Publié le 19 Jul 2025 - 23:39
CONCLUSIONS DU DIALOGUE NATIONAL

La déception des Organisations de la société civile

 

Dans un rapport, les Organisations de la société civile (OSC) ont fait une évaluation du Dialogue national sur le système politique sénégalais. Elles dénoncent un dialogue dévoyé et vidé de sa substance.  

 

Une réelle déception. C’est l’appréciation des Organisations de la société civile (OSC) qui ont participé ou  contribué au Dialogue national sous l’égide de l'initiative ‘’Dissoo’’. Il y a eu une évaluation globale en demi-teinte, d’où leur déception au regard des attentes initiales de refondation systémique. ‘’Le dialogue a souffert de failles structurelles dès sa conception. Les termes de référence (TDR) ont été jugés restrictifs, orientant les débats vers le système électoral au détriment d'une refondation globale du système politique. Les contributions faites pour les réorienter n’ont pas eu de bonne suite’’, a-t-on indiqué dans le rapport de l’Observatoire citoyen des politiques publiques.

Les OSC soutiennent que malgré un appel à contributions pour amender les TDR, leurs propositions n'ont pas été intégrées de façon systématique dans le document final. Ceci leur fait dire que "le ver était déjà dans la pomme". Elles constatent que la promesse (faite en plénière de la Cérémonie d’ouverture) de pouvoir intégrer de nouvelles thématiques en Commission ne s'est finalement pas matérialisée, les demandes en ce sens ayant été toutes éconduites. ‘’Le Cadre de concertation pour le respect et la préservation des droits des femmes avait fait des propositions clés en amont, telles que l'interdiction du cumul des fonctions pour libérer des postes décisionnels et créer de l'espace pour des profils féminins, propositions qui n'ont pas été examinées’’, déplorent les OSC.

En effet, à leurs yeux, les thématiques citoyennes et inclusives ont été marginalisées. L’une d’elles était la participation politique des femmes. Alors que le dialogue a été clôturé, les OSC expriment leur inquiétude face à ce qui a été qualifié par une participante de "régression dangereuse" de la participation politique des femmes au Sénégal. Selon elles, ‘’le dialogue a été une nouvelle illustration de "manœuvres" pour freiner le leadership féminin, poussant les actrices présentes à s'organiser "entre femmes pour parler du leadership et de la participation politique".

Au-delà de ces constats, souligne-t-on, le Cadre de concertation pour le respect et la préservation des droits des femmes avait critiqué spécifiquement le fait que "peu de partis politiques sont dirigés ou structurés pour promouvoir le leadership féminin" et que le respect de la parité reste souvent symbolique. A l’épreuve des faits, les OSC constatent que l'absence de mécanismes de financement des partis encourageant la promotion active des femmes (candidatures, formation, campagnes électorales) est un point d'analyse et une recommandation majeure ignorée.

S’agissant toujours de la participation politique des femmes, le document souligne que la question de la vulnérabilité des femmes lors des manifestations a été tue, alors qu’il a été proposé de mettre en place un "dispositif spécifique contre les violences politiques et symboliques fondées sur le genre"

L'autre thématique qui tenait à cœur les OSC était l’inclusion de la jeunesse, à travers leur pleine responsabilisation et une meilleure représentation dans les instances. ‘’Le constat est sans appel : "Aucune de ces propositions n'a été prise en compte". Cette mise à l'écart est jugée d'autant plus préjudiciable qu'aucune "transformation durable ne sera possible sans une jeunesse consciente, engagée et structurée" , qui soit une véritable "force de proposition, de relève et de résistance" et non une simple spectatrice’’, regrettent les Organisations de la société civile.

S’agissant de la place de la Société Civile, il y a eu des propositions visant à institutionnaliser la participation citoyenne et à ériger la société civile en acteur clé du contrôle de l'action publique. Mais, regrette-t-on, elles ont été « neutralisées ». La question du financement des OSC, poursuit le rapport, n'a pas été abordé, alors que celui des partis politiques l'était à outrance.

Tout ceci leur fait dire que l'État postcolonial sénégalais est toujours structuré par une "matrice autoritaire héritée du modèle colonial français". De ce fait, de simples ajustements électoraux ne peuvent suffire à transformer un système dont les racines autoritaires persistent, et appelle à une refondation bien plus ambitieuse, qui n'a pas été le fruit de ce Dialogue.

La surreprésentation des acteurs politiques

En effet, les TDR ont été largement critiqués pour leur approche conceptuelle ‘’restrictive,  restreignant largement la notion de ‘système politique" à celle de "système électoral,  alors qu'elle devrait englober "l'ensemble des institutions, mécanismes de gouvernance et rapports entre gouverné et gouvernant. ‘’Cette vision plus holistique n'a pas été embrassée par le dialogue. Les participant·e·s déplorent que la ‘dimension refondation était très absente’, alors même que les contributions envoyées en amont par les OSC insistaient fortement sur ce point’’, a-t-on indiqué.

Par rapport à la surreprésentation des acteurs politiques, le rapport a indiqué que ce déséquilibre a été unanimement constaté, avec une "forte surreprésentation des partis  politiques" au détriment des autres acteurs. ‘’Cette configuration a non seulement noyé la voix des OSC, mais a surtout transformé le dialogue en un "tête-à-tête entre acteurs·trices politiques" , qui ont imposé leur diktat sur les débats’’, soutiennent les OSC dans le document, non sans regretter l’oubli des territoires.

En effet, ce dernier point irrite particulièrement les Organisations de la société civile qui ne comprennent pas que le dialogue soit resté un exercice "largement centralisé", concentré sur les acteurs·trices de Dakar. Or souligne le rapport, ‘’’dans sa contribution en amont du dialogue, le RASA a particulièrement insisté sur la nécessité de "territorialiser le Dialogue national pour impliquer davantage de citoyen·ne·s" et dépasser ce centralisme, afin d'assurer une appropriation citoyenne effective des résultats et réparer une longue absence d'opportunités de délibération populaire sur les questions de refondation de l'État’’.

Ces consultations citoyennes menées par l'initiative DIISSOO dans les 14 régions ont accouché de contributions qui, regrettent-elles, n'ont pas été suffisamment prises en charge dans les travaux finaux. D’ailleurs, souligne-t-on, ‘’en dehors des chiffres sur le nombre de participant·e·s, les données issues de la Plateforme de contribution mise en place par l’État n’ont pas été mises à disposition des Commissions, ni publiées à ce jour. Elles n’ont donc pas compensé l’absence structurelle des «voix citoyennes» et des «acteurs·trices des territoires»’’.

Les OSC soulignent que ces consultations menées auprès de 364 citoyens et citoyennes avaient dégagé trois attentes fortes. La première : ‘’Instaurer une démocratie participative et reconnaître de façon effective la participation citoyenne et le rôle de la société civile’’, en mettant en place un cadre juridique pour garantir l'implication effective des citoyen·ne·s et le rôle de la société civile. 

La seconde demande : ‘’Consolider l’État de droit’’, à travers la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la création d’un juge des libertés et l’instauration de la déclaration de patrimoine obligatoire. La dernière attente était de ‘’refonder le système électoral’’ par la création d’une autorité électorale indépendante (79 % favorables), l’audit du fichier électoral (77 %), des sanctions efficaces contre l’impunité et la corruption et l’adoption du bulletin unique (72 %)’’.

Absence des réformes structurelles attendues

 Ainsi, l'analyse des conclusions du dialogue par les OSC révèle ‘’un décalage’’ majeur entre les quelques points de consensus techniques et l'absence des réformes structurelles attendues. Selon le rapport, conformément à la tendance observée dans le processus, les résultats se sont concentrés sur des  aspects procéduraux du système électoral.

Les acteurs de la société civile, dit-on, sont unanimes  : "le dialogue sur le système politique s'est transformé en discussion sur le système électoral". Ils parlent de "statu quo", voire de "régression" par  rapport à des réflexions antérieures. Le faible taux de consensus pour la Commission  "démocratie, droits humains et libertés" est particulièrement révélateur de l'incapacité du  Dialogue à aborder les "véritables enjeux systémiques".

Le bilan chiffré des consensus illustre parfaitement le fossé entre les sujets, selon le rapport. Il y a 100% de consensus enregistrés sur certaines questions électorales dans une des  commissions. Par contre, l’on note seulement 28% de consensus sur les points liés à la démocratie, la liberté et les droits humains, indiquant un "manque de véritable accord et de rupture".

Par ailleurs, le document renseigne que les OSC reconnaissent une part de responsabilité, notamment un manque de stratégie collective et une dispersion qui ont affaibli leur impact.

Pour pallier à tous ces manquements, elles ont formulé des recommandations. D'une part, la société civile est appelée à se réorganiser pour parler d'une voix plus forte, définir son propre agenda et adopter des moyens d'action plus robustes. D'autre part, une plaidoirie a été faite pour une  institutionnalisation d'un cadre permanent et plus inclusif pour les futurs dialogues nationaux. Ce cadre intégrerait des mécanismes spécifiques pour la pleine participation de toutes les composantes de la société et un suivi rigoureux des propositions.

BABACAR SY SEYE

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