Aminata Tall, toutes griffes dehors contre Macky Sall
L’ancienne présidente du Conseil économique, social et environnemental est sortie du mutisme où elle s’était emmurée depuis maintenant trois années. Elle a dénoncé les interdictions de marche d’une partie de l’opposition et les morts qui s’en sont suivis.
C’est une Aminata Tall toute contente qui a retrouvé sa base affective de Diourbel. Sur son détachement de la vie publique depuis quelque temps, l’ancienne secrétaire générale de la présidence de la République juge que c’est tout à fait ‘’normal, parce qu’il faut, dans la vie, s’arrêter, marquer une pause, réfléchir, observer et analyser avant de prendre des positions. Et ça, c’est une attitude, un travail. Il faut se donner le temps et la patience, pour avoir de la matière’’.
Interpellée sur son absence de la scène politique, Aminata Tall répond : ‘’J’ai voulu prendre de la distance pour voir jusqu’où la famille pouvait aller, en termes de cohésion, en termes de maturité et en termes de conquête du pouvoir pour Diourbel d’abord, par eux, à travers eux et pour eux-mêmes et pour le Sénégal. Ensuite, je me suis rendu compte que la distance a posé quelques problèmes, puisque la famille, par endroits, s’est quelque peu frictionnée, on a senti çà et là de petits soucis de personnes, alors que ces soucis-là, nous devons pouvoir les dépasser. Donc, j’en appelle à toute la famille qui se réclame d’Aminata Tall et au-delà des personnalités que nous avons soutenues et des couleurs que nous avons défendues pour les différentes victoires que nous avons eues.’’
Aminata Tall, qui a la lourde charge de recoller les morceaux de sa famille politique brisée lors des élections municipales, en étalant sur la place publique leur désaccord, a tenu à marquer tout son désarroi sur les événements qui se sont passés le vendredi 17 juin dernier. Très amère, elle confie : ‘’Les républicains fondamentaux ne se reconnaissent pas dans le système. Moi, personnellement, j’en fais partie. J’ai toujours défendu que j’étais républicaine du bout des ongles, au bout des cheveux. Dans ce qui est en train de se faire, je ne me reconnais pas. Du point de vue politique, je considère aujourd’hui que la démocratie est totalement menacée. Et on n’a pas intérêt à déstabiliser cette démocratie, parce que nous l’avons acquise de haute lutte, de Léopold Sédar Senghor à Abdou Diouf, en passant par Abdoulaye Wade, aux côtés duquel j’ai combattu et je sais ce que cela veut dire de combattre un régime. Nous nous sommes battus, en arrivant chez Macky Sall, au moment où il fallait se battre pour la restauration de l’État de droit et le respect des institutions, nous nous sommes battus. Alors, aujourd’hui, on voit quoi ? Les résultats, nos enfants meurent, le sang est versé. J’ai une pensée pieuse et je formule des prières pour toutes ces bonnes âmes qui sont parties et à l’endroit de leurs familles éplorées qui en sont les victimes’’.
Pour Aminata Tall, l’État de droit signifie l’autorisation des marches. L’État a d’ailleurs l’obligation de les encadrer pour qu’il n’y ait pas de grabuge. ‘’Mais on ne peut se dire qu’on autorise aujourd’hui une manifestation et interdire demain’’, dit-elle. Elle considère que les arguments avancés ne sont pas toujours valables. Mais pour elle, aujourd’hui, autant le président de la République que l’opposition ont leur part de responsabilité dans ce qui arrive. ‘’Je pense que si l’opposition se braque aujourd’hui, c’est parce qu’il y a une fragilisation de nos institutions. Je n’ai jamais vu de ma vie ou entendu parler d’élections par élimination de listes de suppléants ou de titulaires, pour voter demain contre tout ce que nous avons instauré à travers les dialogues. Peut-être même que ces dialogues ont été déviés ou infiltrés par des personnes qui ont accepté tout, peut-être par inexpérience, en faisant fi de tous les pièges qu’il y avait à l’intérieur et aujourd’hui qui se retournent contre eux. Mais aller quand même jusqu’à instaurer un vote sur la base d’une liste électorale de titulaires seuls ou sur la base de liste de suppléants seuls, cela me semble trop grossier. Il me semble qu’il faut qu’on revoie toutes ces lois qui ont montré leurs limites à la pratique pour revenir à la lettre de ce que nous avons défendu, une réelle démocratie. Il faut absolument qu’on revoie les textes et ceux qui revoient les textes qu’ils n’y trouvent que l’intérêt et l’intérêt seul de notre démocratie et de l’avancement de notre pays le Sénégal’’, défend-elle.
Devant ses militants et partisans, l’ancienne mairesse de Diourbel s’est aussi prononcée sur le fonctionnement des institutions. ‘’Je pense que les attitudes d’aujourd’hui, en termes d’appréciation politique, appellent tout le sens que nous devons donner à la démocratie, tout le sens que nous devons donner à la valeur de la République et à la puissance publique, mais aussi au respect qu’on doit à l’administratif et à l’administrateur qui nous régissent aujourd’hui’’. Elle a d’ailleurs rappelé que le chef l’État est celui de l’Administration également. ‘’Il est la plus haute autorité politique qui régit nos institutions et qui est le gardien de la Constitution.
Donc, la responsabilité fondamentale, totale et entière de tout de qui se passe incombe au président de la République. Il y a, aujourd’hui, un désordre parfait à tout point de vue, qu’il faut qu’il règle. Sinon, c’est déjà la dérive. Vous n’oubliez pas que le président de la République est le chef suprême des armées, il est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Le président de la République est la clef de voute de toutes les institutions.
Aujourd’hui, tout est à l’eau. Les femmes, les jeunes, les adultes, les anciens, plus personne n’a de l’espoir. On a une déception parfaite et totale de tout. Tout l’espoir suscité chez tous ceux qui s’étaient mobilisés corps et âme pour le mettre à la tête de toutes ces institutions-là est perdu. Je fais partie de ceux qui ont travaillé pour les résultats que nous avons eus, en élisant le président de la République. Je comptabilise tout ce que nous avons fait ensemble, mais personne ne peut m’empêcher de dire ce que je pense, quand je constate quelque chose qui ne va pas’’.
Aminata Tall ne s’est pas privée devant ses militants. Elle a aussi donné son avis sur ce qui se passe avec l’avènement des réseaux sociaux. ‘’On ne peut assister à ce libertinage noté sur les réseaux sociaux où on s’insulte, on insulte n’importe qui. Aujourd’hui, on note du n’importe quoi. Quand on commence à lire, on n’a pas envie de continuer. C’est inadmissible’’.
Boucar Aliou Diallo (Diourbel)