Les premières heures du Mahdi et ses premiers compagnons
La 143e édition de l’Appel des layennes aura lieu du 21 au 23 février. Pour commémorer ce grand événement religieux, ‘’’EnQuête’’ propose une série de reportages.
Un lundi de l’année 1843, vit le jour Seydina Limamou Laye dit ‘’Libasse’’, de Mame Alassane Thiaw et de Mame Coumba Ndoye. On raconte que, ce jour-là, et pendant deux autres jours, l’eau de la mer, à Yoff, eut bon goût et afin que s’accomplisse la prophétie, les nouveau-nés baptisés du même nom que lui décédèrent avant l’âge adulte.
Enfant, selon plusieurs écrits, il abhorrait impureté et souillure, et sa bouche ignorait le mensonge. Ses rêves et visions étaient véridiques et sa sueur était semblable à du parfum. Les arbres, dit-on, à son passage, s’inclinaient. Les herbes des champs accompagnaient ses chants de louange à Dieu. Partout, le suivait un nuage. Les traces de ses pas, sur le basalte, apparaissaient… Et, sous l’aile protectrice d’un ange, il grandissait. Son père décéda, alors qu’il était encore enfant.
Son oncle, Gorgui Ndoye, frère de sa mère, lui apprit le métier de pêcheur. ‘’Mais lorsqu’il s’en allait pêcher, il ne fournissait aucun effort : les poissons se laissaient prendre. Et les pauvres, les mendiants et autres solliciteurs guettaient son retour, car il leur offrait tout le produit de sa pêche, rentrant chez lui les mains vides, en chantant la gloire de Dieu. On finit par l’appeler ‘’le fou de Coumba Ndoye’’, à cause de sa folle générosité semblable à ‘’un nuage déversant la pluie ou (à) un torrent d’eau’’.
Mais ce trait de caractère n’étonnait guère ceux qui savaient. Car Mame Coumba Ndoye, la sainte mère de Limamou, dont le prénom renvoie à la généreuse disponibilité, était, elle-même, surnommée ‘’Coumba Diagata’’, c’est-à-dire ‘’Coumba la porteuse de nourriture’’, à cause de sa grande sollicitude envers les étrangers, ainsi que tous ceux qui avaient faim et soif’’, lit-on sur le site sodaan.com.
Cependant, dans le Cayor, Massaer Ndiaye, qui avait pressenti les événements à venir, priait Dieu d’en être témoin. Dans le Sakal, Thierno Amath Kane prédisait que, dans six années, l’apparition dans le ciel d’une étoile trainant une sorte de queue ‘’bideewou laarbi’’, précédera d’une année l’appel du ‘’bien guidé’’.
À Banjul, en Gambie, Keba Mansali, qui avait vu une lumière suivre Limamou partout, confiait à son compagnon de pêche, Thierno Sarr, qu’il sera chargé d’une mission divine, dans un mois et dix jours.
En effet, selon le site, comme annoncé par les augures, le dimanche 24 mai de l’année 1883, trois jours après le décès de Mame Coumba Ndoye, en fin de matinée (entre 10 h et 12 h), Limamou, qui venait de boucler ses 40 ans, fit appeler sa tante paternelle, Adama Thiaw, et sa cousine Ndiaye Diaw. Il leur demanda trois pagnes blancs, propres et sans souillure, pour s’en couvrir le corps, comme font les pèlerins de La Mecque. Ensuite, il parla à la chaste Fatima et à la vertueuse Farma, ses épouses, les appelant à la patience, avant de descendre dans les rues du village en criant son appel.
‘’Ajiibo Daahiya Laahi’’ (Venez répondre à l’appel de Dieu)
Le soleil avait atteint son zénith. La phrase était dite. Reprise en chœur par une foule d’enfants et de femmes riant et s’esclaffant derrière Limamou, l’accusant toujours de démence, elle emplissait tout le village. ‘’Ceux qui suivront mes recommandations boiront les liqueurs divines dans les jardins du paradis’’, disait l’illettré récitant et interprétant parfaitement le Saint Coran.
‘’Ainsi, tous les jours, matin et soir, arpentant inlassablement les artères du village lébou, il disait son message dans la langue locale, comme l’avait fait Mouhammad, le sceau des Prophètes, un millénaire plus tôt. Vinrent les premiers disciples : Momar Bineta Samb, Thierno Sarr Thiome, Madiop Diop… Puis les autres. On nomma layennes ces hommes et ces femmes chantant toujours la formule ‘’La Ilaaha Ila Lah’’ (Il n’y a de Dieu que Dieu) et se saluant et s’appelant ‘’Laye, Laye’’, diminutif de la ‘’Chahada’’ (la profession de foi musulmane)’’.
‘’La partie du village qu’ils habitaient fut aussi baptisée Yoff Layenne ou Diamalaye (la paix de Dieu). Une nouvelle confrérie venait de naître au Sénégal, qui reprenait les enseignements du Livre et recommandait de circoncire les garçons au 7e jour de leur naissance et de donner en mariage les filles le jour de leur baptême, dans le seul souci d’éviter la débauche et la déperdition’’, renseigne la même source.
Le ralliement des premières heures
Le premier disciple d’Al Muntazar fut Momar Binta Samb. Il est un Lébou de Yoff. ‘’Dès qu’il lança son appel, il alla à sa rencontre et veilla à protéger le Saint Maître. Homme de taille élancée et robuste, il s’installa devant la porte de la chambre où Limamou demeura quelques jours, avant de circuler parmi ses concitoyens. Nul n’osait s’approcher de lui avec des intentions malveillantes, car Momar Bineta était un gaillard bien bâti que personne n’osait affronter’’, raconte-t-on.
Les autres premiers disciples furent son épouse Fatima Mbengue, le jeune Mouhamed Diagne, l’esclave Abass, le juge et imam Ababacar Sylla. Ce dernier, cadi et grand imam de Dakar, avait déjà assumé à Dakar, pendant quatorze ans, la fonction de juge (chef du tribunal musulman) et pendant 22 ans celle d’imam de la grande mosquée d’alors (rue Blanchot). Il est né vers 1827 dans le village de Koundia et était plus âgé que Limamou de plus de 15 ans. À l’âge de 7 ans, alors qu’il était encore à l’école coranique, il se vit en songe, s’asseoir avec le Prophète Mohamed (PSL) sous un arbre. Ce rêve se réalisera trois ans après l’Appel de Limamou Lahi (PSL).
‘’Vers 1861, Ababacar Sylla fut nommé imam de Dakar, une fonction qu’il cumula avec celle de juge islamique. C’est vers 1877 qu’il rencontra pour la première fois Limamou Laye au cours d’un contentieux concernant les populations de Yoff et pour lequel il devait trancher. Comme le tribunal refusait du monde, Limamou resta dehors, s’appuyant contre un arbre. Dès que Thierno Ababacar Sylla entra dans la salle, il ne pouvait plus se concentrer, voyant un homme dont la tête effleurait le ciel et les pieds s’enfonçant sous terre. Il crut d’abord qu’il était victime d’un ensorcèlement par les mis en cause du jugement et dut suspendre l’audience afin de faire des prières de désenvoutement. Revenant à l’audience et constatant l’inefficacité de ses prières, il comprit que ce n’était pas le fait d’un ensorcellement et décida d’aller à la rencontre de ce jeune homme fort discret et plein de mystères. Il lui demanda son nom et ceux de ses parents avant de se lier d’amitié à lui. C’est depuis ce jour que leur compagnonnage débuta’’, confie le site.
En effet, poursuit-on, dès que Limamou Lahi se manifesta au grand jour, il crut en lui et attesta la véracité de sa mission. Sa foi en la mission de Limamou entraîna une réaction des notables de Dakar qui le destituèrent de ses fonctions de juge et d’imam. Mais cette destitution lui importait peu, du moment qu’il était devenu disciple du Saint Maître, celui que tous les croyants voudraient découvrir. Il envoya son épouse auprès de Limamou ; elle portait sur son dos Fatimata. Son fils, Abdoulahi Sylla, encore enfant, était avec elle pour lui tenir compagnie.
Derrière eux, suivait Mouhammad Sylla encore tout petit. Abdoulahi Sylla était en âge de raison, capable de mémoriser tout ce qu’il entendait. ‘’Ce mois de ramadan là, la lune apparut le jour du mercredi, on jeûna le jeudi. Le vénéré homme dirigea la prière de la Korité pour les gens de Dakar, un vendredi, puis se rendit le soir en visite au Mahdi (PSL), accompagné du plus âgé de la famille, Moukhtar Ndoye, son oncle maternel, d’Abdou Diagne, de Housseynou et de Makhtar Ndoye Mundaw (le petit) surnommé ainsi, car étant le plus petit parmi ses homonymes.
Il avait déclaré, lors de son sermon : ‘’Le mahdi que tout le monde attendait est apparu. Il nous est avantageux d’aller vers lui, car quiconque lui tourne le dos est dans un égarement manifeste.’’ Avec tous ceux qui l’accompagnaient, ils entrèrent dans la maison du Mahdi (PSL) la nuit, après le crépuscule, mais avant la prière de guéwé (après timis). Il se soumit à lui avec toute sa suite et le Mahdi (PSL) lui donna le wird, alors qu’auparavant, il était Moukhaddam Tidjiane (dignitaire tidjiane). Il avait reçu ce wird tidjâne d’Ahmadou Kane demeurant à Sakal, mais originaire du Fouta.
À son arrivée, Limamou lui dit : ‘’O Ababacar, toi qui a pris l’habitude de confirmer mon appel, tu es revenu’’, renseigne le document…
Tafsir Ndické Wade fait également partie des premiers compagnons du Makhdi. Il était un grand érudit et un marabout de renommée, originaire de Gandiole (Saint-Louis). Après plusieurs années à guetter son apparition, il en était arrivé à se demander s’il n’était pas lui-même le Mahdi attendu. Lorsque Seydina Limamou Lahi (PSL) lança son appel et que la nouvelle lui parvint, il décida de venir vérifier l’information par lui-même. Alors qu’il était en route, Seydina Limamou fut informé de son arrivée par son Seigneur. ‘’Tôt le matin, les compagnons de Seydina Limamou savaient déjà que quelque chose allait se passer, car le Saint Maitre n’avait pas la même attitude qu’auparavant.
Il faisait les cent pas comme s’il était préoccupé par quelque chose ou qu’il attendait quelqu’un impatiemment. Après quelques heures sous cette atmosphère, on vit Tafsir Ndické accompagné de ses disciples ; une arrivée majestueuse. Aussitôt qu’il arriva, Seydina Limamou, sans dire mot, souffla dans sa direction et il tomba raide mort. Il le laissa dans cet état pendant 24 heures avant de le réanimer en lui posant une question : ‘’Comment un saint homme de ton envergure pourra justifier auprès de ton Seigneur les cinq prières que tu viens d’omettre ?’’ L’homme comprit que cette puissance ne saurait émaner que de Dieu et fit son serment d’allégeance sur le champ, ainsi que tous les disciples qui l’avaient suivi’’, lit-on dans le site.
Parmi les premiers compagnons du Makhdi, il y a aussi Tafsir Abdoulaye Diallo. Il fut interprète à la gouvernance de Saint-Louis, exégète du Coran et l’un des premiers disciples. Après avoir répondu à l’appel de Seydina Limamou, il avait l’habitude d’arpenter les rues de Dakar en demandant aux gens de venir répondre à l’appel du Prophète de l’islam. D’ailleurs, cela fut l’une des raisons pour lesquelles il sera incarcéré par les colons. Il jouera un rôle très important dans sa communauté.
CHEIKH THIAM