Publié le 23 Feb 2022 - 22:37
CRISE SÉCURITAIRE AU MALI

Alioune Tine dépeint un tableau inquiétant  

 

L’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des Droits de l’homme au Mali a effectué une visite de dix jours dans ce pays. Il a noté une amélioration de la situation sécuritaire accompagnée de sérieux défis et la nécessité de repenser les réponses sécuritaires au Sahel.

 

D’août 2020 à maintenant, comparé à la présence des forces étrangères au Mali depuis près de 10 ans, le gouvernement de transition formé par les militaires au pouvoir, s’en sort plutôt bien. Le constat a été fait par un expert indépendant sur la situation des Droits de l’homme au Mali. Pour le compte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) Alioune Tine, à l'invitation du gouvernement du Mali, a effectué une visite officielle dans le pays, du 8 au 18 février 2022.

Son rapport a été présenté hier, dans les locaux du Haut-Commissariat aux Droits de l’homme. Et les conclusions de l’expert de la société civile reconnaissent, ‘’pour la première fois depuis le début de mes visites en 2018’’, ‘’une amélioration tangible dans le domaine sécuritaire, sur la question des personnes déplacées, des droits humains et des dynamiques de paix endogènes, surtout au centre du Mali. Ce qui est reconnu par les forces de défense et de sécurité maliennes, l’Administration et la société civile malienne’’.

Durant son séjour, Alioune Tine a rencontré les autorités maliennes (le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, etc.),  les organisations de la société civile, les organisations non gouvernementales, l’opposition politique, des représentants du corps diplomatique, les agences, fonds et programmes des Nations Unies, le commandant de la force conjointe du G5 Sahel, ainsi que le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies et chef de la Minusma. L’expert des Nations Unies s’est également rendu dans les régions de Mopti et de Tombouctou où il a rencontré les autorités locales civiles et militaires, les organisations de la société civile et les agences des Nations Unies.

Une amélioration tangible dans le domaine sécuritaire

L'un des indicateurs de l'amélioration de la situation sécuritaire qu’il a notée, est la récente diminution du nombre de personnes déplacées et de conflits intercommunautaires. Selon la matrice de suivi des déplacements (DTM), le nombre de personnes déplacées a diminué de 13 %, passant de 401 736 en septembre 2021, à 350 110 en décembre 2021. Dans la région de Gao, le nombre de personnes déplacées a diminué de près de la moitié (49 %), entre septembre et décembre 2021. Cette diminution s'expliquerait notamment par la pacification progressive de certaines localités dans les régions du centre et du nord du pays.

Depuis leur arrivée au pouvoir, les militaires surfent sur un vent de défiance générale qui n’épargne pas les partenaires internationaux. La crise diplomatique engendrée par le durcissement des autorités maliennes de la transition envers la communauté occidentale et principalement la France, a mené à l’annonce du retrait de la force Barkhane (armée française) et de la task force Takuba (forces internationales) du Mali. Une réalité que regrette l’expert indépendant de l’ONU, après avoir constaté que ‘’le soutien de la communauté internationale et de la Minusma a contribué à cette éclaircie’’ qui pourrait semer ‘’l’espoir d’un horizon de stabilité dans la durée’’.

Toutefois, les améliorations tangibles de la situation ne doivent pas occulter les défis sérieux en matière de sécurité et des droits humains auxquels le Mali et la communauté internationale doivent s'attaquer pour consolider les progrès réalisés sur le terrain. Pour assurer leur durabilité, les succès engrangés sur le plan militaire devraient s’accompagner immédiatement du retour effectif de l’autorité de l’État et des services sociaux de base sur toute l’étendue du territoire malien.

Des exactions continuent, déperdition scolaire forcée

Sur le plan de la sécurité, affirme Alioune Tine, les groupes extrémistes violents, notamment la Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM), l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et d'autres groupes similaires, ainsi que les groupes armés communautaires dits d'autodéfense, continuent d'attaquer, de tuer et d'enlever des civils. Aussi, les groupes extrémistes violents appliquent une interprétation stricte de la charia.

L’expert de l’ONU se préoccupe grandement de la situation de l’école malienne qu’il assimile à une ‘’sérieuse bombe sociale’’ qui se profile à l’horizon avec son effondrement. Selon les chiffres des Nations Unies, le nombre d’écoles fermées en raison de l’insécurité a augmenté de manière sensible, en passant de 1 344 en janvier 2021, avec 403 000 élèves affectés, à 1 664 écoles en décembre 2021, avec 499 200 élèves affectés. En outre, la fermeture des écoles aurait contribué à l’augmentation des mariages précoces, ainsi qu’à l’exode rural des filles, un phénomène qui aggraverait les risques d’exploitation et d’abus sexuels contre ces filles.

Par ailleurs, l’insécurité continue d’avoir un impact considérable sur la situation des droits fondamentaux de la femme, avec la récurrence inquiétante des cas de violence basée sur le genre.

Une autre bombe qui menace cette situation sécuritaire améliorée a été exposée par Alioune Tine. Ce dernier a fait part de sa vive préoccupation sur ‘’le risque de confrontation et de violence entre les sympathisants des autorités maliennes de la transition et ceux des partis d’opposition’’.  A cet égard, le Cadre d'échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie a, en date du 9 février, annoncé qu’il ne reconnaîtrait plus les autorités de la transition à partir du 25 mars prochain. En réponse à cet ultimatum, un acteur politique membre du Conseil national de transition a récemment annoncé que son mouvement mettrait en place des ‘’brigades de vigilance’’ contre ceux qui s’apprêtent à organiser des manifestations contre les autorités maliennes de la transition en mars prochain, rapporte l’expert indépendant de l’ONU.

C’est pourquoi, il a appelé les autorités maliennes de la transition à prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les actes de violence ou d'incitation à la violence et à s’assurer que les auteurs répondent de leurs actes.

Risque de confrontation et de violence entre les sympathisants des autorités maliennes de la transition et ceux des partis d’opposition

L’impunité est également un sujet important sur lequel s’est penché l’expert indépendant de l’ONU. Des allégations de violations graves des Droits de l’homme et atteintes à ces droits sont portées dans le cadre des conflits intercommunautaires au centre du Mali, ainsi que celles attribuées aux forces de défense et de sécurité maliennes. Même si l’ouverture d’enquêtes judiciaires a été notée, ‘’le défi persistant demeure l’arrestation et la poursuite des auteurs présumés de crimes dûment identifiés, faute de force publique, notamment dans les nombreuses zones où l’Etat est absent, mais aussi du fait de la peur des victimes de témoigner (en raison du risque de représailles)’’.

Alioune Tine s'est dit très préoccupé par le rétrécissement de l'espace civique malien, notamment du rôle des médias et de l'opposition politique : ‘’Ce climat délétère a conduit plusieurs acteurs à l’autocensure, par crainte de représailles de la part des autorités maliennes de transition et/ou de leurs partisans.’’ Un correspondant du magazine ‘’Jeune Afrique’’ a d’ailleurs été expulsé du pays.

L’expert indépendant prône une refondation des réponses sécuritaires au Sahel basée sur un ‘’développement de stratégies de sécurité plus intégrées, axées sur la protection des populations civiles et de leurs droits humains fondamentaux’’. Il  appelle la CEDEAO à lever, dans les meilleurs délais, les sanctions contre le Mali qui ont des conséquences néfastes sur les droits humains des personnes les plus vulnérables, tout en invitant les autorités maliennes à dialoguer avec l’organisation sous-régionale pour trouver un accord permettant le retour à l’ordre constitutionnel dans des délais raisonnables.

Lamine Diouf

 

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