‘’Amadou Mahtar Mbow renseigne que la restitution des œuvres d’art africaines…’’
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À l’occasion de la célébration du centenaire d’Amadou Mahtar Mbow, une conférence a été animée par le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne et le directeur général du musée des Civilisations noires Hamady Bocoum, sur la restitution des biens culturels. Si le sujet est actuel, ils ont noté qu’Amadou Mahtar Mbow a mené le combat en premier.
Intellectuel et homme de culture, le premier directeur général noir de l’Unesco, Amadou Mahtar Mbow, a été de tous les grands combats du XXe siècle. Dans le cadre de la célébration de son centenaire, s’est tenu un panel portant sur le rôle qu’il a joué dans la restitution des objets d’art pris pendant la colonisation en Afrique. Le directeur général du musée des Civilisations noires, Hamady Bocoum, a établi le rapport entre le patriarche et cette question qui est d’actualité.
Il a souligné la position précoce, pionnière d’Amadou Mahtar Mbow, qui avait fait un fort plaidoyer. ‘’Depuis que le président français Emmanuel Macron a évoqué ce problème en novembre 2007, beaucoup pensent que c’est une question toute nouvelle. Or, en remontant l’histoire, en explorant la trajectoire d’Amadou Mahtar Mbow à l’Unesco, on se rend compte que la question avait été abordée au plan historique et scientifique qui n’enlève aucun mérite aux choses qui sont en train d’être faites aujourd’hui’’, a précisé celui qui a siégé comme expert au Fonds mondial du patrimoine africain (2010-2014) et au Comité du patrimoine mondial de l’Unesco (2012-2015).
En faisant l’inventaire du cadre normatif de la restitution des objets d’art africains, il relève que la filiation repose sur un certain nombre d’initiatives concrètes, d’actes posés. ‘’Quand Amadou Mahtar Mbow prit les rênes de l’Unesco, il y avait une convention importante qui était en place. Il s’agit de celle pour la sauvegarde du patrimoine mondial, culturel et naturel, communément appelé Convention du patrimoine. Il a eu le grand mérite de rendre vivante cette convention adoptée en 1972. C’est seulement en 1978, à Washington, qu’il y a eu la première proclamation. Et c’est dans le cadre de cette dernière que l’île de Gorée a d’ailleurs été inscrite au Patrimoine mondial. Mais parallèlement à cette première proclamation, M. Mbow avait un projet tout aussi important qui était celui de la restitution des biens’’, a-t-il indiqué.
D’après M. Bocoum, ce travail avait déjà commencé en 1976, avec un comité d’experts réuni à Venise et qui s’était dit que la convention de 1970 avait une limite, qu’elle n’était pas rétroactive. ‘’Le problème qui est posé par la déclaration de M. Mbow, en 1978, nous invite tous à lire cette convention. Il y a eu des résolutions et la 20e session a adopté ce document, et des modalités avaient été définies’’, dit-il.
Seulement, il regrette le fait que ‘’les conventions et déclarations ne soient pas très bien suivies’’, saluant le réalisme de l’ancien DG de l’Unesco qui fête ses 100 ans.
Langage des œuvres africaines
Pour sa part, pour appuyer cette thèse, le professeur de philosophie française et des questions philosophiques en Afrique, Souleymane Bachir Diagne, a insisté sur l’esthétique et la spirituelle des œuvres africaines. Il a invoqué le livre de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy.
Selon le philosophe, ces auteurs dont leur rapport qui est commandité par le président Macron et qui aujourd’hui est devenu un important ouvrage intitulé ‘’Restitution du patrimoine africain’’, ‘’ont rappelé l’action du professeur Amadou Mahtar Mbow sur la question du rapatriement des objets d’art arrachés au continent pour se retrouver sevrés des cosmologies qui avaient présidé à leur création dans des musées en Amérique et en Europe’’.
Ainsi, citant Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, M. Diagne souligne que l’appel du Pr. Mbow, le 7 juin 1978, pour ‘’le retour à ceux qui l’ont créé, d’un patrimoine culturel irremplaçable’’, ‘’est l’un des plus beaux textes que le XXe siècle a produit’’. Estimant que la beauté d’un texte repose d’abord sur sa vérité, il indique que celle du propos d’Amadou Mahtar Mbow tenait à ceci qu’à l’emportement de la revendication. ‘’Il avait préféré - et c’est sa coutume même - le calme de la méditation, structure une signification du voyage des objets d’art africains depuis les terroirs qui les avaient vus naitre, jusqu’aux musées européens qui les ont accueillis’’, a expliqué le philosophe.
Et selon lui, cette signification montre que ce voyage n’est pas un simple déplacement, mais une métamorphose et une recréation de soi, par les objets qui furent arrachés au continent. ‘’Lorsqu’ainsi le directeur général qu’il était déclarait que ‘certaines œuvres partagent depuis trop longtemps et trop intimement l’histoire de leur terre d’emprunt pour qu’on puisse nuer les symboles qui les y attachent et couper toutes les racines qu’elles y ont prises’, il insiste, par ses paroles, sur un aspect important qui est que les œuvres d’art africains sont vivantes : ‘Elles sont continument capables de régénération.’ En d’autres termes, leur arrachement, ne s’est traduit par un assèchement du sens que leur conférait leur inscription dans leurs territoires originels. Au contraire, poursuit Souleymane Bachir Diagne, ‘’elles se sont avérées des forces de vie et d’une énergie créatrice dans leur nouveau cadre où elles ont poussé des racines’’.
Ainsi, il estime que l’art contemporain doit beaucoup aux masques africains. Souleymane Diagne a donné l’exemple des ‘’Demoiselles d’Avignon’’, réalisée à Paris par Pablo Picasso. Une œuvre qui est considérée comme l'un des tableaux les plus importants de l'histoire de la peinture, en raison de la rupture stylistique et conceptuelle qu'il propose. ‘‘Art, cette métaphore des techniques de racines. Les œuvres africaines ont su se traduire dans les langages qui ont renouvelé en profondeur les arts contemporains’’, disait Pablo Picasso.
‘’Ces œuvres (africaines) ont enrichi le monde et l’élan spirituel qui a précédé à leur naissance. Et voilà pourquoi le professeur Amadou Mahtar Mbow, dans cette méditation, dans le même plaidoyer de celui du 7 juin 1978, a déclaré, en parlant des peuples qui ont été des victimes du pillage de leur patrimoine, qu’ils savent que la destination de l’art est universelle’’, explique M. Diagne. Et d’ajouter : ‘’La puissance de la spiritualisation qui transforme la matière en œuvre d’art demeure la visée d’un universel de traduction. Elle sait toujours parler à d’autres aussi dans leur langue.’’
Autrement dit, ces œuvres ont trouvé en elles-mêmes la force de vie qui leur permettait de parler la langue de Picasso, par exemple. Ce dernier avait, en effet, effacé les visages des ‘’Demoiselles d’Avignon’’ pour finalement les remplacer par des masques africains. Pour Souleymane Bachir Diagne, l’œuvre de ce peintre européen a su exprimer ce langage-là. ‘’Et voilà pourquoi les mots du Pr. Amadou Mahtar Mbow nous renseigne aujourd’hui que la restitution n’est pas un simple déplacement dans l’espace qui annulerait un premier déplacement forcé et qui n’est pas du tout contraire au partage’’, dit-il.
BABAR SY SEYE