Par ici, on manque de tout
La commune de Karang, région de Fatick, est à 6 heures de route de Dakar. Une localité nichée à la frontière entre le Sénégal et la Gambie, une ville cosmopolite dotée d’une végétation luxuriante. Mais aussi et surtout d’une école dénommée Karang 4 et qui manque de tout.
L’école Karang 4 n’en est pas une. Elle n’existe pas, elle est impossible. Comment répartir 300 élèves sur les 50 tables-bancs dont dispose l’établissement ?
Comment initier l’esprit de jeunes gens, lorsque la paille morte qui surplombe leurs têtes menace de leur tomber dessus ?
Qu’apprendre dans des abris provisoires ‘’monstrueux’’ plantés au milieu de rien ?
Comment élever l’esprit, lorsque les yeux sont rivés vers le bas par une peur constante d’être mordue par des serpents ou autres reptiles venimeux qui peuvent à tout moment surgir de cette espèce de forêt dense qui fait face aux abris ? Cette école est unique et mérite les qualificatifs qui vont avec le mot ‘’galère’’.
6 élèves par table-banc
Les ‘’machins noirs’’ qui font office de tableau sont plaqués sur le mur de la parcelle à usage d’habitation prêtée pour abriter l’école qui est un champion du Sans domicile fixe (SDF). C’est la ferme de Karang qui lui a prêté 2 salles de classe, lors de sa toute première année.
Les élèves s’assoient jusqu’à 6 par table. Composer reste une gymnastique déconcertante. Les maîtres sont obligés de scinder la classe en deux. Pendant que les uns composent, les autres attendent leur tour dehors. Situation oblige, ces élèves ne peuvent pas s’asseoir tous et composer en même temps, faute de tables-bancs. Le comble de tout, c’est que cette école ne cesse de voir ses effectifs grossir, depuis sa création en 2010.
Excentrée et desservie par des chemins sinueux, l’école Karang 4 tient, grâce à l’abnégation et au courage des enseignants qui y officient. ‘’Il est difficile de former de jeunes gens dans des conditions où l’on manque de tout’’, soupire le directeur de l’école, Sadibou Faty. ‘’Nous avons dû louer une salle à 20 mille francs pour garder ces palissades pendant les vacances’’, confie l’enseignant Nouha Sané, debout face à la palissade qui servira, sous peu, de clôture pour séparer les différentes salles de classe.
L’engagement de l'enseignant pour rendre l'école fréquentable est salué par les parents d’élève qui donnent une cotisation individuelle annuelle de 1000 F. ‘’Cette somme sert à la confection des abris provisoires’’, renseigne Momar Sow Guèye, le président de l’Association des parents d’élèves de l’école Karang 4. Lorsqu’il parle de l’école, l’homme ne tient pas sur place. Soutane sombre, geste sec, il gifle l’air avec ses mains subitement devenues folles. Ça part dans tous les sens, au gré de l'idée ou de la souffrance qui lui passe par la tête. C’est le cœur qui s’exprime.
Les cours démarrent en janvier, faute d'abris
Un parent d’élève désemparé, incapable de supporter l’étau de la farce qui se referme sur de petits innocents qui ne demandent qu’à être abreuvés aux sources du savoir : ‘’Nous rencontrons chaque année les mêmes problèmes, depuis la création de cet établissement.
En plus des 5 abris provisoires existants, il nous faut au moins trois autres cette année’’, lâche le président du comité de gestion de l’école, Oumar Touré. Teint noir, mine sérieuse, l’homme est dépité par la situation. ‘’Ce n’est pas possible’’. Sachant que le coût d’un abri provisoire varie entre 60 000 et 70 000 F, il y a de quoi tirer chapeau aussi bien à ces parents qu’à leurs enfants.
Seulement, dans une pauvreté généralisée, les cotisations n’arrivent pas à temps. Une situation qui influe négativement sur le quantum horaire, regrette M. Sané : ‘’Nous sommes souvent obligés d’attendre jusqu’en décembre pour réunir toutes les cotisations et entamer les travaux des abris provisoires, ainsi nous perdons du temps chaque année’’, dit-il désolé. Pourtant, la création de cette école était une réponse à un problème d’insécurité, car les enfants du quartier traversaient la principale voie de la commune de Karang pour aller suivre les cours dans les autres écoles.
Karang 4 manque de tout, les parents le savent, les enseignants et les élèves le subissent au quotidien. Et dire que ce pays a injecté 40% de son budget dans le secteur de l’éducation !
Amadou NDIAYE