Publié le 30 Mar 2018 - 01:12
ARRÊT COUR D’APPEL DE PARIS

Les détails du ‘‘blanchiment’’ de Karim

 

C’est connu, Karim Wade (ainsi qu’Ibrahim Aboukhalil) ne verra pas la justice française confisquer ses biens, comme le requérait l’Etat du Sénégal via une demande d’entraide judiciaire. Mais comment en est-on arrivé-là ? L’arrêt intégral livre les détails d’une affaire qui est allée jusqu’au bord de la Seine.

 

En septembre 2016, Karim Wade avait remporté une semi-victoire à Paris, car l’Etat du Sénégal, via le parquet national de Paris, a bien été débouté de sa requête d’exécution de confiscation des biens. Mais, seulement, cette décision a été rendue sans que ne soient ‘‘rejetées les demandes de M. Karim Wade tendant au prononcé de la nullité de la requête du procureur national financier du 11 janvier 2016’’. L’Etat du Sénégal ne s’avoue pas vaincu, après l’appel interjeté par le procureur du parquet financier. Ce n’est que le 14 mars dernier qu’il a pu savourer la plénitude de sa victoire ‘‘parisienne’’ sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Avec l’intégralité de l’arrêt n°46 de 24 pages prononcé publiquement par le Pôle 5 - Ch.12 des appels correctionnels, sur appel d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (32e chambre - du 26 septembre 2016) que le fils d’Abdoulaye Wade ainsi que son principal co-prévenu, Ibrahim Aboukhalil ont mis fin aux prétentions de l’Etat sénégalais sur  ses comptes bancaires et son appartement parisien.

Un coup d’œil sur l’arrêt permet de voir que le 20 décembre dernier, à la reprise des débats en déféré, les choses ne sont pas passées conjointement du côté de la défense. En l’absence de Karim Wade et d’Ibrahim Aboukhalil, leurs avocats, Mes Heydari, Fedida, Dreyfus-Schmidt et Ciré Clédor Ly, engagent derechef la bataille de l’irrecevabilité de l’appel. Pourtant, les conseils de Karim sollicitent un renvoi de l’affaire, alors que Me Dreyfus-Schmidt, conseil d’Aboukhalil, s’y est opposé. L’affaire sera finalement mise en délibéré pour le 14 mars 2018. Si Karim Wade et Ibrahim Aboukhalil sont ‘‘élargis’’ de la prison dakaroise trois jours avant l’audience du 27 juin 2016 au Tribunal de grande instance Paris, leurs conseils n’ont pas hésité à dénoncer leur absence, néanmoins.

 Pour l’avocat du fils de Wade, ‘‘son droit à comparaître a personnellement été violé’’ et constate, de ce fait, qu’il ‘‘ne pouvait pas être jugé contradictoirement’’. Quant à son confrère défendant Ibrahim Aboukhalil, il a simplement demandé le rejet, soutenant ‘‘que la requête était irrecevable, aucune convention internationale prévoyant la mise à exécution sur le territoire national d'une décision de confiscation sénégalaise étant applicable’’, avaient-ils soutenu en première instance.

Le 19 octobre 2015, le procureur spécial près la Crei sollicitait l'entraide pénale internationale des autorités françaises au visa de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transfrontalière organisée du 15 novembre 2000, de la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003, de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal du 29 mars 1974, et en exécution de l'arrêt de la Crei du 23 mars 2015 devenu définitif, aux fins de procéder à la confiscation. La requête de l’Etat sénégalais, dans sa saisine initiale du tribunal correctionnel de Paris le 11 janvier 2016, comportait exactement sept points sur lesquels il comptait mettre à exécution la décision de justice déjà avalisée au Sénégal. Certains ont essayé de s’appesantir sur la conformité avec la justice française pour rallier le tribunal parisien à la cause de l’Etat sénégalais.  Ainsi, l’argumentaire a tenté de montrer ‘‘que les faits à l'origine de la demande étaient constitutifs d'une infraction selon la loi française (corruption et blanchiment)’’ ou encore ‘‘que les biens étaient susceptibles de confiscation selon la loi française’’, explique l’arrêt. 

Les rumeurs d’une adversité politique ayant enflé, la garantie d’un non règlement politique a été évoquée dans cette requête. ‘‘La décision étrangère ne portait pas sur une infraction politique’’.

Le ministère public balaie tout

Mais l’avocat général, Jean-Christophe Muller, n’a pas conforté ces faits qualifiés d’enrichissement illicite dans le Code pénal sénégalais. Ses réquisitions sur l’irrecevabilité de l’appel du parquet national financier et les moyens de nullité assomment les arguments du Pnf. La non-équivalence de l’enrichissement dans l’arsenal judiciaire français sera aussi évoquée. ‘‘Le ministère public n'entend pas remettre en cause, par son appel, l'analyse du tribunal en ce qu'il a considéré que les faits d'enrichissement illicite ne pouvaient être assimilés en droit français aux délits de corruption (art 432-11-1) du Code pénal), de non justification de ressources (art 321-6 du Code pénal), de trafic d'influence (art 432-11 2° du Code pénal), de prise illégale d'intérêts (article 432-12 du Code pénal) ou de détournement de fonds publics (article 432-15 du Code pénal)’’, a défendu l’avocat général.

Même la convention de Mérida contre la corruption, qui constituait l’un des espoirs des avocats de l’Etat du Sénégal pour mettre Karim en difficulté, n’a pas trouvé grâce aux yeux du ministère public. Il déclare : ‘‘Concernant Karim Wade, le lien entre l'infraction d'enrichissement illicite dont il a été déclaré coupable et les biens (soldes de comptes bancaires et appartement parisien) dont la confiscation est sollicitée, est suffisamment démontré, cela en conformité avec les articles 31 et 55 de ladite Convention et l'article 713-36 du Code de procédure pénale français’’. Une brèche dans laquelle les avocats des deux intéressés se sont engouffrés. Dans les  conclusions déposées à l’avantage de Karim Wade, ses conseils ne se sont pas privés de repasser en revue ce qu’ils ont considéré comme manquement dans le jugement de la Crei et de confirmer le rendu de la première instance, comme par exemple ‘‘de constater que l'arrêt de la Crei a été prononcé dans des conditions n'offrant pas de garanties suffisantes au regard de la protection des libertés individuelles et des droits de la défense’’, ou de ‘‘constater que M. Wade a été privé du droit de comparaître personnellement, condition du procès équitable...’’, entre autres arguments afférents à la violation de la procédure.

Déjà, la 32e Chambre correctionnelle de Paris a rejeté l’irrecevabilité introduite par Karim, tout comme elle le fera en ce qui concerne les ‘‘demandes d'exécution de confiscations présentées dans la requête du 11 janvier 2016, aux motifs, d'une part, que les faits d'enrichissement illicite ne sont pas constitutifs d'une infraction selon la loi française et, d'autre part, qu'il n'est pas démontré que les parts de la Sci Asia avaient servi à commettre l'infraction ou en étaient le produit direct’’, explique l’arrêté.

C’est après moult observations dans sa motivation que le président de cette chambre de la Cour d’appel de Paris, Dominique Pauthe, va suivre le jugement de première instance et ‘‘confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes d'exécution des confiscations contenues dans la requête du procureur de la République financier en date du 11 janvier 2016’’.

De quoi réjouir Mes Michel Boyon, Demba Ciré Bathily,  Jean-Marc Fedida, Ciré Clédor Ly, Mohamed Seydou Diagne et Adama Sall, au lendemain de leur victoire  à Paris. ‘‘La justice française a ainsi désavoué une seconde fois le procès engagé en 2012 contre M. Karim Wade par le pouvoir sénégalais. Poursuivi, jugé et condamné pour des raisons purement politiques, M. Karim Wade a été la victime d’un procès politique dépourvu de tout caractère équitable, gravement attentatoire aux droits de la défense, dirigé par des juges partiaux et marqué par de très graves irrégularités. L’arrêt de la cour d’appel le démontre : la justice sénégalaise a été instrumentalisée’’, lançaient-ils après le rendu.

Mais la manche dakaroise reste toujours juridiquement de rigueur.

MAME TALLA DIAW

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