La vérité sur les discussions entre Paris et Dakar
La déclaration d'Emmanuel Macron avait suscité une vive polémique et une avalanche de réactions auprès des gouvernements africains, de la classe politique et de la société civile. ‘’EnQuête’’ a essayé d'en savoir un peu plus sur cette brouille qui secoue une nouvelle fois l'axe Paris - Dakar.
Est-ce qu'il y a eu des négociations entre la France et les États africains sur le retrait des bases militaires ? La France a-t-elle, oui ou non, laissé la primeur de l'annonce aux gouvernements africains ? ‘’EnQuête’’ revient ici sur les faits et l'historique de cette lancinante question qui transcende les régimes depuis des décennies. De Wade à Diomaye, en passant par Macky Sall, la présence des bases militaires françaises dans certains pays comme le Sénégal a souvent suscité fantasmes et vives polémiques.
Face aux ambassadeurs et ambassadrices de son pays, le lundi 6 janvier 2025, le président français, Emmanuel Macron, a fait plusieurs déclarations qui passent mal auprès des gouvernements africains qui venaient d'annoncer le départ prochain des bases militaires étrangères, en particulier françaises, de leurs territoires respectifs.
Selon le président français, “ce départ a été négocié avec les pays africains”. S'il s'en était limité là, il y aurait probablement eu moins de polémiques. Mais comme à son habitude, Macron a poussé le bouchon un peu plus loin. D'un air condescendant, selon beaucoup d'observateurs, il a ajouté : “C'est par pure commodité et par politesse que la France a consenti la primeur de l'annonce à ces pays africains.” La réaction n'a pas tardé côté sénégalais. Et c'est le Premier ministre qui est monté le premier au créneau pour apporter un cinglant démenti.
Sur sa page Facebook, il peste : “Je tiens à dire que, dans le cas du Sénégal, cette affirmation est totalement erronée. Aucune discussion ou négociation n'a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain.”
Mais qu'est-ce qui s'est réellement passé ? Nos sources font la différence entre deux choses. D'une part, l'annonce même du départ qui a été faite par le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye ; d'autre part, l'existence ou non de négociations entre les deux États. Sur le premier point, Ousmane Sonko a totalement raison. ‘’EnQuête’’ tient de source sûre qu'effectivement, Paris a été même surprise par la déclaration faite par le président sénégalais, d'abord le 28 novembre sur des médias français et surtout le 31 décembre 2024, à l'occasion de son adresse à la Nation.
Si dans la première déclaration, le président de la République n'avait pas fixé de date, pour ses vœux de fin d'année, il est allé jusqu'à fixer la date. “Ce qui a le plus surpris les Français, c'est moins le fait d'avoir annoncé le départ que la manière avec laquelle cela a été fait. Sinon, cela fait des mois que les deux États travaillent dans cette dynamique et il n'y a eu aucun problème”, précisent nos sources.
Paris, entre surprises et incompréhensions
En revanche, en ce qui concerne les négociations, il convient de relativiser un peu les propos du Premier ministre.
En effet, assurent nos sources, à ce jour, il n'y a pas de négociations “formelles et concrètes” sur les modalités de ce retrait des éléments français au Sénégal.
Toutefois, sur le principe même du retrait, le sujet a été au cœur des discussions entre les parties à plusieurs reprises, notamment à l'occasion des déplacements du président de la République Bassirou Diomaye Faye en France. Des affirmations corroborées par les sorties du président Faye lui-même.
Le 13 juillet 2024, lors d'un face-à-face avec certains médias sénégalais, à l'occasion des 100 jours de son régime, le président de la République disait : “Lors de mon séjour à Paris, j'ai pu aborder certaines questions avec le président français. Évidemment, cette question-là était à l'ordre du jour. Mais il se trouve que depuis quelques années, on a institué un séminaire intergouvernemental entre la France et le Sénégal. Les deux parties sont en train de travailler sur tous les accords qui nous lient. Qu'il s'agisse des accords militaires, des conventions fiscales ou d'autres accords ou projets sur lesquels nous coopérons.”
Il réagissait ainsi à une question de notre consœur - l'ancienne journaliste de ‘’Sans Limites’’ Arame Touré - lui demandant s'il va ordonner le retrait des bases militaires françaises.
Sur les modalités et la date de ce départ, le président Faye s'était voulu plus diplomatique. “Je ne peux pas dire que cela va se faire à telle date. Parce que même les modifications qui interviennent dans les relations entre les pays doivent être, de mon point de vue, discutées en toute sérénité et en toute amitié. Je ne pense pas qu'on ait besoin aujourd'hui - quel que soit le partenaire - d'avoir des ruptures brutales. Je ne veux pas d'ailleurs qu'on fasse le focus sur la France, la Russie, la Chine ou quelque autre pays”.
Une commission mixte composée de hauts officiers mise en place depuis mai 2024
En fait, sur le principe du retrait, il n'y a pas de grandes divergences entre les deux pays, tempèrent nos sources, qui tiennent à rappeler que les discussions pour une réorganisation de la coopération militaire ne datent pas d'aujourd'hui. Elles ont été enclenchées depuis plusieurs mois avec le président Macky Sall. Elles devaient avoir pour objectif une “réorganisation profonde avec une diminution des emprises”. Au mois d'avril 2023, lors d'un entretien entre les deux présidents (Macron et Macky Sall), le sujet était au cœur des discussions.
Dans le schéma initial défini par le président français, il n'était pas forcément question d'abandonner totalement les bases. Même si l'hypothèse n'a jamais été exclue, si les pays concernés le réclament. L'arrivée d'un régime souverainiste au Sénégal a rendu encore plus plausible cette perspective, sans jamais remettre en cause les perspectives de coopération. L'État étant une continuité, les négociations n'ont jamais cessé entre les deux gouvernements. Avant même la rencontre de juin entre Macron et Diomaye, le 15 mai 2024, une commission mixte, composée de hauts officiers des deux pays, a été mise en place. D'ailleurs, informe-t-on, la France était même prête à restituer les emprises dès l'été 2024.
Depuis lors, les militaires français attendent juste la partie sénégalaise pour savoir sur quel pied danser et travailler, le cas échéant, sur un calendrier de départ. La sortie du 28 novembre a donc un peu dérouté les Français. Mais pour autant, il n'y avait pas péril, puisqu'il ne s'agissait que de rendre publique une évidence, à savoir le retrait des bases.
Dans la même déclaration, Bassirou Diomaye Faye précisait que “les autorités françaises auront la primeur” de la déclaration et suivant le calendrier établi”. La grande surprise, c'était donc le 31 décembre, quand le président de la République va jusqu'à avancer une date, en précisant que le retrait devrait se faire “dès 2025”.
Sur RFI, le porte-parole du gouvernement en a remis une couche, en ajoutant que le ministre des Forces armées va certainement faire une sortie pour déterminer les modalités de ce retrait.
Les maladresses du président français
Au-delà de cette question relative au départ des bases militaires, la partie de la déclaration de Macron qui a le plus irrité certains, c'est quand il affirme de manière très maladroite qu'aucun pays africain ne serait aujourd'hui souverain, si la France ne s'était pas déployée. “Constatons que la France n'a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l'Afrique sa sécurité et sa souveraineté”, a réagi sèchement Ousmane Sonko, qui ajoute : “C'est le lieu de rappeler au président Macron que si les soldats africains, quelquefois mobilisés de force, maltraités et finalement trahis, ne s'étaient pas déployés lors de la Deuxième Guerre mondiale pour défendre la France, celle-ci serait, peut-être aujourd'hui encore, allemande.”
Selon des sources concordantes, il n'a jamais été question de parler du Sénégal ou de pays comme la Côte d'Ivoire. Le président français visait plus les pays du Sahel, en particulier le Mali qui avait fait appel à la France en 2013 face au péril terroriste. Une implication de la France qui avait valu à son armée la perte d'une cinquantaine de soldats. “Je pense qu'on a oublié de nous dire merci, mais ce n'est pas grave, ça viendra avec le temps. L'ingratitude est une maladie non transmissible à l'homme. Je le dis pour tous les gouvernants africains qui n'ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter, qu'aucun d'entre eux ne serait aujourd'hui un pays souverain si la France ne s'était pas déployée dans cette région”, s'indignait Macron non sans rappeler qu'ils étaient là à la demande d'États souverains et qu'ils sont partis parce qu'il y a eu des coups d'État. “À partir du moment où les gens ont fixé d'autres priorités, on est parti parce que nous ne sommes pas des supplétifs de putschistes”.
PARTENARIAT MILITAIRE Quelle option pour le Sénégal ? Loin de la polémique et des luttes idéologiques, la question que tous les spécialistes se posent, c'est de savoir quel partenariat militaire le Sénégal compte-t-il mettre en œuvre pour faire face aux menaces multiformes ? Même s'il n'a jamais été question de sous-traiter à une armée étrangère la sauvegarde de sa sécurité intérieure et extérieure, on n'a pas besoin d'être expert pour comprendre que nous sommes dans un monde complexe où les partenariats sont indispensables. D'ailleurs, le président Faye a réaffirmé que son gouvernement est en train de travailler sur l'élaboration d'une nouvelle doctrine sécuritaire et il compte travailler avec tous les partenaires potentiels, sans exclusion. Il convient juste de noter que jusque-là, la France a été un partenaire privilégié, non seulement de par les rapports historiques, mais aussi en tant que pays où se forme une bonne partie de l'élite de notre armée, à travers ses plus grandes écoles comme Saint-Cyr. S'y ajoute, c'est l'une des armées les plus puissantes de l'Otan, sans parler de la question de la langue. De quelle alternative dispose le Sénégal en abandonnant cette coopération ? Parmi les plus grands, il n'y a que les États-Unis de Trump, l'Angleterre, la Chine, la Turquie, ou se jeter, comme les pays du Sahel, dans les bras de la Russie. La grande question, c'est de savoir si la coopération militaire constitue une priorité pour ces pays, excepté la Russie et les États-Unis. Le 17 février 2023, à la veille d'une tournée qui devait le mener dans certains pays africains, le président français revenait amplement sur les grandes orientations de sa nouvelle politique sécuritaire sur laquelle il travaillait déjà avec ses homologues africains. Selon lui, le modèle de la France ne doit plus être celui des bases militaires telles qu'elles existent actuellement. “Notre présence s'inscrira au sein de bases, d'écoles, d'académies qui sont cogérées, fonctionnant avec des effectifs français qui demeureront, mais à des niveaux moindres et des effectifs africains. Et qui pourront aussi accueillir, si nos partenaires africains le souhaitent et à leurs conditions, d'autres partenaires”. Cette transformation, de l'avis de Macron, devait reposer sur la construction d'un nouveau “modèle d'intimité et d'imbrication” qui mettrait plus en avant la formation, l'accompagnement et l'équipement, en partant des besoins exprimés par les partenaires. |