Publié le 4 Jan 2018 - 16:56
BATAILLE JUDICIAIRE ET AGENDA POLITIQUE

La guerre du temps entre représentants de l’Etat et Khalifa Sall

 

Le public, pressé de voir l’épilogue du feuilleton Khalifa Sall, devra prendre son mal en patience. Au moment où l’Etat accélère la cadence, tenant coûte que coûte à ce que le procès ait lieu, la défense compte jouer sur la montre, en ralentissant la machine judiciaire.

 

Le branle-bas se poursuit. La guerre est totale. Elle oppose les représentants de l’Etat aux défenseurs du maire de Dakar. Une ‘’situation prévisible’’, selon Moussa Tine, allié de Khalifa Sall. Au fur et à mesure que le procès avance, l’antagonisme s’accentue entre les parties. Les stratégies s’affinent. Elles se dévoilent petit à petit. Hier, c’est une partie du voile qui a été enlevée. La défense demande l’audition de dizaines et de dizaines de personnes. Ce qui a le mérite de sortir le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, de ses gonds. ‘’Cela relève du dilatoire. Si on suit la défense dans sa démarche, le procès risque de durer tout au long de l’année.’’

 C'est-à-dire un an, délai qui nous sépare de l’élection présidentielle de février 2019. Et il faut savoir que tant que Khalifa Sall ne fait pas l’objet d’une condamnation définitive, il gardera ses pouvoirs intacts. Et pourra se présenter aux prochaines joutes électorales. Comme aux Législatives. Ce qui fait dire à certains observateurs avertis que c’est la raison pour laquelle ses avocats veulent tempérer la cadence.

Mais ils vont devoir batailler ferme contre les représentants de l’Etat qui souhaitent appuyer sur l’accélérateur, tenant coûte que coûte à ce que le procès ait lieu, le plus rapidement possible. Moussa Tine accuse : ‘’l’Etat, depuis le début du procès, a fait preuve d’une précipitation qui ne se justifie pas. Tout a été organisé dans la précipitation. D’abord la procédure de levée de l’immunité. Ensuite le refus de la caution de Khalifa Sall. Et pour couronner le tout, cette ordonnance de renvoi, alors que la Cour d’appel a été saisie’’. Embouchant la même trompette, Me Doudou Ndoye déclare ne pas non plus comprendre l’attitude des conseils de l’Etat. ‘’Nous avons été surpris, dit-il, que l’Etat, représenté par le procureur, tienne à tout prix à ce que le procès ait lieu aujourd’hui. Nous avons aussi été très surpris que le juge d’instruction, qui a arrêté son instruction au courant du mois de décembre, nous ait fait citer par le procureur pour une audience au mois de décembre’’.

Pour Doudou Ndoye, ‘’cela ne s’est jamais passé dans l’histoire juridique du Sénégal. Un délai aussi court entre la clôture de l’instruction et le jugement. Cela n’a jamais existé’’.

Ceci étant, les avocats, selon toujours la robe noire, ont demandé un délai pour mieux préparer leur défense. Me Borso Pouye, elle aussi avocate de la défense, s’inscrit en faux et précise : ‘’C’est le dossier qui n’est pas en l’état. Il y a des avocats qui n’ont pas reçu d’avis à conseil. En pareil cas, si l’on se conforme à l’article 174 du Code de procédure pénale, on ne peut passer au procès. Car ce sont des formalités obligatoires. C’est pourquoi nous considérons que c’est un renvoi d’office.’’

‘’Khalifa Sall a un agenda politique qu’il veut imposer au tribunal’’

Quoi qu’il en soit, le procureur s’est dit fin prêt. Véhément, il s’est opposé au report de l’audience. Tout au plus, a-t-il requis auprès des juges, que le renvoi soit de 24 heures. ‘’Comme ils disent que le dossier ne leur a pas été communiqué, je peux le faire en 24 heures et que l’on fixe l’audience pour demain. Je peux d’ici là aviser toutes les parties prenantes. Trois semaines, c’est extrêmement long’’, peste-t-il.

Moussa Tine, qui est aussi juriste de formation, informe ‘’qu’on ne saurait tenir ce procès sans entendre les témoins cités par la défense. C’est même là la clé de la vérité’’, estime-t-il, non sans revenir sur les éléments constitutifs du détournement de deniers publics qui suppose l’intention de s’enrichir. Il ajoute : ‘’Nous sommes en mesure de prouver que Khalifa Sall n’a pas utilisé ces fonds à des fins personnelles, mais pour résoudre des problèmes des Sénégalais. C’est pourquoi nous sommes confiants et sereins, contrairement au procureur qui ne veut même pas que l’on appelle au procès les témoins. Tous les membres du gouvernement qui s’agitent dans cette affaire ont bénéficié de la caisse d’avance, sauf le Premier ministre et le ministre de la Justice’’.

A en croire le procureur, le souci est ailleurs. En effet, même s’il ne nie pas la possibilité pour la défense de demander la convocation de tous les témoins, il s’interroge sur l’opportunité. ‘’Avec la longue liste de témoins, surtout qu’ils peuvent l’étendre jusqu’à 1, 2 millions, le procès va tirer en longueur’’. Ce qui fait dire à Me Yérim Thiam que ‘’les avocats de la défense font tout pour que le procès ne puisse pas avoir lieu, afin que nous ne puissions pas aller dans le fond du dossier. Nous estimons que Khalifa Sall a un agenda politique qu’il veut imposer au tribunal. Il refuse d’être jugé sur le fond alors que nous, c’est ce que nous voulons’’. Ce qui est en porte-à-faux avec ce que dit Khassimou Touré. Le frère du prévenu Mbaye Touré considère qu’il est surtout question du ‘’respect des droits de la défense’’. Au nom de ce droit, ils ont demandé un renvoi de deux mois. Le tribunal a coupé la poire en deux. Fixant l’audience au 23 janvier, soit dans trois (3) semaines.

REACTIONS…REACTIONS…REACTIONS…

ME JACKSON NGNIE KAMGA, BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DU CAMEROUN ET AVOCAT DE KHALIFA SALL

‘’Le 23 janvier, ce sera un bon match’’

‘’Il s’agissait de faire observer au tribunal que ce dossier venait pour la deuxième fois seulement et que nous avions le droit de solliciter un renvoi pour mieux préparer la défense des prévenus. Ce à quoi le tribunal a fini par céder bien que sur un moyen qui est dans l’ordre public, parce que tous les avocats constitués dans la cause n’avaient pas reçu leur avis et cela, au vu de la loi sénégalaise, est une formalité substantielle. Je suis pour un renvoi pour pouvoir consulter mon client et l’ensemble de la défense. Les trois semaines que le tribunal propose permet effectivement de se concentrer.’’

‘’Le 23 janvier, je pense que le match va commencer. Ne perdez rien à attendre car ce sera un bon match. Les témoins seront présents, à ceux qui le veulent, pour l’audience du 23 janvier. Nous prendrons les dispositions pour qu’ils viennent. Il ne reste que les témoins qui sont politiques et qui sont des membres du gouvernement. Nous adresserons une lettre au président de la République pour lui demander qu’ils comparaissent et on verra bien qui veut la vérité et qui ne veut pas la vérité.’’

ME KHASSIMOU TOURE, AVOCAT DE LA DEFENSE

‘’Je persiste et je signe, il y aura des surprises dans cette affaire’’

‘’Nous étions prêts aujourd’hui pour défendre ce dossier contrairement à l’opinion des avocats de la partie civile. Nous n’avons pas peur de cette affaire. Nous l’avons visitée mais il n’y a pas le respect des droits de la défense qui est un principe général de droit. Nous remercions le tribunal qui a fait montre d’une patience et d’une sérénité à toute épreuve. Nous prenons acte de sa décision de renvoi et au moment opportun, nous allons plaider le dossier. Nous avons visité notre document. Nous le connaissons et savons ce qu’il contient. Mais le dossier n’est pas en état d’être jugé.’’

‘’Nous, nous ne nous pressons pas. Nous sommes là pour la manifestation de la vérité qui jaillira le 23 janvier prochain. Nous n’avons pas peur d’entrer dans le fond du débat. Un dossier, c’est la forme et le fond. Sur la forme, nous avons des choses à dire et le moment venu, nous soulèverons des exceptions et le tribunal en tirera toutes les conséquences. Je persiste et je signe, il y aura bien des surprises dans cette affaire.’’

‘’Le 23 janvier lorsque l’affaire devra être évoquée, nous prendrons toutes nos dispositions pour quand même essayer de cerner les tenants et les aboutissants de ce dossier. La défense est aussi solide, aussi pertinente et aussi brillante que par le passé et elle montrera ce qu’il a dans la besace, c’est-à-dire une bonne administration de la justice.’’

 ME YERIM THIAM, AVOCAT DE L’ETAT

‘’ Nous sommes prêts parce que toutes les preuves nécessaires pour l’infraction sont réunies’’

‘’L’Etat du Sénégal était prêt à plaider aujourd’hui (hier). Nous estimons que le dossier est en état et qu’il est temps qu’on juge cette affaire. Toutefois, le président du tribunal a estimé devoir régulariser la procédure. Nous sommes prêts parce que toutes les preuves nécessaires pour l’infraction sont réunies.  Il leur (les avocats de la défense) appartient de faire venir les témoins qu’ils veulent. Le texte dit : s’ils ont des témoins, qu’ils les amènent à l’audience. Donc, le 23 janvier, s’ils ont des témoins, ils les amèneront, c’est aussi simple que ça. Le tribunal appréciera pour savoir s’ils sont utiles ou non pour la manifestation de la vérité. S’il (Khalifa Sall) est innocent, il sera déclaré innocent, s’il est coupable, il sera déclaré coupable.’’

‘’Si certains maires, à l’époque, ont profité des fonds de la mairie pour s’enrichir personnellement, ça ne justifie pas que quelqu’un qui a fait campagne, disant qu’il veut mettre de l’ordre dans la mairie, qu’il veut assainir les comptes de la mairie, que celui-là même pille les comptes de la mairie. Cela, on ne peut pas l’accepter.  La défense dit que ce sont des fonds politiques et la seule explication qu’elle a, est que les autres maires avant eux ont utilisé ce fonds comme des fonds personnels. On ne peut dire qu’à l’époque, ils (les anciens maires) ont volé, ils n’ont pas le droit de voler.’’

ME SAMBA BITEYE, AVOCAT DE L’ETAT

‘’Nous et le Code de procédure pénale’’

‘’A l’audience, il y a juste des arguments plaidés par la défense à l’appui de leur demande de renvoi. Les avocats de l’Etat ont soulevé aussi leurs arguments. Chaque aspect de la réponse aux arguments des conseils de la défense a été pédagogiquement lu à haute voix par le président du tribunal. Tous les arguments ont été rejetés. En fait, il a renvoyé au 23 janvier pour assurer et garantir les conditions d’une audience sereine. Ils (les avocats de la défense) s’arcboutent sur le besoin de faire comparaître des témoins.’’

‘’Le juge leur a rappelé que la loi n’autorise pas le tribunal à rendre service à une partie ou une autre. S’ils veulent faire comparaître des témoins, ils les font comparaître à l’audience et à partir de ce moment, ils laisseront au tribunal le soin de décider de la pertinence d’une déposition de témoin ou pas. Il ne s’agit pas de donner un renvoi quelconque pour permettre à des gens de citer quelques témoins. L’argument sur la citation témoin, on en a beaucoup discuté mais c’est le Code de procédure pénale qui nous départage lorsque nous avons des dissensions sur nos arguments respectifs’’.

Propos rassemblés par AWA FAYE & MOR AMAR

AWA FAYE & MOR AMAR

 

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