Publié le 25 Jun 2025 - 21:30
LENTEURS DANS LES INVESTISSEMENTS

Le Code des marchés publics, un bouc émissaire

 

Si l'argument relatif aux lourdeurs du Code des marchés publics n'est pas dénué de tout fondement, les experts épinglent aussi la volonté du Premier ministre à vouloir tout centraliser, mais aussi, et surtout le grand défi du financement des grands projets de l'agenda Sénégal 2050. 

 

Il faudrait peut-être surveiller l'avenir de la législation en matière de commande publique. Ces derniers mois, l'autorité n'a pas raté d'occasion pour fustiger de supposées contraintes liées au Code des marchés publics, soit pour justifier ses échecs soit pour légitimer quelques actes passés en méconnaissance de la réglementation en vigueur. L'on se rappelle encore la défiance ouverte d'un directeur général envers le directeur général de l'Autorité de régulation de la commande publique, avec le soutien public du Premier ministre. Dans le même sillage, la chronique a soulevé dernièrement l'annonce de marchés importants sans passer par un appel d'offres ouvert, souvent en violation flagrante des règles du Code des marchés publics. 

Dans le rapport d'exécution budgétaire pour le premier trimestre 2025, pour justifier le niveau très faible des investissements sur ressources internes, les services du ministère des Finances déclarent : “En termes de volume, les investissements exécutés par l’État constituent la catégorie de dépenses la plus faible. Cette situation s’explique par des procédures de passation de marchés qui ne se dénouent généralement qu’à la fin du premier semestre pour cette catégorie de dépense.”

À la fin du premier trimestre 2025, les dépenses en capital sont ainsi ordonnancées à hauteur de 288,57 milliards F CFA. “En glissement annuel, elles sont en baisse de 42,21 milliards. Ces dépenses sont réparties entre, d'une part, les dépenses financées sur ressources internes, exécutées à hauteur de 103,37 milliards, contre 173,52 milliards un an auparavant ; d'autre part, les dépenses financées sur ressources externes exécutées à 185,20 milliards contre 157,26 milliards un an auparavant”. 

Là où l'État a fait les pires performances, c'est au niveau des investissements exécutés par l’État. Lesquels “ont été ordonnancés pour un montant de 2,64 milliards F CFA, contre 20,64 milliards à la fin du premier trimestre de l’année 2024”. 

Les cellules de passation des marchés au banc des accusés 

Il faut noter que l'argument sur les marchés publics n'est pas du tout nouveau. Dans le rapport pour le premier trimestre 2024 également, les services du ministère des Finances invoquaient la même rengaine. Même si, à l'époque, les services avaient pu faire bien mieux.

Interpellé, ce spécialiste des marchés publics explique : “Il faut savoir qu'une procédure de marché normale prend au moins trois mois ; cela peut aller jusqu'à six mois pour les grands marchés de travaux par exemple. Donc, si vous lancez le marché en janvier, vous ne pouvez pas avoir le contrat avant mars. Ce n'est pas possible. Le contrat ne saurait donc être exécuté au premier trimestre. Généralement, les marchés exécutés au premier trimestre sont des marchés dont la signature a eu lieu l'année précédente.” 

Cela dit, une application correcte et effective du budget programme pourrait offrir un début de solution et permettre de lever certaines contraintes, analyse notre interlocuteur, qui précise : “Par le passé, l'autorité contournait aussi cet obstacle à travers ce que l'on appelle les lettres de couverture budgétaire. À mon avis, ce n'est pas une pratique légale, parce qu'une dépense, elle est autorisée par l'Assemblée nationale. Ce n'est donc pas au ministre de prendre la garantie à l'année N-1, qu'il y aura des crédits. Mais c'était une pratique pour faire face à certaines contraintes.”

Certaines sources ne manquent pas cependant d'interpeller les cellules de marchés publics, qui ont un rôle clé pour un déroulement efficace des procédures. “Normalement, cela ne devrait pas constituer un problème majeur. Je pense que jusque-là, ceci a été plus ou moins bien géré”, relève un autre acteur des marchés publics. 

La centralisation des décisions à la primature : l'autre écueil sur les investissements 

Ces contraintes ne justifient cependant pas toutes les lenteurs actuelles dans le déroulement des investissements de l'État. La preuve, malgré les difficultés alléguées, les autorités contractantes ont su mener correctement les marchés relevant de leur fonctionnement.

Il en est, par exemple, des dépenses d’acquisition de biens et de services ordonnancées à hauteur de 84,65 milliards F CFA, soit 20,35 %. Idem pour les transferts courants estimés à 463,93 milliards F CFA, soit un taux d’exécution de 30,63 % contre 402,74 milliards F CFA un an auparavant. Cela montre que quand l'autorité veut, il peut. 

Au-delà du Code des marchés publics, ils sont nombreux à remettre en cause l'efficacité de cette volonté primatoriale à vouloir tout contrôler, même les voyages des fonctionnaires. Ce qui n'est pas sans conséquence sur la mise en œuvre de l'action publique. D'ailleurs, beaucoup d'agents de l'Administration se plaignent de cette décision. Aujourd'hui, même pour voyager, participer à des rencontres importantes pour leur secteur, ils ont besoin de l'autorisation de la primature. 

En effet, lors du Conseil des ministres du 8 janvier 2025, le porte-parole du gouvernement revenait sur les mesures prises par le Premier ministre et qui aujourd'hui pèsent sur les administrations. “Soucieux d'une exécution efficace des politiques publiques, le Premier ministre a annoncé la mise en place d'un dispositif renforcé pour le pilotage, le suivi et l'évaluation des projets et programmes découlant des 26 objectifs stratégiques et des réformes du plan quinquennal 2025-2029”, informait Sarré, qui précisait : “La rationalisation, la priorisation et l'efficience dans l'utilisation des ressources publiques restent un enjeu majeur pour le gouvernement. C'est pourquoi le PM a décidé que toutes les dépenses d'investissement seront validées à son niveau. Un tableau prévisionnel des opérations financières de l'État sera soumis par quinzaine.” D'ailleurs, certains n'avaient pas manqué de constater, pour le regretter, que le Premier ministre s'immisce dans les prérogatives du ministère des Finances qui exerçait jusque-là ce rôle. 

Le défi du financement pour matérialiser les investissements

Dans une autre note qui avait soulevé pas mal de vagues, le Premier ministre rappelait l'exigence d'une autorisation avant tout déplacement. “Tout déplacement à l'étranger des membres du gouvernement, magistrats, militaires, fonctionnaires et autres agents de l'État nécessite l'accord préalable du Premier ministre. Les justificatifs démontrant la nécessité absolue de la mission doivent être fournis”, soulignait le Premier ministre, qui rappelait aussi l'obligation d'introduire “un calendrier trimestriel des missions” à soumettre “15 jours avant le début du trimestre”. 

En sus de cette centralisation des décisions et des contraintes liées aux règles de passation des marchés, il y a aussi un sérieux problème de disponibilité des financements, malgré les tentatives de dédramatisation.

En effet, en raison de la situation difficile des finances publiques, le gouvernement peut difficilement lever des financements sur le marché financier international. Soumis à des taux d'intérêt exorbitants - entre 10 et 13 % - il est obligé, depuis quelques mois, à se rabattre sur le marché régional avec des taux certes plus intéressants, mais qui peuvent difficilement permettre de lever certains montants.

L'autre alternative reste le Fonds monétaire international qui refuse, depuis juin-juillet, de signer un nouveau programme avec l'État du Sénégal.

À ce rythme, c'est tout l'agenda Sénégal 2050 qui risque d'être remis en cause. 

Par Mor Amar

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