavement et de la réalisation d’infrastructures socio-économiques de bases’’. ‘’Nous allons plaider pour que ces doléances soient prises en compte dans le cadre du Pudc, du Ppdc, de l’Anrac et du Puma. Elles ont aussi pris des engagements pour s’impliquer dans la recherche de cette paix. Elles reconnaissent que ce sont leurs enfants. Elles reconnaissent également qu’il faut renforcer et consolider cette accalmie qui dure depuis presque de cinq ans maintenant’’, a déclaré l’ancien maire de Ziguinchor à la fin de ce huis clos.
Evoquant le déploiement de l’armée au sud du pays, Robert Sagna a affirmé que cette situation ne remet pas en cause le processus de paix. ‘’Je n’ai pas de soucis par rapport à ça. L’armée fait son devoir. J’ai eu l’occasion de lui rendre hommage du fait de la manière avec laquelle elle gère cette situation particulière’’, a-t-il souligné. Aussi, à l’en croire, les militaires font des ratissages pour assurer la sécurité des populations et de leurs biens. Surtout après les meurtres de Boffa-Bayottes survenus le 6 janvier dernier et qui ont fait 14 morts parmi les exploitants forestiers. ‘’Cette situation (les ratissages de l’armée) ne va perdurer, ni se perpétuer. C’est une action ponctuelle dont les causes ne sont pas liées au processus de recherche de l’indépendance du Mfdc’’, a-t-il conclu.
HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)