Publié le 28 Aug 2020 - 04:31
MATAM

L’hivernage où la saison des ‘’jakartamen’’

 

La saison des pluies s’est installée, dans toute sa plénitude, dans la partie nord-est du pays, générant au passage un cortège de désagréments chez certaines populations de la région de Matam. A Ourossogui, la régularité des précipitations, bien qu’appréciée par les producteurs et les agriculteurs, n’arrange en rien le quotidien des populations, lesquelles vivent dans des cadres dépourvus de systèmes d’assainissement. Avec des rues inondées, ce sont les chauffeurs de taxis ‘’motos-jakarta’’ qui se frottent les mains.

 

Le bonheur des uns fait le malheur des autres. C’est la situation qui prévaut dans les rues et ruelles de la ville-carrefour. Au moment où les populations se plaignent sans arrêt de l’absence de canalisation pour drainer les eaux de pluie, les conducteurs de taxis ‘’motos-jakarta’’ affichent le grand sourire face à une situation qui booste sensiblement leurs chiffres d’affaires.

En cette période d’hivernage, il est difficile d’arpenter les rues et ruelles d’Ourossogui sans faire d’innombrables détours. Ce sont les ‘’motos-jakarta’’ qui constituent la solution. Elles sont pratiques en plus d’être accessibles. La course est à 200 F et ce, quel que soit le trajet à l’intérieur de la ville.

Mamoudou est un jeune marié originaire du village de Boyinadji. Il est conducteur de taxi ‘’moto-jakarta’’ depuis plus de 20 mois. Pour lui, la moto nourrit clairement son homme, notamment en saison des pluies. ‘’La saison des pluies est une aubaine pour nous conducteurs de ‘’moto-jakarta’’. La demande est très forte, en ce moment. Les clients, à cause des flaques d’eau et de l’état boueux des rues, ne peuvent pas faire le chemin à pied. Ils sont donc quelque part obligés de faire appel à nous pour arriver à destination, sans se salir. Finalement, rien qu’avec les courses des femmes allant au marché, je peux me retrouver avec 4 000 F, entre 8 h et 10 h. Et avant 14 h, je peux gagner 7 000 F. À la fin de la journée, j’ai mes 12 mille francs’’, explique-t-il.

En effet, la quasi-totalité des rues, à Ourossogui, sont inondées à la moindre petite pluie. Les populations se voient donc obligées de bousculer leurs habitudes. Mariata, la trentaine, est une femme de forte corpulence. Elle avait la phobie des deux roues. Mais faute d’alternative, elle se rabat sur les ‘’jakarta’’. ‘’J’ai une peur bleue des ‘’motos-jakarta’’, mais je ne peux pas ne pas les utiliser. Elles sont moins chères que les ‘’taxis-clando’’. Le tarif est à 200 F, là où les voitures demandent 500 F et refusent même certaines destinations. Quand je monte sur une moto, je ne suis jamais tranquille, révèle-t-elle. Je ne cesse de demander au conducteur de rouler tout doucement. Si cela ne dépendait que de moi, je ne monterais jamais sur une moto, parce que je trouve ce n’est pas sûr et en plus pour une dame, ce n’est pas très aisé. Mais on n’a pas le choix, surtout en cette période d’hivernage. C’est impossible de parcourir 100 m sans se salir les pieds ou même les habits. Les eaux sont sales et nauséabondes, et avec les maladies, mieux vaut éviter d’y patauger. Je dépense au minimum 600 F, mais en saison sèche, je fais mes courses à pied’’, dit-elle.

La rue partant du rond-point à côté de la pharmacie Ndiadé et allant vers Thiambé, se trouve, en saison des pluies, quasiment impraticable. Les voitures préfèrent arpenter d’autres rues pour éviter les ‘’mares’’. Les populations se plaignent et accusent le maire de la ville de n’avoir rien fait pour les soulager. A côté, les ‘’jakartamen’’ se réjouissent de la situation, comme l’avoue Salif, un jeune Guinéen. ‘’L’état actuel des rues et des ruelles nous arrangent beaucoup. Il nous donne un avantage sur les ‘’taxis-clando’’. Ils évitent beaucoup de destinations. Ils préfèrent rouler sur des pistes goudronnées. Tandis que nous, on trouve toujours le moyen de passer pour amener nos clients à bon port. Il est vrai que nous prenons des risques en faisant rentrer nos motos dans ces eaux, mais c’est le prix à payer pour profiter de la situation’’, avoue-t-il, lui qui s’est installé à Matam il y a plus de deux ans.

Sans révéler le montant exact de son gain quotidien, il reconnait tout de même que la période hivernale est de loin plus faste que les autres périodes de l’année.

Au garage des ‘’taxis-clando’’, en face du centre commercial Yero Basse, la frustration est clairement le sentiment le mieux partagé chez les chauffeurs. C’est la période des vaches maigres. Les clients se font rares ou plutôt ce sont les chauffeurs qui ont du mal à s’accorder avec eux. Conséquence : le chiffre d’affaires a dégringolé. Hamady ne cache pas son amertume de passer ses journées à se ronger les ongles, au moment où les ‘’motos-jakarta’’ tournent à plein régime. La situation prospère de ces derniers ne fait qu’amplifier son mécontentement. ‘’Depuis que l’hivernage a commencé, je peux vous dire que je suis au chômage. Je ne travaille quasiment plus. Ma voiture est là, elle est en bon état, mais je ne roule pas. Les rues sont remplies d’eaux de pluie. Je suis obligé de refuser certaines courses ou bien je me vois obligé de réclamer au client 2 000 F pour prendre le risque.

Mais ici, les gens sont bien trop pauvres ; ils ne peuvent pas payer ce montant. Ainsi, ils préfèrent les ‘motos-jakarta’ qui, avec 200 F peuvent vous mener à destination’’. ‘’Nous vivons des moments difficiles. Nous payons des taxes, alors que ces conducteurs de moto ne payent rien du tout. Actuellement, ils se font beaucoup d’argent, au moment où nous, nous galérons’’, peste Hamady. ‘’Mais c’est la mairie qui est responsable de toute cette situation. Le maire et son équipe n’ont rien fait. Il n’existe aucun système de canalisation pour le drainage des eaux de pluie. Les routes sont inondées à chaque fois. Les eaux causent d’énormes dégâts à nos voitures. C’est le calvaire’’, poursuit-il.

Cette traversée du désert secoue fortement les acteurs du secteur du transport public et impose une certaine adaptation. Des chauffeurs ont momentanément garé leurs voitures, à l’image Saidou qui, depuis un mois, s’occupe dans des travaux champêtres et se pointe au garage l’après-midi. ‘’Les temps sont durs, présentement. Je gagne difficilement 2 000 F. Je suis un père de famille, je ne peux pas rester au garage toute la journée pour ne rapporter que 2 000 F c’est insensé. Si je peux trouver un autre boulot durant l’hivernage, je le ferai’’, confesse le chauffeur plein d’amertume.

Non loin, un ‘’jakartaman’’ ayant suivi toute la conversation, lança : ‘’Ayez foi en Dieu et laissez les ‘jakartamen’ tranquilles’’, avant de disparaitre dans un assourdissant vrombissement de sa moto.

Djibril Ba

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