Publié le 23 Dec 2024 - 19:24
CONTRIBUTION ÉCONOMIQUE LOCALE SUR LA VALEUR AJOUTÉE (CEL/VA)

Une réforme controversée et adulée

 

La répartition 2024 de la Contribution économique locale sur la valeur ajoutée (CEL/VA) a plongé plusieurs villes et communes sénégalaises dans une crise financière sans précédent. Parmi les plus touchées figurent la ville de Rufisque et la commune de Ngoundiane, deux localités autrefois prospères, aujourd'hui confrontées à de graves déséquilibres budgétaires.

 

La Contribution économique locale assise sur la valeur ajoutée (CEL/VA) est une réforme fiscale majeure introduite par le gouvernement sénégalais en 2018, dans le cadre de l’Acte III de la décentralisation. Cette mesure visait à corriger les inégalités entre collectivités territoriales en redistribuant les ressources fiscales issues des grandes entreprises à l’échelle nationale et non plus uniquement aux communes abritant ces entreprises.

Cependant, six ans après sa mise en place, la CEL/VA suscite des controverses profondes, notamment à Rufisque et à Ngoundiane. Ces collectivités, historiquement bénéficiaires d’importantes recettes grâce aux industries locales, se disent désormais étranglées financièrement.

Lors du conseil municipal du 21 décembre 2024 consacré au vote du budget 2025, le maire de Rufisque, Dr Oumar Cissé, a exprimé son inquiétude : ‘’La ville de Rufisque n’est plus viable financièrement. Une ville qui consacre 60 % de ses recettes ordinaires aux salaires ne peut plus fonctionner correctement.’’

Le budget 2025 de Rufisque, fixé à 4,93 milliards F CFA, représente une baisse de 28 % par rapport à 2024. Cette chute est directement liée à l’allocation modique de 17 millions de F CFA de la CEL/VA qui, bien qu’animée par une volonté d’équité, révèle des failles dans sa mise en œuvre. Si certaines communes se réjouissent des ressources redistribuées, d’autres, comme Rufisque et Ngoundiane, s’en trouvent profondément fragilisées.

Une baisse drastique des recettes locales

Rufisque, qui percevait autrefois d'importantes recettes des industries comme la Sococim (1,3 milliard F CFA) et la Senelec (1,1 milliard F CFA), a vu ses revenus chuter drastiquement depuis l’avènement de la CEL/VA. En 2024, la répartition de la CEL a attribué à Rufisque la somme de 17 millions F CFA contre 832 millions F CFA en 2023. Cette baisse de 98 % a plongé la commune dans une crise budgétaire sans précédent.

Selon le maire Dr Oumar Cissé, ‘’la ville de Rufisque n’est plus viable financièrement’’. Le budget 2025, voté à 4,9 milliards F CFA, est en recul de près de deux milliards par rapport à celui de 2024. Cette réduction contraint la municipalité à se limiter au paiement des salaires (60 % des recettes ordinaires) et des dettes, au détriment des projets de développement.

Les conséquences sont énormes et se font sentir dans tous les domaines, notamment l’assainissement. La vieille commune, confrontée à des problèmes d’inondations chroniques, ne peut plus financer des projets de drainage. De plus, les routes en mauvais état ne sont pas réhabilitées, exacerbant la frustration des habitants. Les subventions aux écoles et aux centres de santé sont réduites.

Malgré ces défis, le Dr Cissé demeure optimiste quant à un partenariat avec la Sococim pour résoudre certaines urgences, notamment l’assainissement. Une convention de partenariat est en cours de finalisation, avec une contribution de 70 % pour la Sococim et 30 % pour la mairie.

La situation à Ngoundiane

La commune de Ngoundiane, dirigée par le maire Mbaye Dione, connaît une situation similaire. Depuis l’instauration de cette contribution, les recettes communales ont chuté de manière drastique. En 2017, Ngoundiane percevait entre 200 et 250 millions F CFA par an grâce à la patente. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 64 millions pour l'année 2024.

‘’Cette réforme était censée corriger une injustice entre collectivités locales, mais elle a surtout créé de nouvelles inégalités’’, a dénoncé Mbaye Dione. La commune, qui abrite des ressources comme le béton, voit ses richesses exploitées sans bénéficier de retombées financières équitables.

Les justifications d’un secrétaire municipal

Sous anonymat, un secrétaire municipal défend la réforme de la CEL/VA. Selon lui, ‘’cette mesure corrige une injustice entre collectivités locales, car la CEL/VA était auparavant allouée uniquement aux communes où les entreprises produisaient leurs biens’’. Il cite l'exemple du ciment produit à Rufisque, mais vendu à travers tout le Sénégal, ou encore du béton extrait à Ngoundiane et utilisé dans plusieurs régions.

Par ailleurs, il souligne le manque de solidarité entre les communes. ‘’Rufisque et Ngoundiane mènent seules leur combat. Les autres collectivités ne se mobilisent pas pour les défendre et revoir la clé de répartition’’, poursuit-il.

Cependant, il reconnaît les limites de la mise en œuvre et propose que la répartition de la CEL soit annoncée à l’avance, comme dans le Programme d’appui aux communes et agglomérations du Sénégal (Pacasen), pour permettre une meilleure planification budgétaire.

Vers une mobilisation nationale

Face à ces défis, les deux collectivités appellent à une mobilisation nationale pour réviser les critères de la CEL/VA. Les ministères concernés, notamment ceux des Finances et des Collectivités territoriales, sont invités à prendre des mesures correctives immédiates.

En attendant, les habitants de Rufisque et Ngoundiane subissent de plein fouet les conséquences de cette réforme. Les projets d’infrastructures sont gelés et les services municipaux fonctionnent au ralenti.

Les récents développements autour de la CEL/VA posent une question cruciale : comment garantir une décentralisation juste et équitable au Sénégal ? Alors que Rufisque et Ngoundiane peinent à maintenir leurs finances à flot, d'autres communes pourraient bientôt rejoindre la liste des collectivités en crise.

Le combat pour une réforme de cette pratique ne fait que commencer. Les prochains mois seront déterminants pour l'avenir de nombreuses villes où les attentes des populations restent immenses face à des ressources de plus en plus limitées.

Pour éviter que cette réforme devienne un facteur de déséquilibre territorial, les observateurs et experts de la décentralisation recommandent que le gouvernement sénégalais engage un dialogue inclusif avec les collectivités locales.

Une réforme de la réforme s’impose pour garantir que la CEL/VA remplisse pleinement son objectif d’équité et de développement.

AMADOU CAMARA GUEYE

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