Ngadiaga sous le poids de la misère

Le Forum civil a organisé hier une visite de terrain, pour s’enquérir de la situation des habitants de Ngadiaga, trois mois après l’incendie d’un puits de gaz. L’occasion était de leur donner la parole et d’interpeller l’Etat du Sénégal quant à la RSE.
Depuis le 24 mars, le puits de gaz qui avait pris feu en décembre dernier ne brûle plus. Toutefois, les populations sont bien loin de dormir du sommeil du juste. Les flammes pourraient, s’inquiètent-elles, resurgir à tout moment, vu toute la peine qu’il y a eu pour aboutir à son extinction. Plus de trois mois d’opérations. Le lieu du drame est inaccessible et des éléments de la gendarmerie nationale veillent. Dans les bâtisses aux alentours, le film du 19 décembre 2020 demeure un douloureux souvenir. ‘’Au début, on a vraiment eu peur. Les chefs de famille ne pouvaient pas partir avec leurs familles, donc, pendant que certains voisins se sont portés volontaires pour les accueillir, eux restent sur place, passent la nuit pour veiller sur les demeures. Ce jour-là, en plus de la chaleur, le puits dégageait une très forte odeur. Aujourd’hui, pour cause de santé, certains n’arrivent même plus à travailler dans leurs champs, comme il se doit’’, détaille, dépité, le coordonnateur du collectif pour le développement de Ngadiaga.
La voix tremblante de colère, Baba Mbengue s’offusque de la froideur de l’Etat du Sénégal. ‘’Aucune autorité ne nous a manifestés sa compassion, c’est vraiment déplorable’’, lance-t-il. Le jeune homme est de ceux-là qui espéraient un site de recasement, par mesure de sécurité. Au lieu de cette alternative, à l’en croire, la gendarmerie s’attelait chaque jour à les déguerpir des lieux. ‘’C’est cette politique des deux poids deux mesures, dénonce-t-il, qui doit prendre fin. Au Sénégal, il y a le Sénégalais qui a de la valeur et celui qui n’en a pas’’. L’exploitation gazière dans cette partie du département de Tivaouane a débuté en 1996. Malgré la violence de l’incendie et le risque d’un nouvel incident, certains habitants ne sont pas prêts à quitter les lieux.
C’est le cas de la famille Ba dont le chef confie d’un air triste : ‘’ Je ne peux aller nulle part, je ne connais que cet endroit. C’est la terre de mes ancêtres et c’est ici que nous cultivons pour subvenir à nos besoins. Cette maison a une histoire, je ne suis pas prêt à la quitter, car chez nous, on meurt sur nos terres’’. Pour veiller sur sa famille, l’homme a considérablement limité ses déplacements. La maisonnée est restée sur place durant les événements. Ses membres demandent à l’Etat du Sénégal la construction de demeures dignes de ce nom. Pour la mère de famille, il sera difficile de tout laisser pour recommencer une nouvelle vie ailleurs.
‘’On vit de nos cultures. On ne peut les laisser derrière nous, pour aller je ne sais où. Même si on doit quitter, on ne veut pas être loin de nos plantations. Nous vivons de la terre, on ne connaît que l’agriculture’’, fait savoir Bigué Ndoye. L’ex-technicienne de surface à l’entreprise Forteza ne se sent pas en sécurité, mais espère que les autorités feront le nécessaire pour que le puits ne brûle plus. A Ngadiaga, on s’attendait à voir le Président de la République qui a côtoyé, en 2001, les familles de la localité, dans le cadre de son travail. Macky Sall était, à cette époque, le directeur général de la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen).
De l’avis des riverains l’homme qui, hier, a partagé avec eux un repas semble les avoir oubliés, aujourd’hui.
Absence de structure sanitaire
Sur les 15 puits de gaz que compte Ngadiaga, 13 fonctionnent normalement. La pollution de l’air engendrée par l’incendie du 19 décembre a laissé des séquelles. Sur le plan de la santé, le rhume, la toux et les maux de tête sont le quotidien d’une population qui ne sait à quel saint se vouer. Une problématique qui vient s’ajouter à une absence d’infrastructures sanitaires. Le projet de construction d’un poste de santé sur 900 m², longtemps annoncé par Forteza et Petrosen, n’a jamais vu le jour. A cette problématique s’ajoute la rareté du liquide précieux. Plusieurs mois, selon les habitants, peuvent s’écouler sans une goutte d’eau dans les robinets. Durant ces périodes, l’unique option n’est autre que l’eau des puits.
Un liquide aujourd’hui salé, en raison des produits utilisés pour les forages de l’exploitation gazière. ‘’Les habitants ont des problèmes d’eau, alors que Forteza a creusé son propre forage, dans le cadre de leurs travaux. L’Etat du Sénégal doit réagir face à cette situation. Nous avons des robinets, mais, ils sont reliés aux forages d’eau de Notto Gouye Diama. Ceux-ci ne peuvent plus supporter les besoins en eau de Ngadiaga, même à Notto, les populations sont contraintes au manque d’eau, donc, on ne peut pas dire que Ngadiaga bénéficie pleinement de ces forages’’, explique le porte-parole du collectif.
Selon Mame Samba Ngadiaga, dans les puits, la nappe phréatique est polluée. Car l’entreprise américaine utilise ‘’beaucoup de sel pour ses forages et ce sel se mélange à la nappe qui est actuellement très profonde. A l’époque, on pouvait creuser 10 m pour avoir de l’eau/ Mais aujourd’hui, il faut avoir des moyens pour le faire, car il faut au moins 60 mètres, ce qui serait un mini forage’’.
Plusieurs sites de maraîchages réquisitionnés
Cette zone maraîchère par excellence de 3000 habitants a également perdu bon nombre de ses terres cultivées. Ce sont plusieurs champs de légumes qui sont partis en fumée (pas encore quantifié). Cependant, les riverains ont commencé à perdre leurs terres bien avant l’incendie du 19 décembre. Dès son arrivée, Forteza a récupéré plusieurs sites d’agriculture au profit de l’exploitation gazière. ‘’Quand ils arrivent sur un site, ils déguerpissent les gens et comptent les arbres qui sont la plupart du temps des manguiers. Pour chaque arbre, ils proposent 50 000 FCFA au propriétaire, alors qu’à partir de cet arbre ce dernier peut se retrouver avec 500 000 F CFA, en une seule saison’’, indique Mame Ngadiaga.
Pour éviter des représailles, Forteza octroie aux jeunes de la localité des postes de gardiennage, sans aucun outil de protection contre le gaz. Le maire de la commune, Maguèye Ndiaye, qui au départ, avait affiché sa volonté de faire respecter à Forteza la Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) aurait subi des pressions qui l’ont poussé à faire désormais la sourde oreille.
‘’L’agriculture devient difficile’’
L’organisation d’un forum populaire sous l’arbre à palabre de la localité aura permis de connaître les multiples travers y existants. ‘’Chaque jour, l’entreprise tire profit de nos terres, pendant que nous souffrons, de plus en plus. Ceux à qui on a pris des terres sont dans la misère, pendant qu’eux s’enrichissent. Or ces gens vivent de cela. Dans l’année, on peut au moins s’en sortir avec 500 000 FCFA et ensuite, on te prend comme gardien pour te payer 100 000 F. On doit être actionnaire et non des gardiens, car ces puits de gaz sont sur nos terres et ce sont des milliards que les exploitants récoltent. Aujourd’hui, l’agriculture devient difficile, les rendements baissent de plus en plus, car le sol est salé. On ne sait même plus où cultiver’’, témoigne le jeune Abdou Karim Mbengue.
A ce jour, les exploitants n’auraient réalisé qu’un robinet, construit la clôture du cimetière, aider à la construction de la mosquée et de l’école élémentaire. L’établissement comptait en 2002 deux classes élargies à six en 2012. Le projet de construction piloté par Forteza et Petrosen s’est fait en relation avec le cabinet d’architecture de Pierre G. Atepa. Toutefois, les travaux ne sont pas terminés, le mobilier n’a pas été acheminé. Les élèves sont placés par trentaine dans chaque classe, à raison de quatre par banc. Sur les lieux, les suspicions quant à l’arrêt brusque se tournent vers les dirigeants d’alors de Petrosen.
De l’avis du coordonnateur du Forum civil, une étude d’impact environnemental s’impose. Il est temps, selon Birahime Seck, que ‘’l’entreprise respecte la RSE, dans le domaine de l’eau, les infrastructures et l’emploi. L’Etat doit amener l’entreprise à respecter cela. Il faut qu’il y ait une rencontre entre Forteza, les populations et l’Etat. Cela concerne toutes les autres entreprises implantées au Sénégal qui exploitent nos ressources naturelles. On ne le quémande pas, c’est un droit. Quel est l’Etat qui caresse les étrangers et qui écrase ses propres fils ? L’Etat doit être au chevet des populations’’.
Il ajoute : ‘’Nous voulons interpeller le gouvernement, afin qu’il appelle Forteza à la responsabilité, qu’il respecte toutes ses charges, en termes de Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) une RSE volontaire ou une RSE contractuelle. Que l’Etat appelle les collectivités locales et Fortesa pour qu’ils puissent s’exprimer sur les fonds qu’ils doivent aux collectivités locales, au bénéfice des populations ; que les populations soient dédommagées. Nous ne ménagerons aucun effort pour accompagner techniquement et juridiquement les populations pour qu’elles puissent demander ou réclamer leurs droits à Fortesa et inciter l’Etat à bouger’’.
C’est à croire, ajoute-t-il que l’Etat, lors de sa visite de constatation sur le terrain, n’a pas pu lever les yeux sur les misères que vivent les populations de Ngadiaga.
EMMANUELLA MARAME FAYE