Publié le 30 Nov 2024 - 21:11
FERMETURE DE BASES MILITAIRES

L’Afrique se libère de l'ombre de Paris

 

La récente décision du Sénégal et du Tchad de demander la fermeture des bases militaires françaises sur leur territoire marque un tournant décisif dans les relations postcoloniales franco-africaines. Ces annonces, qui coïncident avec les commémorations de Thiaroye 1944, soulignent la volonté croissante des États africains de réaffirmer leur souveraineté et de redéfinir leurs alliances stratégiques. Dans ce contexte, l'analyse du politologue Amadou Moctar Ann apporte un éclairage crucial sur les dynamiques sous-jacentes à ces décisions historiques.

 

L’annonce par le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye de la fermeture prochaine des bases militaires françaises, rapidement suivie par la décision du Tchad de rompre ses accords de coopération militaire avec la France, illustre une dynamique géopolitique profonde. Selon Amadou Moctar Ann, chercheur en science politique, ces décisions s’inscrivent dans un processus de longue date visant à remettre en question le modèle d’intervention militaire français en Afrique. Cette évolution témoigne d'une volonté d’affirmer une souveraineté longtemps considérée comme symbolique et de redéfinir des relations plus équilibrées avec l’ancienne puissance coloniale.

La présence militaire française en Afrique trouve ses origines dans les accords de coopération post-indépendance, mais elle a été perçue, au fil des décennies, comme un prolongement du contrôle colonial. Les interventions récentes au Mali, en République centrafricaine et au Tchad ont ravivé ce ressentiment. Pour les populations locales, ces actions militaires incarnent souvent une domination déguisée, alimentant un rejet croissant de la « Françafrique », un concept symbolisant les relations postcoloniales marquées par l’influence persistante de Paris sur ses anciennes colonies.

Ce rejet s’inscrit dans un mouvement plus large de montée des nationalismes africains. Les peuples africains, tout en revendiquant une indépendance politique acquise de longue date, cherchent aujourd'hui une autonomie stratégique et économique réelle. La déclaration du président Faye illustre cette aspiration à une souveraineté renforcée : « Le Sénégal est un pays indépendant et souverain. La souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires dans le pays », a-t-il affirmé dans un entretien récent à l’AFP.

Les motivations des dirigeants africains

Les décisions du Sénégal et du Tchad ne sont pas seulement symboliques. Elles traduisent une stratégie politique réfléchie et une volonté de diversifier les partenaires internationaux. Le président Faye a souligné l’importance de maintenir des relations ouvertes avec des puissances comme la Chine, la Turquie ou les États-Unis, qui n'ont pas de bases militaires sur le sol sénégalais. Cette diversification vise à réduire la dépendance vis-à-vis de la France et à explorer de nouvelles opportunités économiques et stratégiques.

De même, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a justifié la rupture des accords de coopération militaire par une volonté de renforcer la souveraineté nationale. Cette décision intervient dans un contexte de tensions accrues avec Paris, exacerbé par des accusations de détournement de fonds impliquant des achats somptuaires en France. Cette affaire, révélée par l’Agence France-Presse, a détérioré les relations bilatérales, symbolisant les défis d’une coopération marquée par des malentendus et des ressentiments historiques.

Une transformation structurelle des relations internationales

Pour Amadou Moctar Ann, ces retraits militaires traduisent une mutation structurelle des relations internationales. La France, autrefois hégémonique en Afrique, doit désormais repenser son rôle et adopter un modèle d’intervention plus respectueux des souverainetés locales. « Ces retraits ne sont pas simplement conjoncturels, mais traduisent une transformation structurelle », explique-t-il. La France doit évoluer vers un partenariat plus équilibré, loin des logiques paternalistes du passé.

Parallèlement, l’émergence de puissances alternatives comme la Chine et la Russie reconfigure le paysage géopolitique africain. Ces pays proposent des modèles de coopération moins interventionnistes, souvent perçus comme plus avantageux sur le plan économique. La concurrence internationale pousse les États africains à diversifier leurs alliances, réduisant ainsi l’influence française. Cette reconfiguration accélère la transition vers des relations internationales plus horizontales, marquées par une affirmation croissante des souverainetés nationales.

Les implications de ces décisions sont multiples. Sur le plan sécuritaire, le retrait des troupes françaises pourrait créer des vides stratégiques, notamment dans des régions fragilisées par l’insécurité. Cependant, il pourrait aussi encourager une coopération régionale plus solide, reposant sur des mécanismes africains. La CEDEAO et l'Union africaine pourraient jouer un rôle accru dans la gestion des crises.

Pour la France, cette transformation impose une redéfinition de sa politique africaine. Le rapport remis récemment au président Emmanuel Macron par Jean-Marie Bockel plaide en faveur d’un partenariat « renouvelé » et « coconstruit », mais la mise en œuvre reste incertaine. Le défi pour Paris sera de maintenir une influence économique et diplomatique tout en respectant les nouvelles réalités politiques du continent.

Les décisions du Sénégal et du Tchad marquent la fin d’un cycle historique et l’émergence d’une nouvelle ère dans les relations franco-africaines. Cette évolution dépasse le cadre militaire pour toucher aux symboles et aux fondements des relations postcoloniales. Le président Bassirou Diomaye Faye incarne cette volonté de rupture, mais aussi de reconstruction sur des bases nouvelles, dans le respect mutuel des souverainetés.

Pour le jeune chercheur, cette transformation représente une chance historique : celle de construire des relations internationales plus justes et équilibrées, où les nations africaines ne sont plus de simples partenaires subordonnés, mais des acteurs à part entière sur la scène mondiale. Le défi reste de taille, mais l’Afrique semble déterminée à écrire une nouvelle page de son histoire.

 

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