Publié le 8 Mar 2019 - 16:54
HISTOIRE DE DIOR FALL*, EX-DETENUE

‘’Le soutien de mes proches m’a permis de tout surmonter’’

 

Si le 8 mars est une journée de fête pour beaucoup de femmes, il est un moment de souvenir pour Dior Fall. Il y a 5 ans, cette célibataire de 35 ans était condamnée à 3 mois ferme pour coups et blessures volontaires. Un trimestre passé à la Maison d’arrêt des femmes de Liberté VI, mais qui n’ont rien changé du destin de cette domestique. Parce que tout simplement, le soutien de ses proches a été d’un grand apport.

 

‘’Le destin a coutume de donner d’étranges rendez-vous’’, dit Alessandro de Baricco dans son ouvrage Châteaux de la colère. Ce rendez-vous, c’était la prison des femmes de Liberté VI, pour Dior Fall (nom d’emprunt). Agée aujourd’hui de 35 ans, cette mère célibataire au teint noir a passé, il y a cinq ans, trois mois en prison. Une dispute avec une de ses voisines de pallier à Fass est à l’origine de sa privation de liberté. Agée de 30 ans à l’époque, cet ex-judoka avait levé une main trop forte sur une de ses voisines. Elle lui avait tailladé l’arcade sourcilière avec un tesson de bouteille. La victime s’est retrouvée avec des blessures et avait porté plainte, avec à l’appui, un certificat médical d’une incapacité temporaire de 20 jours. Ce qu’ignorait notre interlocutrice savourant ‘’intérieurement’’ sa victoire, pour avoir corrigé celle qui ne cessait de la provoquer et de répandre les rumeurs les plus ‘’salaces’’ sur sa moralité.

 Quelques jours après les faits, elle a été surprise de se faire remettre une convocation par le chef de quartier. ‘’Je n’étais pas inquiète et je me disais que les policiers allaient me libérer, après avoir entendu ma version’’, se remémore-t-elle. Mais sa déconvenue fut grande, lorsque l’enquêteur, après audition, lui a indiqué le chemin du violon pour être gardée à vue. ‘’Je me voyais déjà en prison sans être jugée. J’ai pensé à tous les pires cauchemars’’, raconte la domestique, avec un certain regret. Mais, Dior se rendra vite compte qu’elle s’était faite une fausse illusion de l’univers carcéral. ‘’Même en prison je n’avais pas la liberté de faire tout ce que je voulais, je me suis rendue compte que le plus dur, c’est au commissariat. Il n’y a pas lit ni chaise. J’étais obligée de rester debout toute la nuit. Le pire, il y avait l’odeur nauséabonde des toilettes qui empestait les cellules’’, soutient avec insistance, cette célibataire sans enfants. Outre les dures conditions de la garde-à-vue, la fouille corporelle en prison constitue l’une des choses qui l’ont marquée, même si, par ailleurs, elle en avait échappé. ‘’Cela m’a fendu le cœur, en voyant toutes les prévenues se mettre nues pour être fouillées. Heureusement, lorsque j’ai commencé à me déshabiller, une gardienne m’a dit regardé et m’a dit que ce n’était pas la peine’’, se souvient-elle avec fierté, et convaincue que son air innocent y était pour quelque chose.

La première nuit a paru une éternité

Quid de la première nuit ? Elle lui a paru une éternité. La nouvelle pensionnaire allait passer une seconde nuit debout, n’eût été l’indulgence et la compréhension d’une prisonnière beaucoup plus âgée qu’elle. ‘’Je suis restée debout pendant des minutes, regardant chacune rejoindre sa place. Tout le monde était couché, sauf moi. Je me demandais : où est-ce que j’allais me coucher, car toutes les places étaient occupées’’, confie-t-elle. Cependant, alors qu’elle était plongée dans ses pensées, une dame lui a demandé si c’était mon premier séjour carcéral. ‘’Lorsque j’ai répondu par l’affirmative, elle a souri et m’a fait de la place’’, ajoute Dior. Même si elle avait réussi à obtenir où se coucher, le sommeil n’était pas évident, à cause des mille et une questions qui défilaient dans sa tête. La ‘’Dakhar’’, surnom donné aux nouvelles venues en prison, avait dû mal à dormir.

A peine les yeux fermés, ce sont ses larmes qui coulaient. ‘’Des tas de questions se bousculaient dans ma tête. Je me demandais comment j’en étais arrivée là. Comment je vais dormir avec toutes ces personnes que je ne connaissais pas ? Quand est-ce que je serai libre ? ’’ Il en sera de même pour les deux nuits suivantes. Au réveil de la troisième, elle décida de se résigner à son sort, puisqu’elle était condamnée à 3 mois ferme. Du coup, ses larmes ont tari, parce qu’elle devait s’adapter, mais aussi pour échapper aux railleries, réprimandes et/ou consolations des autres co-détenues. ‘’Quand tu pleures, les autres, soit se moquent de toi, soit elles te demandent de regarder le sort des autres qui purgent de longues peines ou qui attendent d’être jugées depuis plus de 3 ans.’’

Si l’une des fonctions de la prison est la réinsertion sociale, certains en sortent pervertis. Car, la prison est aussi considérée comme lieu pathogène et une école du crime. Mais Dior a réussi à échapper à ce piège, grâce aux conseils des gardes, mais aussi d’autres détenues. ‘’Faites beaucoup attention, car certains vont s’approcher de vous, en faisant semblant de compatir, mais, c’est juste par simple curiosité.

D’autres cherchent à nouer des relations et, souvent, ce sont des personnes peu recommandables. Purgez votre peine et allez-vous-en’’, lui conseillait-on. Un conseil qu’elle ne pouvait appliquer à la lettre, dans la mesure où, l’isolement pouvait pousser à la dépression. La solution qui s’offrait à elle, c’était de se montrer réservée, malgré une nature agoraphobique. Il n’empêche, cette attitude a failli lui causer des ennuis, car des co-détenues lui reprochaient d’être condescendante. ‘’Vous vous prenez pour qui pour vous mettre à l’écart ? Ici, il ne peut pas y avoir de clan, car nous sommes toutes pareilles, toutes des prisonnières’’, lui a asséné un groupe de prisonnières qui ne supportait de la voir assise, durant deux jours successifs, dans un coin, avec une dame qui semblait issue de la bourgeoisie.

La demoiselle dit avoir esquivé cette provocation, comme celle d’un groupe de quatre lesbiennes attirées par son allure sportive et un peu masculine. ‘’Durant les premiers jours, j’étais tout le temps en jean et débardeur. Elles ont cru que j’étais une des leurs et faisaient tout pour m’approcher. Moi, je n’avais rien compris, car je les prenais pour des garçons manqués, comme moi. Mais lorsqu’on m’a expliqué leurs intentions, je les ai freinées’’, narre-t-elle.

Melle Fall a été aussi marquée par les jours de visite. Celles-ci la rendaient toujours tristes, après le départ de ses visiteurs. D’ailleurs, ces visites l’ont beaucoup aidée à surmonter l’épreuve et suscité une certaine jalousie de la part de ses co-détenues. ‘’Ce soutien m’a beaucoup aidé à faire face à l’épreuve. Mes parents, mes amis, ne cessaient de défiler en prison et cela a suscité l’admiration envers ma personne, car beaucoup de détenues souffrent de ce manque de soutien’’, se réjouit l’ex-détenue. D’ailleurs, cela n’a pas laissé indifférentes les gardiennes. ‘’Je me demande comment vous avez fait pour vous retrouver en prison, mais, vu le nombre de visites et de cadeaux que vous recevez, vous devez être une bonne personne. Alors le jour où vous serez libre, tachez d’être prudente, pour ne pas les décevoir », lui ont-elles lancé, un jour.

Le 8 mars en prison

A l’en croire, ce soutien a facilité sa réinsertion sociale et l’a surtout aidée à tout oublié. Car, en aucun moment, les membres de sa famille et ses amis ne l’ont jamais rejetée ni condamnée. Ils ne cessaient de lui dire que ‘’c’était le destin.’’ Revigorée par les propos de son défunt père, après sa libération, elle a n’a jamais voulu raser les murs, pour éviter la stigmatisation ou le rejet. Dans son entourage, l’on évitait d’aborder le sujet, de peur de la contrarier. Mais, un jour, un de ses amis gendarmes a commis la maladresse de faire rejaillir le passé. ‘’Au détour d’une conversion, il m’a balancé : « c’est pour cette raison que vous vous retrouver en prison ». Un silence ponctué par un regard perçant a mis fin à la discussion. Habité par un sentiment de culpabilité et de regret, l’homme en tenue est revenu lui présenter ses excuses, le lendemain.

Mis à part cet épisode, la seule chose qui lui rappelle son séjour carcéral, c’est le 8 mars. Parce que, toutes ces pensées sont tournées vers ces autres femmes privées de liberté, de leurs enfants et souvent abandonnées par leurs maris. Mais qui, le temps d’une journée, oublient leur peine, grâce à la solidarité d’autres femmes qui les parent de cadeaux. ‘’On dirait que les prisonnières sont choyées le 8 mars, et même durant tout le mois, avec les nombreux dons, même si, tout ne parvient pas à leurs destinataires’’, ajoute Dior Fall, avec un brin de désolation.

*Nom d’emprunt 

FATOU SY

  

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