Publié le 24 Jan 2025 - 22:15
RÉFORME DE LA FONCTION PUBLIQUE AU SÉNÉGAL

Un défi entre modernisation et lutte contre la corruption

 

Face à une Administration gangrenée par la corruption et l’inefficacité, le gouvernement a initié une vaste réforme de la Fonction publique. Sous l’impulsion du président Bassirou Diomaye Faye et du ministre de tutelle Olivier Boucal, cette initiative vise à moderniser les services de l’État, renforcer la transparence et instaurer une gestion plus rigoureuse des ressources humaines. Toutefois, cette ambition se heurte à des obstacles structurels majeurs : le clientélisme politique, la lourdeur bureaucratique et la résistance au changement au sein même de l’Administration.

 

Le gouvernement sénégalais a amorcé une vaste réforme de la Fonction publique visant à moderniser l'Administration et à lutter contre la corruption qui gangrène les services publics. Ces concertations, lancées par le ministre Olivier Boucal hier jeudi 23 janvier à Diamniadio, visent à établir un nouveau contrat de confiance entre l'État et ses usagers. Toutefois, cette ambition se heurte à des obstacles structurels, notamment la prévalence de pratiques corruptives enracinées dans les rouages administratifs.

À l’occasion, le ministre Olivier Boucal a mis en avant "une volonté de changement systémique" fondée sur "une Administration publique moderne, accessible, vertueuse et proactive". Cette démarche s'inscrit dans une dynamique plus large de transformation de la Fonction publique initiée par le président Bassirou Diomaye Faye. Celui-ci a récemment demandé au Premier ministre de lui proposer un programme ambitieux visant à réformer la commande publique, les écoles de formation et les mécanismes de recrutement à l'École nationale d'administration (ENA).

L'objectif affiché est de rationaliser la gestion des ressources humaines, d'assurer une meilleure formation des agents et de renforcer la transparence des procédures administratives.

Cependant, pour que ces mesures soient efficaces, elles doivent s'attaquer à un problème profond qui mine l'Administration sénégalaise : la corruption.

La corruption, un mal endémique

L'opinion publique sénégalaise associe souvent la corruption dans la Fonction publique à des agents qui monnayent leurs services contre des dessous de table. Cette perception est confirmée par plusieurs études et indices internationaux. En 2023, le Sénégal a obtenu une note de 43/100 à l'indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International, le plaçant ainsi dans la "zone rouge". Ce score est similaire à celui de 2021, montrant une stagnation dans la lutte contre ce fléau.

Une étude de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) en 2016 révélait déjà l'ampleur du problème : 93 % des Sénégalais interrogés affirmaient connaître des pratiques de corruption et 71,7 % d'entre eux les attribuaient à l'État et ses démembrements. Parmi les secteurs les plus touchés figurent la police, la gendarmerie, la santé et l'éducation.

Le coût de la corruption est également un facteur majeur à prendre en compte. Les pots-de-vin et autres malversations entraînent des pertes financières considérables pour l'État et contribuent à la défiance des citoyens envers l'Administration. Cette situation justifie l'urgence d'une réforme structurelle, mais pose aussi la question des moyens mis en place pour assurer son succès.

Clientélisme politique dans le recrutement

Pour certains économistes, le président Bassirou Diomaye Faye, tout en appelant à une refonte de la Fonction publique, doit faire face à l’héritage d’un système de recrutement politisé. Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs ont utilisé l’Administration publique comme un instrument de récompense pour leurs soutiens politiques. Cette réalité se traduit par la création de postes superflus, tant au palais de la République que dans les différents ministères et directions nationales.

L’économiste Pape Abdoulaye Seck avait alerté, sous l’ère Macky Sall : ‘’Le palais lui-même est devenu un sanctuaire de recrutements abusifs, avec des postes comme ‘ministre conseiller’ qui n’ont pas de réelle justification. On ne sait pas quelles sont leurs missions exactes, mais ils bénéficient des privilèges liés à leur titre.’’ Ce phénomène ne se limite pas au sommet de l’État : il s’étend aux ministères, où prolifèrent les postes de conseillers techniques, conseillers spéciaux et autres titres honorifiques.

D’après lui, le clientélisme politique a une conséquence directe : une inflation budgétaire incontrôlée. La masse salariale de la Fonction publique dépasse largement les critères de convergence fixés par l’UEMOA, qui imposent une limite de 35 % du PIB. Or, le Sénégal dépasse régulièrement ce seuil, menaçant l’équilibre des finances publiques.

L’exemple des directions nationales est édifiant : alors que certaines administrations souffrent d’un manque cruel de ressources humaines qualifiées, d’autres croulent sous le poids de recrutements inutiles. Des directions entières sont composées de proches du pouvoir en place, sans aucune considération pour les besoins réels de l’État.

Lenteur et lourdeur administratives

La réforme annoncée par le nouveau régime vise aussi à rétablir une Administration publique plus performante et moins onéreuse. Toutefois, le système de recrutement clientéliste est si ancré dans les pratiques politiques qu’il sera difficile de le démanteler. Chaque gouvernement, soucieux de consolider sa base électorale, cède à la tentation du recrutement massif.

Des solutions existent pourtant : renforcer les contrôles sur les embauches publiques, instaurer des audits réguliers sur la masse salariale et conditionner les recrutements à des critères de performance. Mais ces réformes exigent une volonté politique forte et une rupture avec les pratiques du passé. L’avenir dira si le gouvernement actuel aura le courage de mener à bien cette transformation nécessaire.

Les enjeux d’une modernisation réelle de la Fonction publique reposent sur plusieurs axes stratégiques. La digitalisation des services apparaît comme une priorité, avec l’instauration de plateformes numériques permettant de simplifier les démarches administratives. Cette transition limiterait les contacts directs entre agents et usagers, réduisant ainsi les opportunités de corruption et accélérant le traitement des dossiers.

Parallèlement, le renforcement des contrôles et l’application de sanctions effectives sont essentiels pour dissuader les pratiques frauduleuses. Une politique de tolérance zéro, associée à des mécanismes de surveillance rigoureux, permettrait de restaurer la confiance des citoyens envers l’Administration.

La formation et la moralisation des agents publics constituent également un levier fondamental. Sensibiliser les fonctionnaires aux enjeux éthiques et les responsabiliser face à leurs missions contribueraient à l’émergence d’une culture de l’intégrité et de la performance.

Enfin, l’amélioration des conditions de travail et des rémunérations des agents publics est un facteur clé pour lutter contre la corruption. Une meilleure prise en charge des fonctionnaires réduirait la tentation de recourir à des pratiques illicites, tout en renforçant leur engagement au service de l’intérêt général.

Malgré les engagements pris par les autorités, la réforme de la Fonction publique demeure un chantier complexe. L'un des principaux défis sera d'assurer une mise en œuvre effective et durable des mesures annoncées.

Pour beaucoup d’observateurs, l'expérience a montré que les réformes administratives peuvent être freinées par des résistances internes, notamment de la part de certains fonctionnaires bénéficiant du statu quo.

De plus, la volonté politique devra s'accompagner de moyens financiers et logistiques suffisants pour que les changements ne restent pas de simples annonces.

L'engagement de la société civile, des médias et des partenaires techniques et financiers sera un pan important pour surveiller l'évolution de cette réforme et en garantir la transparence. Les citoyens, en tant qu'usagers des services publics, ont également un rôle à jouer en refusant de cautionner les pratiques corruptives et en exigeant une Administration efficace et intègre.

Alors que des solutions comme la digitalisation, le renforcement des contrôles et la moralisation des agents sont mises en avant, la réussite de cette réforme dépendra de la volonté politique et de la capacité du gouvernement à briser les pratiques enracinées.

AMADOU CAMARA GUEYE

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