L’entêtement d’un migrant refoulé quatre fois
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Kayar a vécu, en 2006, les pages les plus sombres de son histoire, avec la mort de nombreux jeunes qui ont péri en mer, en tentant de gagner l’Espagne via des embarcations. Plus d’une décennie après, l’un des premiers émigrants clandestins rapatriés de l’Espagne accuse l’État de ne trouver aucune alternative pour les jeunes et se tient à l’affut de la première opportunité de prendre une ‘’pirogue de la mort’’.
Il revient de très loin. Il a échappé à la mort. A quatre reprises, il est arrivé dans les Îles Canaries. A quatre reprises, il a été refoulé. N’empêche qu’il est à l’affut de la moindre opportunité pour reprendre la mer, à la recherche de l’eldorado. En effet, le plus très jeune Pape Ndoye a affronté la mer, pour la première fois, en 2006. Cinq ans plus tard, en 2011, il est reparti. L’année suivante, le jeune homme s’est encore lancé dans la périlleuse traversée de l’Atlantique. Son dernier rendez-vous avec la Méditerranée date de 2019. Il s’est une nouvelle fois soldé par un échec. En dépit de tout ce qu’il a vécu en mer, il se dit encore prêt à emprunter les embarcations, braver la mer et ses vagues pour gagner l’Europe.
Refusant d’admettre que ce voyage est un suicide, Pape Ndoye soutient que si les jeunes décident d’y aller, c’est parce qu’ils n’ont reçu aucune garantie et soutien de la part de l’État du Sénégal. Aussi, rappelle-t-il que la pêche, qui était leur principale activité, est en train d’être mise à terre par les navires étrangers qui pillent les eaux sénégalaises. ‘’On entend tout dans ce pays. Si les jeunes bravent la mer via les pirogues pour aller en Europe, c’est parce qu’ils n’ont aucune perspective dans leur pays. On dirait que nous sommes dans un pays où ceux ou celles-là qui nous dirigent n’ont pas de politique d’emploi pour les jeunes. C’est ce qui justifie les départs massifs vers les côtes espagnoles’’.
Il raconte : ‘’Moi, j’ai tenté de gagner l’Europe. Personne ne m’y a forcé. J’ai entrepris ce voyage avec beaucoup de mes camarades qui ne reviendront jamais. Ils sont morts lors de cette tentative de traversée de la Méditerranée. Nous vivons dans ce pays. Nous l’aimons. Mais nous sommes désespérés, parce qu’on a l’impression que personne ne veut s’occuper de nous’’, regrette Pape Ndoye dans un entretien accordé à des journalistes.
Animé d’un désespoir sans fin, le jeune Kayarois, qui veut à tout prix rejoindre l’outre-mer, affirme que 90 % des jeunes de sa localité sont partis en Europe. Tous des pêcheurs, fait-il savoir. La faute, dit-il, aux bateaux de pêche étrangers qui pillent les ressources halieutiques du Sénégal, avec la complicité du gouvernement. Est-il prêt à reprendre le chemin des côtes espagnoles via les pirogues ? Pape Ndoye répond par l’affirmative.
‘’J’ai plus de 30 ans. Si je vois tout de suite une pirogue et que l’occasion se présente, je vais repartir sans hésiter. Pourquoi je devrais rester ici. Rien ne me retient ici, parce que l’État ne crée pas les conditions pouvant nous permettre de gagner dignement et honnêtement notre vie dans ce pays. Je suis un jeune déjà mort à moitié. Parce qu’à mon âge, je devais fonder une famille et entretenir mes parents. Je ne peux pas continuer à vivre comme je vis actuellement’’, se lamente le pêcheur, invitant l’État à annuler toutes les licences déjà octroyées à des étrangers.
Mareyeur au quai de pêche de de Kayar, Massamba Thiaw a déjà tenté l’aventure. La première fois, c’était en 2006. Cette année, celui qui a été refoulé à deux reprises était tout proche de repartir. Mais, par la suite, il a décidé de surseoir à ce rêve. Par contre, il estime que l’heure a sonné, pour l’État du Sénégal, de trouver des solutions idoines à ce phénomène qui a fini de faire beaucoup de morts au ‘’pays de la Téranga’’.
GAUSTIN DIATTA (THIES)