Publié le 16 Mar 2021 - 22:52
LE SILENCE DU TOTEM

Voyage en pays sérère

 

A travers ‘’Le silence du totem’’, un ouvrage dont la rédaction a débuté en 2015 pour se terminer en 2018, Fatoumata Sissi Ngom est parvenue à démocratiser davantage le sujet de la restitution des œuvres d’art africaines. Un sujet passionnant, mais souvent abordé en des termes très techniques, élitistes.

 

Dans un village lointain appelé Khalambass, vivait paisiblement un peuple sérère. Très conservateur ! Un beau jour, arriva un évangéliste-missionnaire blanc, qui voulut les convertir au christianisme. Face au niet catégorique des villageois animistes, il demanda et obtint de rester dans la localité, juste pour observer le mode de vie des populations. C’était à une condition : respecter les croyances dudit peuple et ne plus parler d’évangélisation.
 
‘’La vie à Khalambass, décrit l’auteure à la page 12, était très organisée. Dès le chant du coq, elle débutait avec les salutations matinales d’usage. Chacun s’enquérait de la qualité de la nuit passée et se souhaitait une bonne journée. Puis, retentissait le vacarme des bols en métal et des marmites qui servaient à la préparation du gigantesque petit-déjeuner de tous les habitants de la maison…’’.
 
Le contrat est ainsi scellé entre le village et le missionnaire, qui va y séjourner 129 jours. Au cours de sa visite, un objet le marqua particulièrement. ‘’C’était une magistrale sculpture en bois d’à peu près cinquante centimètres de long’’. Aux yeux du missionnaire, ce n’était qu’un magnifique objet d’art. Pour les villageois, c’était bien plus : un totem-pangol dont le rôle était de veiller sur les populations, de les protéger contre tous malheurs. Au chef du village Léon Famack Diouf, le Blanc demandera ainsi de lui céder la belle sculpture, refuge des âmes des ancêtres. Ce dernier, naturellement, lui opposera une fin de non-recevoir. Et le séjour se poursuivit dans une parfaite cordialité. Jusqu’au départ de l’étranger. Avec la complicité du frère et non moins rival jaloux du chef, il emporte comme un voleur ladite statue-pangol, qui lui a pourtant été refusée par le chef.
 
Dans son carnet de bord, De Fabrègues explique comment il a pu se procurer la précieuse sculpture. ‘’A ma grande surprise, note-t-il, Silmang Diouf, le demi-frère de Famack, fait irruption dans ma chambre (le jour de son départ). Il tient dans sa main quelque chose enveloppée dans un tissu noir. Il le dévoile. Je découvre la magnifique statue pangol. Il me la tend avec un sourire étrangement nerveux, en me faisant signe de la prendre. Je suis étonné, car c’est un symbole ésotérique et totémique. Il regarde avec insistance mon miroir et mon fusil. J’ai alors compris qu’il veut faire un échange. J’ai un peu hésité, mais je me suis dit qu’il sait ce qu’il fait, puisqu’il est membre de la famille royale…’’.
 
Ce fut ‘’un évènement terrible pour tout le village’’, rapporte la narratrice dans son récit magnifique et très captivant. ‘’Mon arrière-grand-père ne s’est jamais remis de cette disparition du totem. Il n’avait cessé de pleurer jusqu’à sa mort’’, sanglotera Sitoé, celle-là qui va entreprendre sans relâche une procédure de restitution de la statue à l’Unesco.
 
Partie en France pour des études en anthropologie, Sitoé va être recrutée par le musée du Quai Branly, après une thèse décrochée suite à de brillantes et acharnées études. Par un coup magistral du destin, elle finit par se retrouver face au totem, en silence depuis des lustres. Dans un premier temps, elle était loin de se douter du lien très étroit qui existe entre son peuple de Khalambass et cette statue si particulière, qu’elle n’avait jamais vue, ni entendue. Cela n’empêche, comme le dit l’auteure : ‘’Elle fut parcourue par un frisson. Une sensation étrange l’enveloppa dès que son regard fut posé sur celui de la statue (sa présentation dans le catalogue des statues secrètes du musée). Elle baissa les yeux pour lire le texte qui se trouve en bas de page : ‘Voyage en pays sérère, Alexis de Fabrègues, explorateur-missionnaire, 1870, Kaolack Sénégal.’ C’était dans le cadre d’une mission secrète exaltante que lui avait confiée son employeur.
 
Jeune, belle, courageuse et audacieuse, Sitoé est ainsi émue aux larmes, rien qu’en découvrant, dans la collection secrète du musée où elle travaille, cette statue originaire de son Sénégal natal et de la région de Kaolack d’où elle est originaire. Elle ne savait pas encore sa provenance exacte. Plus tard, ‘’en posant son regard (physiquement) sur celui de la statue, la cadence de son cœur s’accéléra et elle fut prise de vertige et d’une intense bouffée de chaleur, qui lui donnait la désagréable impression que le sol se mouvait sous ses pieds. Elle eut à peine le temps de réaliser ce qui lui arrivait, qu’elle entendit les battements de tam-tam d’abord lointains, puis se faisant de plus en plus proches, et des chants endiablés qui lui furent tout de suite familiers : c’étaient les mêmes qu’elle entendait, petite, lors de ses vacances à Khalambass, les soirs de festivités en l’honneur des pangols’’.
 
Dès lors, la jeune anthropologue décide de mener une enquête plus approfondie sur cet artéfact dont la découverte était en passe de bouleverser sa vie, celle de sa famille et surtout de son enfant qui ne cesse de faire des cauchemars. Des cauchemars dans lesquels il voit des serpents, emblème du village d’origine de sa mère. Sitoé consulta alors son père et découvrit toute la symbolique qui se cachait derrière ce qui n’était aux yeux de ses conservateurs, des Occidentaux, qu’une belle œuvre d’art.
 
En fait, ‘’toute la vie à Khalambass reposait sur ce totem : les bonnes récoltes, la protection contre le Mal et les malédictions, les bénédictions des alliances et des mariages, les résolutions des problèmes difficiles... Il était adoré, car les esprits des anciens y résidaient’’.
 
Employée modèle, dépositaire de la confiance de son employeur pour une exposition vitale et secrète pour le musée, Sitoé est ainsi face à un dilemme. Très vite, elle tranche en faveur de la vie des siens et de son enfant qui est sur la liste des prochains sacrifices. Elle veut la restitution du totem pangol. Un choix compris par le musée, mais pas soutenu. En tant qu’esthètes, ses patrons s’imaginent mal une restitution de la belle collection à son village africain.
 
‘’Le musée du Quai Branly, dira le directeur à Sitoé, peut être fier de l’immense responsabilité qu’il a d’abriter dans ses réserves une œuvre d’art à l’histoire si riche et à la portée culturelle si importante. Voyez-vous, l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de dédier ma vie aux musées, c’est qu’ils sont les gardiens de l’histoire du monde et c’est extraordinaire’’. Et d’ajouter : ‘’Nous conservons un patrimoine mondial composé de pièces qui viennent du monde entier.  Je comprends votre désir de voir la statue de vos ancêtres retourner là d’où elle vient. Mais si nous la rendons, ne devons-nous pas également rendre toutes les pièces de nos collections qui, elles aussi, ont chacune une histoire riche ? Et dans ce cas, le musée n’existerait plus.’’ S’ensuit un branle-bas épique entre les deux parties devant les instances de l’Unesco.
 
Dans ce roman où la fiction titille souvent la réalité, l’auteure parle aussi de faits de société, de l’âpreté des classes prépas dans les lycées d’excellence en France, des injustices sociales et de toutes sortes de maux qui jalonnent l’humanité.
 
 
PROFIL FATOUMATA SISSI NGOM
 
Parcours d’un apôtre de la restitution des œuvres d’art
 
Passionnée d’art et des musées, Fatoumata Sissi Ngom, auteure du roman ‘’Le silence du totem’’, revient sur la passionnante et délicate problématique de la restitution des œuvres d’art aux pays africains. 
 
La tête bien faite. Le corps bien frêle. Le teint caramel. Fatoumata Sissi Ngom est loin des projecteurs. Pourtant, elle est l’une des plus brillantes écrivaines de sa génération. Née en 1986, la jeune dame a été auditionnée à l’Assemblée nationale et au Sénat français, dans le cadre du projet de loi pour la restitution du sabre d’El Hadj Omar Tall, grâce au magnifique livre qu’elle a écrit sur la thématique de la restitution des œuvres d’art. Un livre dont la rédaction a démarré bien avant le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou. Lequel discours a placé cette thématique au cœur de l’actualité franco-africaine.
 
De sa voix fluette, elle déclare : ‘’On me dit très souvent que j’ai eu une prémonition. Je crois que c’est vrai (rires) ; j’ai commencé à écrire ’Le silence du totem’ des années avant ce discours. Je suis ravie que mon roman ait contribué et continue de contribuer au débat sur la restitution des œuvres d’art africain. C’est un sujet qui me tient à cœur.’’
 
Dès sa sortie (en avril 2018), alors que le débat commençait vraiment en France et en Afrique, ‘’Le silence du totem’’ a eu un accueil ouvert et bienveillant de la part d’intellectuels et d’experts culturels, se réjouit l’auteure, en citant l’administrateur du musée des Civilisations noires, Hamady Bocoum, et aussi beaucoup d’intellectuels de la diaspora et du monde entier. Pragmatique, rigoureuse et tournée vers l’avenir, elle déclare : ‘’Je veux surtout éviter de me dédire dans le futur et selon la direction du vent. Ce serait intellectuellement dramatique. Par exemple, malgré la sensibilité du débat et l’orthogonalité de nos positions, le musée du Quai Branly a mis en vente mon roman dans sa librairie et ce dès sa sortie.”  
 
Passionnée d’art, visitant musée après musée, la jeune dame n’a eu de cesse de se poser certaines questions substantielles sur les œuvres détenues dans les musées occidentaux, particulièrement français. Quelle est la signification véritable des œuvres d’art exposées dans les musées ? Qu’est-ce qu’elles ont représenté pour ces peuples qui les ont façonnées ? Comment ces œuvres ont-elles été acquises ? Est-ce par le sang, par le vol, le pillage, la manipulation ? Tant de questions sans réponse. ‘’Même si le comment de leur captation est généralement indiquée quand il s’agit, par exemple, d’un don. Au surplus, sur les cartels d’exposition, figurent des informations relatives notamment aux origines géographiques, à l’année d’entrée en France… Mais pas grand-chose sur l’être ontologique des œuvres, leur signification véritable…’’. 
 
Surgit ainsi dans le cœur de Fatoumata Sissi Ngom une sorte de frustration, un sentiment de manque et de mise au silence. ‘’En sortant du musée du Quai Branly cet après-midi-là, émue aux larmes, j’avais en tête l’intrigue de mon futur roman. Il ne me restait plus qu’à l’écrire. Révélation ? Oui ça en fut une’’, a-t-elle confié.
 
Née à Dakar d’un père sérère originaire de Khalambass – une autre ressemblance avec Sitoé - et d’une mère halpulaar, Fatoumata Sissi a, à l’instar de son héroïne, fait des prépas pas du tout faciles, mais en série mathématiques et physique dans les lycées français, et non à Hypokhâgnes comme Sitoé. Très forte, brillante étudiante, elle a très vite gravi tous les échelons. Elle est aujourd’hui analyste de politiques climatiques et économiques et a déjà fait deux ans à l’OCDE. Auteur d’études sur le changement climatique, le bien-être et la croissance économique, elle est également une brillante ingénieure en mathématiques financières et en informatique, et a travaillé dans le domaine de la modélisation mathématique et la gestion de risques de marché et biométriques de produits d’assurance-vie complexes.
 
Bien que purement scientifique, elle est fascinée par la littérature et l’art. Elle explique : ‘’J’ai une grande sensibilité artistique et je pense que mon premier roman n’aurait pu être écrit dans un domaine autre que l’art.’’
 
Revenant sur le débat de la restitution, l’auteure met l’accent sur les perspectives diamétralement opposées entre Occidentaux et Africains. Pendant que les premiers ont une vision assez mercantiliste et esthétique des œuvres, les seconds peuvent, parfois, avoir une vision plutôt spirituelle, existentialiste avec ces œuvres. ‘’Pour les peuples qui les ont fabriquées, ces œuvres n’ont pas une valeur monétaire, elles ont une valeur essentiellement symbolique et rituelle’’.
 
Bien qu’elle soit esthète, bien qu’elle soit anthropologue, Sitoé sait que le totem-pangol n’est pas un objet d’art au sens premier du terme. Il n’a pas été façonné pour être contemplé, admiré devant une vitre… Pour elle, la problématique de la restitution des œuvres est d’une importance capitale. Elle espère, à ce titre, que le Sénégal saura profiter au maximum de cette opportunité. ‘’Je suis confiante que la commission nationale qui va se charger de la liste des œuvres d’art et documents à réclamer à la France travaillera avec méthode et parcimonie, et une grande dignité. Le retour de certaines œuvres dans nos musées constitue une formidable opportunité pour éveiller les consciences sur l’importance de l’art, ancien ou contemporain, dans notre société, et surtout pour la garde de notre histoire’’.
 
MOR AMAR

 

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