Publié le 27 Dec 2016 - 20:53
AFFAIRE ICP DE KEUR SAMBA DIA ET MCD DE DIOFIOR

Les différentes étapes d’un imbroglio sanitaire

 

Les faits ayant abouti à l’arrestation de l’infirmier chef de poste de Keur Samba Dia ne sont peut-être pas toujours aussi simples qu’ils sont présentés. Les activités de l’ICP datent de plusieurs années et les différentes piqûres de rappel du médecin chef de Diofior n’y ont rien fait. Ce dernier a alors décidé d’une thérapie de choc qui a  abouti à l’arrestation de l’infirmier, mais aussi à la mutation du disciple d’Hippocrate.

 

Depuis quelque temps, le secteur de la santé est au cœur d’une polémique. Il s’agit d’un différend opposant l’infirmier chef de poste (ICP) de Keur Samba Dia, Abdou Gakou et le médecin chef du district sanitaire de Diofior, Mama Moussa Diaw, pour pratique illégale de médecine. EnQuête a eu accès à des documents qui peuvent permettre de mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire. Il est d’abord à noter que les faits incriminés datent de plusieurs années, même si le bras de fer, lui, a  démarré il y a deux ans environ. Le médecin chef a envoyé une lettre à l’infirmier pour lui demander des explications.

Dans ladite correspondance datée du 28 novembre 2014, il lui  rappelle qu’il pratique dans les locaux du poste ‘’des examens des imageries médicales à type d’échographie obstétricale’’, avant de formuler sa demande : ‘’Je vous prie de bien vouloir mettre à ma disposition, dans un délai de 72h après réception du courrier, les documents certifiés attestant de la durée de votre formation ainsi que de la certification de vos compétences en la matière’’, lui demande-t-il.

La réponse de M. Gakou arrive une semaine après, plus précisément  le 5 décembre de la même année. Plutôt conciliant, l’infirmier reconnaît être dans l’illégalité. ‘’Je sais pertinemment que je ne dois pas le faire sans être formé au Sénégal. (…) Mais sachez monsieur le médecin chef que toute décision que vous prendrez serait la bienvenue sans aucun état d’âme. Si on m’interdit ce que je ne dois pas faire (sic), je le laisserai volontiers…’’, promet-il. Il s’engage même à être ‘’en règle’’ avant fin 2015. Mais auparavant, l’ICP a tenu à expliquer sa démarche. Et pour cela, il convoque l’histoire. En 1998, explique-t-il, il y a eu un partenariat entre Wallonie Bruxelles et Samba Dia qui lui a permis d’aller en Belgique. Au retour, une demande a été introduite pour l’acception d’un don d’un échographe destiné au poste de la localité.

La demande est acceptée et la machine arrive en 2001. ‘’De 2001 jusqu’en 2008, chaque année, pendant mes congés d’un mois, j’allais suivre cette formation, certes qui n’a pas duré à plein temps, car je n’avais que des congés d’un mois…’’, admet-il. À la fin de son dernier séjour, une attestation lui a été remise. Et, c’est sur ce document qu’il s’appuie pour exercer la gynécologie. Même si l’attestation paraît incomplète aux yeux du médecin, l’infirmier lui a fait comprendre qu’il n’en demeure pas moins  que c’est cette attestation qu’il a toujours déposée auprès de tous ses supérieurs, y compris au ministère de la Santé. Il n’y a jamais eu de problème, lui rappelle-t-il, ‘’sauf (avec) les nouveaux’’.

Un réseau mafieux ?

L’ICP explique que s’il n’y a pas eu de problème jusque-là, c’est parce qu’en 2001, il n’y avait pas assez d’échographes dans le pays. Ce qui fait que cet exercice ‘’illégal’’ de la médecine n’attirait pas l’attention des médecins. À cette réponse, l’infirmier a joint une attestation délivrée en 2008 par Dr Thierry-Jean Puissant. Dans ledit document, le médecin Belge soussigne que M. Gakou a bénéficié d’une ‘’mise à main’’  d’un appareil d’échographie  gynécologique et obstétricale. Il a aussi reçu un training, ‘’essentiellement sur des femmes enceintes’’. Le Belge ajoute même que l’agent de santé ‘’s’est montré particulièrement doué dans ses examens échographiques’’.

Autre pièce jointe, un certificat délivré par Dr Robert Delval et attestant d’une formation d’une semaine en février 2004 lors de son  passage à Keur Samba Dia. ‘’La formation comprenait l’enseignement théorique, la manipulation de l’échographe et la pratique clinique. À l’issue de cette fructueuse formation, M. Abdou Gakou a fait preuve d’une grande capacité de diagnostic dans le domaine obstétrical pour lequel il se révèle être très compétent’’, témoigne le praticien. Il n’empêche que le médecin chef Mama Moussa Diaw a voulu rester sur les principes et la légalité. À son avis, puisque l’attestation et le certificat n’ont pas d’équivalence au Sénégal, ils ne sauraient donc y avoir une quelconque valeur autorisant l’ICP à faire le travail du médecin.

Mais il n’y a pas que ça. D’après nos informations, il y a une grosse affaire de sous derrière tout cela. Au lieu donc d’arrêter suite à l’injonction du médecin, l’infirmier, selon nos sources, a amélioré ses rendus de résultats en profitant de la formation des sages-femmes du centre de santé qui lui remettaient les bulletins. Il faisait donc des échographies obstétricales en utilisant les en-têtes du district sanitaire de Diofior et du centre de santé du même nom, alors qu’il n’y exerçait pas. Ses prestations étaient facturées à 5 000 F CFA sans qu’il y ait ticket de prestation ni versement au comité de santé. Quant aux clients, ils doivent se contenter de la feuille de résultats, à l’absence des clichés. Ce qui empêche toute contre-expertise.

La circulaire du ministre

Ce n’est pas tout, puisque l’Icf, d’après une source, se livrait à des traitements propres à un vrai gynécologue avec des tarifs allant de 50 000 F à 70 000 F CFA. Des prix que l’on ne retrouve pas au Centre de santé de Diofior. ‘’Devant cette situation d’enrichissement illicite et la persévérance de l’agent sanitaire dans ses pratiques frauduleuses, le médecin chef lui a notifié d’arrêter et de ne plus utiliser l’en-tête du Centre de santé de Diofior dans ses rendus de résultats’’, poursuit une source.

Mais à la place d’un arrêt, l’ICP a continué ses activités en prenant le soin d’enlever le nom du district. Face à cette persistance, le médecin chef décide, en août 2015, de saisir le procureur du Tribunal de la région de Fatick. Ce dernier, à son tour, demande au commandant de la Brigade de gendarmerie de Fimela d’ouvrir une enquête. Une fois les parties entendues, la voix diplomatique a été choisie à la place d’une action contraignante. Ainsi, il a été demandé à l’infirmier d’arrêter, sans aucune notification écrite. Le médecin s’est soucié de l’absence de preuve écrite mais, d’après cette source, le substitut du procureur lui a fait comprendre que puisque l’infirmier s’est engagé à arrêter, il suffira juste, le cas contraire, de faire appel à un huissier de justice pour constatations.

Malgré ses engagements et devant la détermination du médecin, l’infirmier choisit la voie de la clandestinité. Il continue à faire des échographies obstétricales, sans rendre de résultats écrits ou de clichés. ‘’Ainsi, sans dénonciation des patientes, aucune traçabilité n’était possible’’, souligne un agent sanitaire informé du dossier. A partir de ce moment, le ‘’réseau d’infirmiers et de sages-femmes’’ qui bénéficient de l’activité lui envoient des femmes  enceintes. Ce qui nourrit davantage le business. Le médecin qui s’oppose alors à ce trafic devient la cible de tout un groupe qui demande son départ.

Lorsque le ministre de la Santé Awa Mari Coll Seck a saisi son homologue de l’Intérieur pour lui signaler des cas de pratiques illégales de la médecine, celui-ci sort une circulaire, le 30 juin 2016, pour mettre un terme à cet état de fait. ‘’Des personnes useraient de manœuvres frauduleuses pour obtenir des actes administratifs autorisant l’exercice de la médecine. (…) je vous demande de prendre les mesures utiles pour faire arrêter toutes activités irrégulières d’exercice de la médecine’’, commande Abdoulaye Daouda Diallo. 

Simple coïncidence ?

Le médecin profite alors de cette occasion pour rappeler aux autorités administratives les notifications de cas pareils faites depuis 2014, documents à l’appui. Le sous-préfet exige alors de l’infirmier l’arrêt immédiat d’une telle pratique, sans succès. Le tournant arrive le 21 novembre 2016. Une dame de 24 ans a été reçue aux urgences du centre de santé de Diofior. Il y a eu des soupçons d’avortement, avec traitement sans succès. ‘’Les investigations révèlent qu’elle avait été prise en charge par cet agent sanitaire et son épouse, sage-femme d’Etat, au poste de santé de Samba Dia’’, révèle la source.

Après cette étape, la dame a été confiée au poste de santé de Fimela avec recommandation faite à la sage-femme qui y officie de la suivre. N’ayant pu faire mieux, cette dernière l’a envoyée à son tour au district de Diofior, sans plus de détails sur ce qui s’est passé avant. ‘’En fait, il s’agissait d’une grossesse extra utérine qui n’était pas loin de la rupture’’, précise-t-on. C’est sur cette base que le médecin a informé le commandant de brigade de gendarmerie qui a procédé à l’arrestation de l’infirmier Abdou Gakou, le 23 novembre 2016, sur instruction du procureur.

A partir de ce moment, d’après nos sources, est intervenu le cabinet du ministre de la Santé pour sauver un ‘’lieutenant politique’’. Les collaborateurs d’Awa Marie Coll Seck, particulièrement le Drh, natif de Fatick, le directeur de cabinet et le secrétaire général du ministère sont accusés d’avoir pesé de tout leur poids pour faire libérer le ‘’fautif’’ et se payer la tête du médecin. Ce dernier, dit-on, n’a jamais été entendu dans ce dossier par la hiérarchie.

C’est dans ce contexte que l’arrêté de mutation du Mcd de Diofior intervient le 25 novembre 2016. Simple coïncidence ? Du tout ! rejette-t-on. ‘’Vu l’attitude du cabinet ministériel qui a pris fait et cause pour le mis en cause et les conséquences pour le médecin chef de district de Diofior, soutenir que les deux faits ne sont pas liés relève du manque de respect pour les Sénégalais’’, s’offusque une source. Au-delà de ces gens-là, c’est la ministre de la Santé Awa Marie Coll Seck qui est accusée d’avoir ouvert la boîte de Pandore en protégeant des agents qui se rendent coupables de pratiques d’activités illégales au  détriment de ceux qui tiennent à la légalité.

MAME TALLA DIAW

 

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