Le grand bluff de Pastef

Contrairement à ce qui a toujours été dit, Pastef, si l'on en croit le raisonnement du Conseil constitutionnel, a voulu, en réalité, inclure dans le champ de l'amnistie certains crimes de sang, en excluant d'autres.
Le considérant numéro 31 de la décision 1C/2025 rendue la semaine dernière par le Conseil constitutionnel n'en finit pas de susciter des commentaires. Chacun y allant de son avis, chaque camp criant victoire. Mais qu'est-ce qui s'est donc passé ? Pastef a-t-il raison de crier victoire dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire de l'interprétation de la loi d'Amadou Ba ? Un avocat sous le couvert de l'anonymat a attiré l'attention de EnQuête sur le fameux considérant. Que dit le texte ? EnQuête a essayé de le décomposer pour le rendre plus intelligible.
Au dit considérant, le Conseil constitutionnel d'abord nous informe sur le sens de l'alinéa 2 de la loi Amadou Ba. Au sens de cet alinéa, explique la haute juridiction, “les faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international, notamment l'assassinat, le meurtre, le crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont inclus dans le champ de l'amnistie lorsqu'ils ont un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique...”.
En termes plus simples, si la loi Amadou Ba passait, les meurtres, assassinats, tortures, actes de barbaries et autres seraient couverts, lorsqu'ils ont un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique. Ce qui est clairement en porte à faux avec ce que Pastef a toujours défendu, c'est à dire que l'objectif du texte serait d'extraire du champ de l'amnistie tous les crimes de sang.
Si la loi Amadou Ba avait passé, les crimes de sang en lien avec l'exercice d'une liberté publique allait être amnistiés
Après avoir explicité le sens de l'alinéa 2 de la loi portant interprétation de l'amnistie, le Conseil constitutionnel décline sa sentence en des termes sans équivoque. “...En incluant ainsi dans le champ d'application de la loi portant amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal, l'alinéa 2 de l'article premier de la loi numéro 08/2025 du 02 avril 2025, viole la Constitution”. Ainsi, comme pour l'alinéa 1er, ce qui est brandi par Pastef et son chef comme un signe de victoire se révèle être un revers.
Ainsi, le Conseil constitutionnel a soulevé ce subterfuge dans la loi amadou Ba, alors même que les requérants ne l'ont pas invoqué. Et les sages ont commencé par justifier leur posture. “Conformément à l'article 17 de la loi n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel, si le Conseil constitutionnel relève dans la loi contestée soumise à son examen une violation de la Constitution, qui n'a pas été invoquée, il doit la soulever d'office...” Cette justification faite, le Conseil a rappelé que les instruments juridiques internationaux adoptés par l'ONU et l'OUA ont une valeur constitutionnelle, conformément aux dispositions du préambule de la Constitution, partie intégrante de la constitution.
Il a aussi relevé que ces instruments déclarent imprescriptibles, et donc non susceptibles d'amnistie, les faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international. Telle est la motivation de la haute juridiction ayant abouti à la décision de déclarer anticonstitutionnelle non seulement l'alinéa 1er, mais aussi l'alinéa 2 de l'article premier de la loi portant interprétation de l'amnistie, introduite par le député de Pastef.
Quel sort pour les six pyromanes présumés du bus de Yarakh, arrêtés avant de bénéficier de l'amnistie
Selon le Conseil constitutionnel, “le législateur ne saurait, par une loi dite interprétative, ni faire obstacle à la répression de crimes imprescriptibles, ni priver de leur portée les principes relatifs à la sauvegarde de la dignité humaine, motif pris de ce que ces crimes seraient liés à l'exercice d'une liberté publique ou d'un doit démocratique”. Il ressort de la juridiction que “le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères ne fait pas obstacle à la poursuite des faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international”.
Mais pourquoi donc la loi Amadou Ba inclut dans son champ d'application, à l'alinéa 2 de l'article premier, les crimes de sang en lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique ?
Pour rappel, six personnes ont été arrêtées dans le cadre de l'affaire relative à l'incendie barbare du bus de Yarakh, ayant emporté la vie de deux petites filles. Deux autres étaient repérés aux Etats Unis et faisaient l'objet de poursuites pour leur extradition. Tous ont eu à bénéficier de l'amnistie ; ceux qui ont été envoyés en prison ayant été libérés.
EnQuête a appris de sources sûres que ces derniers avaient activé tous leurs réseaux pour que la remise en cause de l'amnistie ne puisse pas compromettre leur liberté. Avec la décision qui vient d'être rendu par le Conseil constitutionnel, l'Etat devrait sans doute prendre ses dispositions pour que justice soit faite dans cette affaire. Mais jusque-là, les projecteurs semblent surtout se braquer sur les bourreaux de manifestants et non sur les manifestants présumés bourreaux.
Rappel de l'alinéa 2 de la loi Amadou Ba
Pour rappel, aux termes de l'aliéna 2 de l'article 1er de la loi Amadou Ba, “sont exclus du champ de l'amnistie, les faits survenus entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024 tant au Sénégal qu'à l'étranger, sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique et qualifiés, notamment, d'assassinat, de meurtre, de crime de torture, d'actes de barbarie, de traitement inhumains, cruels ou dégradants, même si ces faits se rapportent à des manifestations, quelle qu'en soit la motivation et indifféremment de leurs auteurs”. Si l'on décompose cette disposition, cela donne ceci : “sont exclus du champ de l'amnistie les faits, notamment les assassinats, les meurtres, les crimes de torture...., sans lien avec l'exercice d'un droit démocratique et d'une liberté publique.”
A contrario, les assassinats, les meurtres...., en lien avec l'exercice d'une liberté démocratique, sont dans le champ de l'amnistie. En revanche, les mêmes crimes, même s'ils se rapportent à des manifestations, ne sont pas pris en compte, dès lors que ce n'est pas directement lié à l'exercice d'un droit démocratique. Nous avons essayé de joindre le député Amadou Ba pour avoir son commentaire sur ses aspects, mais en vain.
Suite à la décision du Conseil constitutionnel, le parti d'Ousmane Sonko était monté au créneau et avait essayé de dédramatiser ce qui était présenté comme un revers. A travers son groupe parlementaire qui avait défendu bec et ongle la proposition de loi, le parti prenait acte et tirait les deux enseignements suivants. En premier lieu, les camarades d'Ayib Daffé relèvent qu'aux termes du considérant 31, “l'assassinat, le meurtre, la torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants sont des crimes imprescriptibles qui ne peuvent être couverts par une loi d'amnistie”.
En deuxième lieu, soutiennent-ils, “les victimes ont un droit à réparation, conformément à l'article 2 de la loi interprétative”. Ils en déduisent que “la décision du Conseil Constitutionnel confère à toutes les victimes la possibilité de déposer des plaintes contre les meurtriers, assassins, tortionnaires, nervis, leurs complices et surtout les commanditaires”. Aussi, se sont-ils réjouis, la “revendication ferme de ne pas laisser impunis les crimes de sang a trouvé un écho favorable dans cette décision du Conseil Constitutionnel” ; qu'il “appartient désormais à la Justice d'en tirer toutes les conséquences, et ce, en toute indépendance."