Publié le 28 Nov 2022 - 12:06
ENQUÊTE SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME AU MALI

La FIDH rapporte le calvaire des habitants de Mopti et de Ségou

 

Dans ces régions du centre du Mali, exécutions sommaires, disparitions forcées, tortures, viols, entre autres abus, représentent le quotidien des populations.

 

En dix années de crise sécuritaire au Mali, l’année civile en cours sera certainement la plus meurtrière. C’est l’une des conclusions d’une enquête menée par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) publiée vendredi dernier. Et au centre du pays, les populations vivent un véritable enfer. D’après l’enquête, ‘’sièges, barrages routiers et vols avec violence rythment la vie quotidienne des populations civiles, prises au piège des stratégies de prédation des acteurs armés présents dans les régions de Mopti et de Ségou’’. Ces derniers concernent dans ce conflit les forces armées maliennes (Fama) et leurs partenaires paramilitaires russes du groupe Wagner, d’une part, les milices d’autodéfense communautaires et insurgés djihadistes affiliés au Jamā’at nusrat al-islām wal-muslimīn (JNIM) d’autre part.

C’est ainsi que plusieurs violations graves des droits humains y ont été commises en toute impunité, dénonce l’ONG, dont des cas qui ‘’pourraient être constitutifs de crimes de guerre, au sens du droit international prévu par le droit malien’’.

Depuis 2013, la FIDH réalise des enquêtes, produit de l’analyse et mène un plaidoyer en faveur de la résolution du conflit, de la lutte contre l’impunité et d’une meilleure gouvernance démocratique au Mali. S’appuyant sur un vaste réseau de membres, d’observateurs des droits humains et d’informateurs dans de nombreuses zones du pays, elle a effectué deux missions d’enquête dans le pays. Une première, du 14 au 28 septembre 2021, a permis la documentation d’événements qui se sont déroulés dans le centre du Mali, entre juin 2018 et novembre 2021. Une deuxième mission, réalisée du 15 juin au 4 juillet 2022, qui portait essentiellement sur les violations commises dans le centre du Mali, entre décembre 2021 et janvier 2022.

Pour compléter ce rapport d’enquête et de recherche, la FIDH a également réalisé une mission de plaidoyer en novembre 2021, ainsi qu’une mission judiciaire et de plaidoyer en juillet 2022 à Bamako. Celles-ci ont permis d’échanger avec des représentants des autorités politiques, judiciaires et sécuritaires maliennes.

Ségou, Mopti : le calvaire

La palette des abus constatés par l’organisation internationale de défense et promotion des droits humains est large : ‘’Exécutions sommaires, assassinats ciblés, disparitions forcées, tortures, viols et autres actes de violences sexuelles, arrestations illégales et séquestrations, traitements inhumains, mutilations y compris post-mortem, et recrutement forcé de jeunes hommes.’’ Et les violences sexuelles liées au conflit décrites dans le rapport, sont documentées de manière inédite. Comme le témoignage de G. A., 27 ans, enlevée dans un village dogon du cercle de Douentza, par des hommes armés. ‘’Avec le premier, j’ai résisté. Mais un autre homme m’a tordu les bras et m’a bandé les yeux à nouveau avec un turban noir. C’était ma première fois. J’ai perdu ma virginité à cause de ce viol. Après, le deuxième homme qui m’avait tenu les bras m’a lui aussi violée. Chaque fois qu’ils voulaient me violer, ils me bandaient les yeux. Chaque fois qu’ils voulaient coucher avec nous, ils venaient la nuit au nombre de vingt. Ils nous violaient au même moment et après ils sortaient tous ensemble. Ils étaient violents. On m’a giflée, car je ne me laissais pas faire. Le deuxième jour, trois hommes ont abusé de moi. Le troisième jour, j’ai été violée par deux hommes différents. Et le quatrième jour, je suis tombée malade : je vomissais et j’avais de la fièvre. Ça a été ma chance, parce qu’on m’a libérée après ça. Ils m’ont mise sur une moto, m’ont bandé les yeux et m’ont transportée jusqu’au lieu où ils m’avaient enlevée’’.

Militaires, djihadistes, tous des violeurs…

Les militaires des Fama ne sont pas en reste. Lors du massacre de Moura en mars 2022, décrit comme le pire depuis le début du conflit armé au Mali en 2012, S. V., qui a survécu à l’attaque, raconte : ‘’Les soldats s’adressaient aux hommes en bambara et tuaient tous ceux qui ne parlaient pas la langue, car seuls les Peuls instruits parlent le bambara. Ils ont exécuté ainsi des dizaines d’esclaves et de griots, uniquement parce qu’ils ne parlaient pas bambara et qu’ils étaient vêtus comme des djihadistes.’’

D. A., 25 ans : ‘’Il y avait une telle panique, lorsque les militaires ont lancé l’assaut sur Moura, le jour du marché. Mardi soir, sept soldats sont entrés chez moi, cinq étaient noirs de peau, deux étaient blancs. Ils ont emmené quatre femmes chez nous et chez nos voisins, et les ont violées sous l’abri dans notre cour. Vers 23 h, ils m’ont violée en dernier. Un soldat noir m’a poussée dans ma chambre et m’a menacée avec son arme. Il m’a prise par le poignet et m’a jetée sur le lit avant de m’arracher mes vêtements. Il me maintenait au sol pendant qu’un soldat blanc me violait. Je sais qu’il y a eu au moins 21 femmes qui ont été violées.’’

Lorsqu’elles ne sont pas la cible de violations graves des droits humains et du droit international humanitaire, les populations civiles du centre du Mali sont victimes d’atteintes à leur intégrité physique, d’enlèvements et de plusieurs sortes de harcèlement et de menace. Les acteurs armés de la zone, groupes djihadistes, groupes d’autodéfense et FDS recourent à ces pratiques afin de remplir diverses stratégies de domination des populations civiles.

La loi des djihadistes

Dans le cercle de Niono (région de Ségou), les djihadistes ne se limitent pas au siège des villages qu’ils considèrent comme récalcitrants. Ils mènent également des opérations de représailles en s’attaquant aux biens les plus précieux des populations vivant de l’agriculture : leurs champs. Depuis deux ans, ils en ont détruit ou incendié un grand nombre, notamment au moment de la récolte, rapporte l’enquête.

À mesure que le conflit gagne du terrain, les violations graves des droits humains perdurent et montent en intensité. Ce phénomène s’explique, en partie, par le règne de l’impunité qui ‘’nourrit la défiance des populations envers l’État, exacerbe les tensions communautaires et contribue ainsi à entretenir une spirale de violences qui facilite le recrutement par les groupes armés’’, comme le souligne la Coalition citoyenne pour le Sahel dont la FIDH fait partie.

Toutefois, le gouvernement malien a observé que ce rapport de la FIDH porte des accusations ‘’sans preuve tangible [...] dans le but de ternir l'image des forces maliennes’’. Bamako estime aussi que ‘’les présumées violations des Droits de l'homme portées à la connaissance des autorités ont toujours fait l'objet d'un traitement diligent de la justice militaire’’.

Si les autorités ont annoncé avoir ouvert des enquêtes sur de nombreux crimes, l’enquête estime qu’il y a tout lieu de craindre que celles-ci ne s’enlisent, comme l’ensemble des enquêtes portant sur des crimes de droit international pénal (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide) ayant été commis depuis 2012.

Lutte contre l’impunité, seule voie de sortie de cette crise

L’enquête de la FIDH estime qu’une sortie du conflit est plus que jamais conditionnée à la volonté du gouvernement malien de transition de faire de la protection des populations civiles et de la lutte contre l’impunité ses priorités. ‘’Les difficultés rencontrées dans la lutte contre l’impunité, qu’elles soient d’ordre sécuritaire, juridique ou administratif, ne pourront être dépassées sans une volonté politique ferme du gouvernement de transition et un accompagnement technique et financier de la communauté internationale. À mesure que l’impunité perdure au Mali, l’idée que la violence soit la seule forme de justice possible s’ancre dans les mentalités, alimentant ainsi la défiance des populations vis-à-vis de l’État, la fragmentation communautaire et la milicianisation des populations civiles. L’impasse dans laquelle se trouve le pays après une décennie de conflit est en train de s’étendre au Burkina Faso voisin et menace les pays du Golfe de Guinée. La mobilisation des gouvernements sahéliens doit être générale. Il y a urgence : chaque jour, huit civils sont tués au Sahel central’’.

Selon la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), au cours du premier semestre 2022, le nombre total de victimes de violations et abus des droits humains par toutes les parties au conflit (groupes djihadistes, groupes d’autodéfense et forces de défense et de sécurité) a augmenté de 35 % par rapport au dernier semestre 2021, passant ainsi de 948 victimes de violations et abus des droits humains à 1279 entre janvier et juin 20227. La majorité des victimes recensées se trouvent dans le centre du pays.

Lamine Diouf

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