Faut-il couper le cordon ombilical avec l'Euro ?
Pendant que les ministres de l'Économie et des Finances cherchent à consolider la zone Franc, à Dakar, de plus en plus d'économistes comme Chérif Salif Sy et Demba Moussa Dembélé considèrent cette ''union monétaire'' comme la source du retard de développement de l'espace UEMOA. Tandis que leur homologue Felwine Sarr appelle à la prudence.
Premier instrument de souveraineté, la monnaie de l'espace UEMOA est, paradoxalement, sous la tutelle de l'euro, via une garantie de la France, pays colonisateurs de la plupart des pays membres. L'Hexagone et son pré-carré africain semblent y trouver leurs comptes puisque, en conclave hier, à Dakar, les ministres de l'Économie et des Finances cherchent à consolider la zone Franc dans ses ''liens'' avec la France et l'Euro.
Or, de l'avis de l'économiste et chercheur Chérif Salif Sy, la Stratégie nationale de développement économique et social (SNDES) ne dit rien de la dépendance du F Cfa vis-à-vis de l’Euro et du Trésor français. Pourtant, soutient-il, cet arrimage à la monnaie européenne est l’une des principales causes des difficultés économiques des pays francophones. ''Ces pays sont le pré-carré de la France, raison pour laquelle les pays émergents n’y investissent quasiment pas'', observe l’économiste. Cela permet, enchaîne-t-il, aux entreprises françaises telles que Bouygues, Société générale, BNP Paris Bas, Bolloré, ''d’éviter toute dépréciation de leurs gains''. Pour M. Sy, c’est un fait inédit, inacceptable et contraire aux règles économiques que le Cfa soit convertible, sans contrôle du taux de change. ''Le Cfa plombe nos économies et aggrave la pauvreté'', dénoncent le secrétaire de l'Association sénégalaise des économistes (ASE), membre du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA, pour le sigle anglais) et du Forum mondial des alternatives.
A en croire en outre le chercheur, la convertibilité du Cfa qui perdure depuis les indépendances permet aussi aux élus de s'adonner librement à la corruption sans être inquiétés. Au surplus, dit-il, les taux d'intérêt dans la zone Cfa avoisine les 18% alors que partout en Afrique, il y a un renouveau économique, notamment dans l'Est du continent. ''Dans le classement mondial, tous les pays de la zone Cfa sont soit pays pauvres très endettés, soit moins avancés'', relève M. Sy. Dans son ébauche de solution, outre la cession de l’arrimage du Cfa à l’Euro, Chérif Sy prône la tendance vers une monnaie commune facteur d'intégration régionale, mais aussi d'indépendance économique et monétaire.
''Avantage illusoires''
Abondant dans le même sens, Demba Moussa Démbélé qualifie ''d'avantages illusoires'' l'arrimage de la zone Franc à l'Euro. Contrairement à ce qui était prévu, cela ne constitue pas un facteur d'intégration entre les pays. Les Africains échangent à hauteur de ''60% avec l’Union européenne et les statistiques de l’UEMOA montrent que le commerce entre les pays membres ne dépasse pas 15% de leurs échanges totaux, donc à peine un quart de leurs échanges avec l’Union européenne'', informe-t-il pour s'en désoler.
De même, poursuit l'économiste, la zone Franc ne constitue pas une destination privilégiée des investisseurs. ''Les statistiques de l’Annuaire de la Banque africaine de développement (BAD) montrent que des pays comme le Ghana, le Nigeria, l’Angola, le Mozambique, entre autres, attirent plus de capitaux étrangers que les pays de la zone Franc'', insiste M. Démbélé. Battant en brèche l'argument de la stabilité macroéconomique avancé par les défenseurs du statu quo, Demba Moussa Dembélé informe que des études ont montré qu’une ''inflation à deux chiffres peut être compatible avec une croissance saine, contrairement aux prescriptions dogmatiques de l’école monétariste''.
Les réserves de l'économiste Felwine Sarr
Moins catégorique, l'économiste Felwine Sarr évoque d'abord les avantages liés à une stabilité. Selon lui, l'arrimage à l'Euro évite la crise de change, l'inflation et donne une capacité d'endettement plus importante. ''En 50 ans, la zone a donné un signal de monnaie crédible, stable et à faible inflation'', signale l'enseignant-chercheur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Cependant, il note un certain nombre d’inconvénients relatifs à la fixité du taux de change qui empêchent une variable d'ajustement. ''La compétitivité de nos produits dépend plus du rapport de l'Euro avec les monnaies internationales que les produits de la zone elle-même'', déplore-t-il. A l'instar de l'ancien président de la République sénégalais Abdoulaye Wade, il se plaint également de la thésaurisation de 50% des réserves de change de l'UEMOA qui ne servent pas à financer les économies des pays membres. Comble de paradoxe, le président de la Commision de l'UEMOA, Cheikh Hadjibou Soumaré, a fait savoir que l'institution est à la recherche de 2000 milliards F Cfa pour financer le programme économique régional. Même si M. Sarr précise que cette réserve de change, estimé à 4 000 milliards de F Cfa, ne sert pas non plus au Trésor français, puisqu'elle est logée dans un compte d'opération dont la vocation n'est pas d'être réinvesti : ''Elle n'est pas réinvesti dans le circuit économique, c'est une forme de dépôt de garantie.''
De l'avis de M. Sarr, la véritable question est la suivante : ''Est-ce que les inconvénients sont supérieurs aux avantages ?'' En réponse, il suggère, au regard de la structure des importations et des exportations, un taux de change flexible et une monnaie adossée à un ensemble de monnaies des différents pays avec lesquels la zone commerce. ''L’arrimage devrait être fait avec le Yuan, le Yen, le Dollar, entre autres'', souhaite-t-il. Concernant la périodicité, il s'est inscrit dans l'agenda de la CEDEAO qui prévoit cette monnaie commune en 2020. ''Il faudra une discipline budgétaire pour stabiliser la monnaie et surtout préparer la transition'', indique-t-il. La zone Franc regroupe 14 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il s’agit d’une part, du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo, et d’autre part, du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale et du Tchad. En plus de la France et des Comores.
PIERRE BIRAME DIOH
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