Publié le 5 Dec 2020 - 16:16
MANIFESTATIONS SUR LES QUAIS DE PÊCHE A DAKAR

Les pêcheurs exigent le départ des bateaux étrangers 

 

Interdits de marche, les pêcheurs sénégalais ont organisé, hier, des sit-in dans différents quais de pêche. Ils déplorent la baisse drastique de leurs revenus et exigent le départ des bateaux étrangers. 

 

La marche de protestation des pêcheurs sénégalais n’a finalement pas eu lieu. Fortement réprimée par les forces de l’ordre à la place de la Nation, hier, elle a plutôt donné lieu à l’arrestation de trois membres du collectif Noo Lank. Ces derniers ont voulu manifester, malgré l’interdiction du préfet du Dakar. L’autorité n’a pas autorisé la marche, en raison de l’augmentation des cas positifs de Covid-19.

Toutefois, du côté de Soumbédioune, les pêcheurs ont interrompu la circulation, à l’aide de pneus brûlés et de jets de pierres pour faire entendre leurs revendications. ‘’On n’a jamais entendu les Lébous faire grève. On ne connaît pas ça. Tout ce qui nous intéresse, c’est travailler, rassembler le fruit de nos efforts et rentrer chez nous. Dans toute cette histoire, ce qui me choque le plus, ce sont les propos du ministre (de la Pêche). Il ose dire que nous ne pêchons pas le thon. C’est archi-faux’’, fulmine Mamadou Diop, membre de l’Union nationale des pêcheurs artisanaux du Sénégal (Unapas).

Il ajoute : ‘’J’interpelle le président Macky Sall. Qu’il nous aide. Nous sommes vraiment fatigués. On ne mange plus trois fois par jour. Tout ceci à cause de ces bateaux qui viennent jusque dans nos périmètres attaquer nos pirogues et détruire les nids de poissons. C’est cela le principal problème. C’est très grave. Il y a de plus en plus de bateaux en mer. Les pêcheurs n’en peuvent plus. Avant, il était facile pour nous de gagner entre 30 000 et 50 000 F CFA par jour. Mais actuellement, on peine même à avoir 10 000 F, après trois jours en mer. Il faut qu’on mette fin à ce contrat avec l’Union européenne. C’est une question de survie.’’

En grève depuis jeudi, ses membres ont organisé, hier, des sit-in dans plusieurs quais de pêche (Thiaroye, Yarakh...) pour exiger l’annulation de l’accord entre le Sénégal et l’Union européenne.

Pour sa part, Ousmane Sow, pêcheur, confie : ‘’Macky Sall nous a trahis. Ce n’est pas ce qu’il avait dit à Ndar, lors de sa campagne. Il avait promis de relever le secteur. Mais aujourd’hui, c’est tout le contraire. On passe toute une semaine en mer sans rien avoir. Raison pour laquelle bon nombre de pêcheurs optent pour l’émigration clandestine, quitte à mourir en mer. On a assez encaissé. Aujourd’hui, nous sommes là pour exiger que cela cesse. L’Etat doit revoir sa posture. Celle adoptée actuellement dans le cadre de la pêche n’est pas la bonne.’’

Stoppés dans leur élan par les forces de l’ordre, les manifestants ont trouvé injuste la non-autorisation de leur marche, vu la gravité de la situation. Selon le sous-préfet de Dakar-Plateau, l’ordre public passe avant tout. ‘’Nous sommes dans un Etat de droit. Nous n’empêchons personne de s’exprimer. Mais ce que je ne peux pas accepter, c’est qu’on perturbe l’ordre public. Je ne permettrai à personne de barrer la voie publique pour manifester sans autorisation. Je ne négocie avec personne, quand il s’agit de l’ordre public. J’ai discuté avec eux. Je leur ai demandé de libérer la route. On s’est compris’’, a fait savoir Djiby Diallo.

LICENCES ET ACCORDS DE PÊCHE, PRÉSENCE DE NAVIRES ÉTRANGERS

Les pêcheurs de Kayar décrètent trois jours sans pêche

Pour faire pression sur l’État qui a signé et octroyé des licences de pêche au profit de navires européens, les pêcheurs de Kayar, qui ont appelé hier à un rassemblement, ont décrété trois jours sans pêche. Ils demandent à l’État de réagir au plus vite, au risque d’enclencher la phase virulente du combat.

Dans la première quinzaine du mois de novembre 2020, le Parlement européen a donné son avis favorable pour l’accord de pêche signé au début du mois d’octobre avec l’État du Sénégal. Avec cette convention signée, le régime du président Macky Sall ouvre une voie libre aux navires de l’Union européenne. Ils peuvent désormais accéder aux eaux sénégalaises sans aucun souci, et y pêcher des milliers de tonnes de poisson.

Il y aura, au total, 28 thoniers-senneurs-congélateurs, 10 canneurs et 5 palangriers espagnols, portugais et français. Les navires sont autorisés à pêcher 10 000 t de thon annuellement ainsi que d’autres espèces dans les eaux sénégalaises. Outre cet arsenal de pêche, l’UE débarque aussi avec deux chalutiers espagnols. Des licences de pêche leur seront octroyées pour pêcher environ 1 750 t par an.

En contrepartie, l’UE dit être prête à verser à l’État du Sénégal 1,7 million d’euros par an. Une enveloppe bien répartie. Les 900 000 euros sont destinés à l’accompagnement du secteur de la pêche et les 800 000 autres euros constituent la somme donnant l’autorisation aux navires d’accéder dans les eaux sénégalaises.

En dépit de tous ces acquis réservés à l’État, les pêcheurs de Kayar trouvent ‘’scandaleuse’’ cette décision du gouvernement de sceller ce nouvel accord. Ce dernier, disent-ils, vient ‘’achever’’ un secteur qui, depuis des années, est à terre à cause du manque de volonté des autorités pour soutenir et asseoir une bonne politique de pêche durable au bénéfice de milliers de Sénégalais.

Hier, Kayar, un des quais de pêche les plus importants de ce pays, a crié son ras-le-bol et son désespoir. Les pêcheurs de cette localité de la région de Thiès invitent l’État du Sénégal à geler tous les accords déjà signés et les licences de pêche octroyées aux navires étrangers. Pour résoudre cette situation, ils interpellent directement le chef de l’État qui, selon eux, est la seule personne pouvant mettre un terme à cette ‘’forfaiture’’ qui plonge leur secteur dans un avenir incertain et sombre.

 Ainsi, ils disent non aux ‘’licences illégales, mais oui à la protection des océans’’.

‘’La situation a empiré avec Macky Sall’’

Selon le responsable du Collège des pêcheurs de Kayar, le chef de l’État est l’unique et seul responsable de la situation que vivent les pêcheurs de ce pays.         ‘’Nous avons perdu tout espoir. Parce que, quotidiennement, l’avenir du secteur qui nourrit des milliers de familles s’assombrit. Nous ne parvenons plus à trouver du poisson dans la mer, depuis presque sept mois, à cause de l’État du Sénégal qui a vendu la mer aux étrangers qui font tout ce qu’ils veulent, sans aucun contrôle. La mer est notre seule source de vie. Ces navires européens disposent d’une grande capacité de pêche et détiennent des contrats qui leur autorisent d’exporter et de vendre le produit en Europe. Ils doivent, en principe, pêcher 45 % de certaines espèces. Mais ils font tout ce qu’ils veulent. Ils ne respectent aucune règle’’, fulmine Madické Faye, lors d’un sit-in organisé sur l’esplanade du quai de pêche de Kayar.

Le porte-parole du jour des pêcheurs ne s’est pas arrêté là. Il pose la problématique de la disponibilité du poisson dans les eaux sénégalaises. A ses yeux, la ressource est encore présente. Cependant, M. Faye soutient que le véritable problème, c’est le fait que les bateaux étrangers ne respectent pas la réglementation en vigueur et qu’il n’existe aucun contrôle. Avec la complicité de l’État, accuse-t-il, ces navires pêchent tous les jours. ‘’C’est trop. D’ailleurs, c’est ce qui crée la rareté des poissons dans les eaux sénégalaises’’, fustige-t-il.

Avant de mettre le président Sall face à ses responsabilités. ‘’Ce qui se passe actuellement dans le pays est de la responsabilité du président de la République. Nous voulons le rencontrer pour lui faire part de nos doléances. Tous les acteurs de la pêche réclament leur droit. Nous allons poursuivre le combat et nous avons décrété 72 heures de grève. Aucun bateau ou pirogue n’ira en mer. Le président Sall doit nous écouter, sinon ça va chauffer. Il sait ce qui se passe dans la mer’’, prévient Madické Faye.

Poursuivant, il rappelle au chef de l’État ses promesses lors de la récente campagne électorale. ‘’C’est le président Macky Sall qui disait, pendant la campagne électorale, qu’il ne restait que le ‘’yaboye’’ dans la mer, mais la situation à empiré sous son magistère’’, conclut Madické Faye, invitant ses camarades à se mobiliser pour gagner le combat de leur vie.

GAUSTIN DIATTA (THIES)    

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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