''Les tradipraticiens sur les plateaux de TV, un problème de santé publique''
Tradipraticien et Président de l’Association des Médico-droguistes, Phytothérapeutes, Herboristes et Opothérapeutes Traditionnels du Sénégal (L’AMPHOT/S), Abdoulaye Ndao a hérité l’activité de médecine traditionnelle de son père. Il exerce depuis 1999 et dirige aujourd’hui un regroupement de 4 225 médecins traditionnels répartis dans les 14 régions du Sénégal. Dans cet entretien, il parle sans faux-fuyant de son métier et des différents maux qui empêchent une bonne pratique de la médecine traditionnelle au Sénégal.
Pouvez-vous nous dire ce qu’est un tradipraticien?
Le tradipraticien, c’est le dépositaire d’un savoir traditionnel, une connaissance empirique qui se transmet de génération en génération. Dans son travail, il use de substances et pratiques explicables ou non, basés sur les fondements socioculturels et religieux des collectivités. Tout ceci sert à diagnostiquer, prévenir ou éliminer un déséquilibre du bien-être physique, mental ou social. Ainsi, on peut trouver 4 catégories professionnelles: les Tradithérapeutes, les accoucheuses traditionnelles, les Médico-droguistes et les Herboristes.
Parmi les Tradithérapeutes, il y a les Phytothérapeutes qui s’occupent des plantes; les Psychothérapeutes qui utilisent des techniques basées sur le vécu social en faisant parfois appel à l’incantation; les Opothérapeutes qui usent des éléments venant des animaux; les ritualistes qui se basent sur les rites religieux ou non et les Chirkinésithérapeutes spécialisés dans les massages afin de restaurer les fonctions des parties malades ou blessées. Tout ce qui a trait aux fractures, foulures, entorses, courbatures etc.
L’accoucheuse traditionnelle quant à elle, prodigue à une femme et à son nouveau-né, avant, pendant et après l’accouchement, des soins de santé.
Les Médico-droguistes sont ceux qui vendent les substances médicinales autres que les plantes.
Les Herboristes sont ceux qui connaissent les usages des plantes médicinales et les vendent.
On assiste aujourd’hui au Sénégal à une floraison de personnes se disant tradipraticiens. Est-ce que tous ces gens sont dépositaires de ces connaissances que vous venez de citer?
Actuellement, il y a une floraison de tradipraticiens parce que l’activité de médecine traditionnelle est devenue un créneau. On ne sait pas qui est tradipraticien et qui ne l’est pas. Il y a beaucoup de personnes qui se réclament du métier parce que c’est une activité qui rapporte ; d’autant plus que 95 % des populations font recours à la médecine traditionnelle. Il est maintenant en amont et en aval de la médecine moderne.
Est-ce qu’il ne vous appartient pas, en tant qu’association, d’assainir votre milieu?
Non! Nous ne le pouvons pas. En tout cas dans notre association, nous avons notre code de déontologie que chaque membre est tenu de respecter. Assainir nous-mêmes devient plus difficile du fait de la multiplicité des associations de tradipraticiens. Cela étant, il appartient à l’État d’organiser la médecine traditionnelle. C’est même un devoir, une urgence pour l’État parce qu’ il y a même un problème de santé publique qui se pose pour les populations. C’est clair!
En quoi la médecine traditionnelle peut-elle être un problème de santé publique?
Ce qu’on est en train de voir dans les médias plus particulièrement les radios et les télés, c’est grave. Ce n’est pas de la médecine traditionnelle. Des individus se présentent devant des plateaux radio ou télé et se permettent de prescrire des médicaments en se rangeant derrière le statut de médecin traditionnel. Un vrai tradipraticien ne révèle jamais ses secrets thérapeutiques. Si ces gens le font, c’est parce que ce n’est pas leur propre connaissance. Ils se documentent à partir des résultats de la recherche sur les propriétés thérapeutiques d’une plante et le livrent comme ça sur le plateau. Le plus grave, les populations qui suivent les prescriptions peuvent aller sur le marché acheter des plantes (mal conservées) qui peuvent être nuisibles pour leur santé ou bien faire un mauvais dosage pouvant les empoisonner.
Donc selon vous, les médias participent à la promotion de ces soi-disant tradiparaticiens?
Oui, bien sûr. Il y a des tradipraticiens qui sont prêts à mettre 200 000 F CFA sur la table pour que des reportages soient faits sur eux. C’est ce que j’appelle les tradipraticiens businessmen. Ils ne sont intéressés que par l’argent. Pourtant la publicité est interdite dans les médias. Le ministère de la Santé a essayé de les dissuader, il a convoqué même des patrons de presse pour les sensibiliser à travers des ateliers. Certains ont arrêté, d’autres s’entêtent et continuent de donner un temps d’antenne à ceux-là. Cela est grave pour la santé des populations. Il faut que l’État organise le secteur et y mette de l'ordre.
Du point de vue social, la médecine traditionnelle jouit d’une légitimité. Cependant, rien ne justifie votre activité dans le cadre légal et réglementaire. Qu’est-ce qui explique cet état de fait?
Nous n’arrivons pas vraiment à expliquer l’attitude de l’État face à cette situation de la médecine traditionnelle. En tout cas, le silence des autorités de ce pays sur cette question dénote un manque réel de volonté politique. À l’heure actuelle, la médecine traditionnelle ne constitue pas pour l’État sénégalais une préoccupation. Pourtant, Toutes les conditions sont réunies pour doter la médecine traditionnelle d’un cadre juridique et légal.
Il ne faut pas perdre de vue que depuis Alma Ata en 1978, l’OMS ne cesse de mettre en relief le rôle important que la médecine traditionnelle peut jouer dans les soins de santé primaires. Au niveau de la CDEAO, des rencontres ont été tenues et des travaux menés, et ces efforts ont conduit à la production de résolutions, de recommandations et de documents de référence dans le but d’aider les États à asseoir une véritable politique. Tout ceci a été fait dans le but de prendre en compte la médecine et la pharmacopée traditionnelles dans le système de santé.
A Grand Bassam en Côte d’ivoire, un référentiel d’harmonisation des procédures d’identification des tradipraticiens de santé et un référentiel d’harmonisation des procédures d’homologation des médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle dans les pays membres de l’OAPI ont été élaborés. Plus tard, ces deux référentiels ont été adoptés à Bamako, par les ministres de la Santé et les ministres des Mines et de l’Industrie des 17 pays membres de l’OAPI.
Où se situent donc les blocages?
Tout récemment, l’organisation ouest africaine de la santé (l’OOAS) a élaboré un guide d’enregistrement et d’évaluation harmonisés des Tradipraticiens de santé et une harmonisation du cadre politique et réglementaire dans l’espace CEDEAO.
L’État sénégalais, par un conseil interministériel tenu le 13 octobre 1993, avait posé les bases d’une réglementation de la médecine traditionnelle par la mise en place d’un comité chargé de la question. En 1998, ce comité avait organisé un forum dont un des objectifs était l’élaboration d’un avant-projet de loi. En 2003, par l’initiative du ministère de la Santé, un projet de loi a été validé par l’ensemble des acteurs et mis dans le circuit administratif.
Malgré tous ces efforts, La médecine traditionnelle tarde à avoir une reconnaissance formelle et officielle qui lui aurait permis d’avoir un statut social assigné.
Légaliser la médecine traditionnelle n’est pas un simple acte administratif, il suppose une réforme et une réorganisation en profondeur d’une profession qui souffre encore de maux graves et divers.
Par Seydina Bilal DIALLO