Le début d'une nouvelle ère
C'est une rencontre inédite organisée par la police nationale, en partenariat avec la Coordination nationale des associations de presse, afin de favoriser des échanges directs entre forces de l'ordre et acteurs des médias. C'était dans le cadre des “Mercredis de la police”. C'était sous la présidence du directeur général de la Police nationale, qui a montré toute sa détermination à mettre un terme à ces heurts entre éléments de la police et reporters sur le terrain.
La rencontre, initiée par la police nationale, s’est tenue hier à l'École nationale de police. À cette occasion, les journalistes et les agents des forces de l’ordre sont largement revenus sur l’importance de maintenir une cohésion pacifique, surtout sur le terrain des opérations. Dans une ambiance d’échanges libres et sans complaisance, les participants ont mis en lumière les défis liés à la couverture médiatique et au maintien de l’ordre.
Dans son intervention, l’ancien secrétaire administratif du Synpics (Syndicat des professionnels de l'information et de la communication du Sénégal) Moustapha Diop, a mis l'accent sur la nécessité d’un dialogue entre les forces de l’ordre et les professionnels de l'information. “Il faut instaurer un cadre de dialogue permanent entre les forces de défense et de sécurité et les acteurs des médias. Nous estimons qu'il faudrait aussi introduire la question des médias dans la formation initiale des forces de défense et de sécurité”.
Selon le panéliste, les journalistes ne sont souvent pas informés des procédures mises en place par les forces de sécurité. Il préconise ainsi la mise en place d’un mécanisme d'échange et d'alerte pour permettre aux parties de se connaitre mutuellement. Cela a déjà été fait durant la période 2007-2012. “À la suite d'une série de rencontres entre forces de sécurité et acteurs des médias, des mesures étaient prises des deux côtés pour parer à toute éventualité de conflits. Des consignes étaient aussi élaborées et éditées sous forme de brochures pour chaque partie. Et le Synpics avait mené une grande campagne de communication et une tournée de sensibilisation à travers tout le pays, en direction des professionnels des médias. Tout cela a été fait, afin de permettre aux reporters d'exercer leur métier dans de meilleures conditions, dans le respect des règles d'éthique et de déontologie, et en toute sécurité, sans entraver le travail de la police et de la gendarmerie”.
Ces recommandations ont été partagées par le président de l'Appel (Association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne) Ibrahima Lissa Faye, qui souligne l'importance de mettre en place des mécanismes de cohabitation pour garantir à la fois le maintien de l'ordre et le droit à l’information. “Il faudrait une plateforme qui permette aux forces de sécurité d'avoir des interlocuteurs dédiés au sein de la presse”, a expliqué Lissa, qui est également revenu sur la nécessité, pour les journalistes, de disposer d'outils d'identification tels que la carte nationale de presse et les gilets, afin d'être facilement reconnus lors des événements et manifestations.
Toutefois, constate-t-il pour le regretter, ¨le constat est que même ces outils ne garantissent pas une protection totale. Il est donc essentiel que la police communique avec les journalistes pour leur indiquer les zones à risque”. Le fondateur de Pressafrik a aussi invité policiers et gendarmes à partager leurs procédures avec les professionnels des médias et les étudiants.
Pour sa part, le représentant d'Article 19 a axé sa présentation sur les mécanismes juridiques nationaux et internationaux de protection des professionnels de l'information. En premier, il invoque les lois nationales qui garantissent la liberté d'expression et de presse. ¨La question qu’on devrait se poser, à mon avis, est la suivante : est-ce que le cadre juridique actuel protège suffisamment les journalistes ? Il est nécessaire que les journalistes soient mieux protégés sur le terrain”, plaide M. Mbaye.
À la suite des différents panélistes, des témoignages poignants ont été faits par des reporters sur les mésaventures qu'ils ont vécues sur le terrain, particulièrement lors des périodes troubles entre 2021 et 2024. Tristement célèbre, Absa Hann a ouvert ces témoignages. “J'ai été interpellée, agressée et frappée par un agent, alors que nous étions en train de partir¨, a-t-elle témoigné. D'après son récit, le policier leur avait ordonné de ¨dégager¨, ce qu'elle et ses confrères étaient en train de faire. Pourtant, ils ont été visés par une bombe lacrymogène. En cherchant à comprendre la raison de cette intervention brutale, Absa a été frappée et giflée sans aucune justification. Son confrère, Mor Amar, qui tentait de la défendre, avait lui aussi été agressé et avait reçu un coup de poing à la mâchoire.
Un témoignage parmi d'autres qui illustre les tensions persistantes entre la presse et les forces de l'ordre.
Ainsi, les interventions ont permis de mettre en exergue des points essentiels tels que le droit à l’information de la population, qui demeure un pilier fondamental du travail journalistique, la sensibilisation des journalistes sur les méthodes de travail des forces de l’ordre afin de mieux comprendre leurs impératifs et contraintes. Les outils et mécanismes de protection des journalistes, particulièrement lors des manifestations et des situations à risque, et la nécessité de sanctionner les agents qui font preuve de débordement.
La réaction de la police nationale
Afin d’aboutir à une réelle collaboration, le commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle et non moins conseiller technique chargé des opérations de la police est revenu sur les défis de la coexistence entre forces de l'ordre et acteurs des médias.
¨Les relations entre les forces de l'ordre et les journalistes sont au cœur des défis que rencontre notre démocratie. Ces deux institutions, essentielles au bon fonctionnement de notre société, partagent un objectif commun, qui est de servir l'intérêt général. Pourtant, lors des manifestations, ces relations sont souvent marquées par des tensions, des malentendus et parfois des conflits qui nuisent à leurs missions respectives¨, a-t-il déclaré.
Poursuivant, le commissaire Ndiaga Diop a relevé que l’une des causes de ces tensions, c'est ¨l'absence de protocoles clairs pour les journalistes, la méfiance réciproque, la confusion entre manifestants et journalistes. D’après lui, les forces de l’ordre cherchent à garantir une communication fluide et une coordination efficace pour éviter les erreurs à l'avenir. S'adressant aux professionnels des médias, il a relevé certains éléments de langage qui sont souvent relayés et qui peuvent gênés quelquefois les opérations. Parmi ces actes, il y a le fait de relayer certaines informations sur le dispositif, le fait de franchir les cordons de sécurité sans autorisation, le fait de reculer quand on leur demande de s'éloigner.
Voilà des agissements qui, d’après le conseiller technique, peuvent gêner les opérations sur le terrain et qui requièrent la prise de certaines mesures de précaution. Commissaire Diouf de préciser : ¨Pour la police, les journalistes peuvent gêner les opérations. Pour les journalistes, les restrictions policières peuvent être perçues comme de la censure. Ce qui crée une tension comme la méfiance, l'incompréhension.”
Ainsi, pour favoriser une meilleure collaboration, le conseiller chargé des opérations a préconisé que les forces de l'ordre et les journalistes organisent des rencontres régulières. “L'objectif est d'éviter tout malentendu et de garantir un niveau d'information équitable. D’une part, en sensibilisant les policiers au Code de la presse et, d'autre part, en informant les journalistes sur le protocole de la police en cas de manifestations”, a recommandé le commissaire de police.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE