Publié le 20 Jul 2016 - 07:53
BAMBA FALL (MAIRE DE LA MEDINA ET MEMBRE DU PS)

‘’Tanor est pris en otage’’

 

Démissionnaire du Bureau politique du Parti socialiste (BP/PS), Bamba Fall n’en veut pas pour autant à Ousmane Tanor Dieng qu’il décrit comme un homme bien. Seulement, déplore-t-il, le Secrétaire général du PS est pris en otage par un groupuscule de responsables socialistes ‘’qui ne sont mus que par leurs propres intérêts au détriment de ceux du parti’’. Dans cet entretien avec EnQuête, le maire de la Médina revient sur les péripéties qui ont conduit à sa démission. Non sans pour autant dire à ses détracteurs qu’il ne compte pas transhumer.

 

Vous avez récemment démissionné du Bureau politique du Parti socialiste, peut-on savoir ce qui a motivé ce départ ?

J’ai démissionné du Bureau politique du Parti socialiste parce que je ne peux pas admettre qu’on sacrifie la jeunesse du parti en la livrant à la police. Ces jeunes qui sont aujourd’hui convoqués à la Division des investigations criminelles comme des malfrats ont pourtant été de tous les combats pour faire face à la tentative de déstabilisation du Ps entreprise par Abdoulaye Wade dès son installation au pouvoir en 2000. J’ai été responsable des jeunesses socialistes du département de Dakar pendant plus de cinq ans. J’ai convaincu beaucoup de jeunes de la région à militer au Ps. Ils l’ont accepté et je les ai encadrés. Durant les douze ans de règne d’Abdoulaye Wade, ces jeunes se sont sacrifiés pour que le Ps reste debout. Ils ont participé à tous les combats. C’est grâce à eux si nos responsables sont toujours là. Au lieu de les récompenser, on veut aujourd’hui les sacrifier. En tant que responsable qui a fait entrer ces jeunes dans le parti, je ne saurais cautionner cette ingratitude en restant dans le Bureau politique. Je préfère rester avec ces jeunes pour leur témoigner de ma solidarité.

Plutôt que de démissionner du BP, ne trouvez-vous pas beaucoup plus sage de rester dans cette instance de votre parti pour défendre vos positions en toute responsabilité ?

J’ai mes convictions. Je ne milite pas pour Tanor. Je l’ai  devancé dans le parti. Je milite dans un Ps des valeurs. Je milite pour un nouvel élan. Mais j’ai vu des pratiques qui ne me plaisaient pas. Alors, je suis libre d’aller ou je veux. Mais que ce soit clair : je ne transhume pas. Je crois encore au parti. Je crois à un Ps qui travaille à la reconquête du pouvoir. Mais pas à une formation politique qui ne fait que soutenir le régime. Je ne fais pas partie de ceux qui ne parlent que de postes ou de répartitions des listes de députés ou de Haut conseillers. Je veux un Ps combatif, qui se bat pour revenir au pouvoir.

Pour beaucoup, votre démission du Bureau politique n’aura aucun impact dès lors que vous n’avez assisté qu’une seule fois à une réunion de cette instance depuis le dernier congrès.

Le Bureau Politique ne s’est réuni que trois fois alors qu’il devait se réunir tous les mois. Et parfois, on reste huit mois sans tenir ne serait-ce qu’une réunion de cette instance dont vous parlez.

Qu’est ce qui explique cela ?

Il faut le demander à Tanor. Et puis, il faut se demander qui sont les membres du Bureau politique ? Parce qu’on voit des gens comme Birima et autres qui entrent dans les réunions de cette instance avec des badges. Au départ, on devait être 33 membres. Mais actuellement, on est à 99. Donc ma démission n’a pas d’influence. On fait des Bp thématiques avec des questions qui tournent autour de l’agriculture, l’élevage, la communication, etc. Ce n’est pas le Bp que nous devons avoir. On ne devait que nous pencher sur la vie du parti, sur sa remobilisation et sur sa reconquête du pouvoir.

Pour certains militants du Ps, vous êtes aujourd’hui sur le point de transhumer vers l’Alliance pour la République.

Je n’ai jamais bénéficié de poste du Ps ni de ses avantages. Ce poste de maire que j’occupe aujourd’hui n’est pas un cadeau Ps. On m’a même combattu à l’interne. C’est la Médina qui m’a élu maire et non mon parti. Si je devais aller voir Macky Sall, je suis libre et indépendant pour le faire. Je ne dois rien à personne. Et si je le sens, demain je pourrais rallier le pouvoir sans l’aval de personne.

Est-ce qu’on peut s’attendre à cela ?  

Je ne le crois pas pour le moment. Actuellement, s’il y a un homme en qui je crois, c’est Khalifa Sall. C’est mon grand. Il est courtois, compétent et il a des ambitions. Je pense que je ne fais pas partie de ces gens qui trahissent à tout moment. Ce n’est pas de ma nature car je n’attends rien de personne.

Vous êtes indexé comme étant l’un des principaux instigateurs du saccage de la salle du Bp du Ps du 5 mars dernier. Que répondez-vous ?

Ce n’est pas vrai. Il y a certains responsables de Dakar avec qui j’étais en froid avant le 5 mars 2016. Ils ne voulaient pas que Khalifa Sall soit le responsable départemental et nous avons tout fait pour changer la donne. Ce qui n’a pas plu à certains camarades. Ils ont profité de l’occasion pour influencer Tanor afin que des jeunes de Dakar soient traqués. Mais dans une rencontre nationale qui regroupait beaucoup de militants, pourquoi cibler seulement des jeunes de Dakar, particulièrement ceux de Grand Yoff et de la Médina ? Pourquoi on ne suit plus la piste des nervis ? On incrimine aussitôt des militants du parti. Au lendemain des casses, on disait que ceux qui étaient contre le référendum n’étaient pas les militants du Ps. Mais aujourd’hui, ils se contredisent. Je suis d’accord tant qu’ils convoquent les nervis et les personnes qui ne sont pas membres du Bp et qui étaient présentes à la permanence ce jour-là. La Maison du parti est un patrimoine privé qui appartient au parti. Ces jeunes achètent des cartes et cotisent. Donc on ne peut pas parler de destruction de biens appartenant à autrui.

Autrui, c’est nous. Car si les maires et les députés cotisent, les jeunes du parti achètent des cartes de membres. Je me demande même si les nervis recrutés n’avaient pas pour mission de saccager la Maison du parti pour simplement accuser des jeunes. Il y avait bel et bien des nervis que le parti avait recrutés ce jour-là. Même à la dernière réunion du Bp, des gros bras y étaient pour, dit-on, assurer la sécurité. Ce que l’on n’a jamais connu. Depuis du temps de Diouf, une réunion normale n’a jamais nécessité de nervis. Je ne scierai jamais la branche sur laquelle je suis assis. Je suis de Dakar, de surcroît le Secrétaire politique de la région. Nous sommes responsables des jeunes qui sont traqués. Et, en tant que membre du Bp, je ne saurais l’accepter. Néanmoins, je ne quitte pas le parti. Parce que le Bp n’a aucun avantage. En plus de cela, il est en surnombre.

Dès lors que vous avez démissionné du Bp, comment ferez-vous pour participer au débat interne ?

Je ne suis plus intéressé car j’ai ma propre voie. Je n’aspire pas à la  ligne du Bp. Je peux militer dans ma base. Car c’est grâce à elle que j’ai des acquis. Je peux gagner ma base sans le parti. C’est ce que j’ai toujours fait. Je préfère garder mon âme que de perdre des voix comme le disait Khalifa Sall. Actuellement, je reste dans le département de Dakar en tant que Secrétaire politique et je suis à la Médina en tant que responsable du Ps.

La question de la candidature à la prochaine élection présidentielle divise de plus en plus le Ps. Avec d’une part les pro-Khalifa dont vous êtes membre et d’autre part, les pro-Tanor. Peut-on parler de tendance au sein du Ps ?

Quand on est véridique et qu’on tient un discours clair, il ne peut y avoir un problème dans le parti. Mais si pour les beaux yeux du pouvoir, on cherche à tout moment à changer ou à colorer le discours, cela pose problème. Tout le monde sait que les grandes décisions doivent être prises par le Comité central. Ce n’est pas parce qu’on a fait une promesse au Chef de l’Etat que l’on doit forcément l’imposer au niveau du parti. Pourquoi, pour le référendum, on n’a pas convoqué le Comité central pour recueillir son avis ? Et s’il s’agit de la candidature de Khalifa Sall, on nous dit que le parti a des principes et des normes.

A chaque fois que cette question est agitée, on nous dit que la candidature doit venir de la base au sommet. Pourtant, pour le référendum, on avait le temps de procéder de la sorte. En 48h on pouvait convoquer le Comité central. Mais on a voulu faire passer la décision par le Bp qui n’est pas habiliter à prendre une telle décision d’autant plus qu’on ne vote pas dans cette instance. Alors qu’au Comité central, à défaut d’un consensus, on peut voter. Au Bp du 5 mars, Ousmane Tanor Dieng a commencé la réunion en disant qu’il avait déjà donné la position du parti sur le référendum.

Dans ce cas, à quoi bon demander nos avis ? Nous avons voulu lui montrer que le parti ne lui appartenait pas. Il n’a pas de position personnelle dès lors que c’est celle du parti qui compte. Donc pour les prochaines joutes, il a intérêt à écouter d’abord la base. Celle-ci ne doit pas entendre les décisions du parti par la presse. Au dernier Secrétariat exécutif national (SEN) on a contredit Abdoulaye Wilane qui disait que notre décision d’aller avec Benno bokk yaakaar (BBY) aux Législatives était déjà actée. Tanor a finalement décidé de soumettre la question aux 138 coordinations. Je dois dire que c’est pour contourner l’avis du Comité central qu’il pose la question au niveau des coordinations. Mais c’est peine perdue. Puisqu’il doit savoir que les réponses venant des 138 coordinations seront étudiées et validées par le Comité central. 

Que reprochez-vous à Ousmane Tanor Dieng ?

Absolument rien du tout. Tanor est un homme bien. Mais sa démarche me pose problème. Il est pris en otage par une dizaine de personnes qui ne sont mus que leurs propres intérêts. Des gens  qui, pour la plupart, n’ont même plus de base politique. Ces gens-là sacrifient les intérêts du parti pour leurs propres conforts.

Comment le Ps en est-il arrivé à cette situation? Qu’est-ce qui vous dérange dans son alliance avec BBY?

Au lendemain de la création de BBY, j’avais aussitôt dit que je n’étais pas membre de cette coalition. Une coalition doit être organisée alors que BBY ne l’est pas. Il n’a qu’un président en la personne de Macky Sall. Il n’y a pas autre poste. Il n’y a ni vice-président ni secrétaire général. BBY n’a même pas un agenda. On ne s’intéresse à elle que quand il y a un intérêt particulier pour le gouvernement. Tous nos malheurs, nous les maires, nous viennent de cette coalition. Quand Macky Sall a perdu les élections locales, la première mesure qu’il a prise, c’était de revoir les salaires des maires, de 500 000 à 300 000 F CFA. On reçoit moins du 1/5 des fonds de la décentralisation. Par exemple, la commune des Parcelles Assainies qui avait 250 millions perçoit maintenant 50 millions. Pour ma mairie, je reçois 40 millions au lieu des 171 millions qu’on m’allouait.

Il y a également le redéploiement du personnel de la santé qu’on peine à supporter. Nous avons une masse salariale insupportable. Ce qui  empêche beaucoup de maires de faire des réalisations. C’est une stratégie pour que les maires n’aient pas de bilan aux prochaines élections.  Ils ont tout fait pour bloquer l’emprunt obligataire de la ville de Dakar. Ils ont retiré la gestion des ordures à Khalifa Sall. Barthélémy Dias et moi peinons à voir nos projets décoller car l’Etat est en train de nous mettre des bâtons dans les roues. Et on nous dit que nous sommes de la même coalition. Si c’était le cas, on se soutiendrait mutuellement. Mais, même notre propre parti ne nous soutient pas. Il préfère aller avec Macky Sall. BBY est un comité de soutien à Macky Sall mais pas une alliance. Une coalition doit avoir un programme d’activité, un plan d’action, une composition organique et des objectifs. Mais le seul objectif de la coalition est de réélire Macky Sall.

Beaucoup d’observateurs décèlent dans vos prises de positions une volonté d’aller à l’assaut des suffrages des Sénégalais. On vous prête même les ambitions de vouloir transformer ‘’Taxawu Dakar’’ à ‘’Taxawu Sénégal’’ pour participer aux prochaines législatives. Ce schéma est-il envisageable ?

Si cela se produisait, je danserais. Car c’est ce que nous cherchons à faire. Les Sénégalais ne savent pas élire, mais ils savent sanctionner.

Comment comptez-vous aborder les prochaines élections? 

La stratégie et les objectifs des élections présidentielles seront en grande  partie dictés par l’issue des prochaines élections législatives. Pour moi, le futur vainqueur de la présidentielle de 2019 doit forcément avoir une majorité à l’Assemblée nationale. On est en train de voir la composition des listes pour avoir une idée de ces élections.

Si le parti décide d’y aller avec BBY, peut-on s’attendre à des listes parallèles?

Si le parti décide de cela, nous serons obligés d’y aller ensemble. Je ne crois pas à BBY. Mais si le parti, dans sa majorité, accepte cela, par discipline de parti, on est obligé d’y aller.

HABIBATOU TRAORE

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