CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA :
Insécurité alimentaire
La Covid-19, parmi d’autres facteurs de récession économique, nous dévoile à doses homéopathiques, l’ampleur de ses effets pervers, au fur et à mesure que les communautés tentent désespérément de la reléguer aux oubliettes des convulsions sanitaires.
Et, mauvaise nouvelle pour les pouvoirs publics sénégalais : le Sénégal figure parmi les 45 pays en besoin d’aide alimentaire externe, conséquence de l’aggravation des vulnérabilités qu’auront induit les effets de la crise sanitaire liée au coronavirus.
Ainsi, les mesures de soutien aux producteurs en même temps que celles aux petites et moyennes entreprises, au cours de la première vague de contamination, n’aura pas permis de contrer ce qui s’établit aujourd’hui comme une évidence de vulnérabilité économique et de fragilisation sociale.
C’est, en tout cas, ce que stipule un dernier rapport de la FAO qui précise que ‘’les effets de la pandémie de Covid-19, principalement en termes de pertes de revenus, ont exacerbé les vulnérabilités et accru les niveaux d’insécurité alimentaire’’.
Quarante-cinq pays africains, neuf pays d’Asie et d’Amérique latine sont dans cette nacelle que bouscule la menace de bourrasques nouvelles : sous-alimentation, famine, paupérisation aggravée et désespoir.
On aurait pu croire le Sénégal affranchi de ces impondérables, tant s’affichent, ambitieuses, les différentes politiques agricoles qui rythment le fonctionnement économique du pays depuis près de vingt ans, dans un contexte où 60 % de la population active est concernée par le secteur agricole et où d’importants programmes d’amélioration qualitative de la base de production agricole à travers le Plan Sénégal émergent (PSE) dans sa composante Pracas (Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise), ont été mis en route. Sachant que ce programme en l’occurrence, visait à l’autosuffisance en riz, notamment, on peut légitimement se demander sur quelles fondations il reposait pour avoir été aussi facilement inapte à affronter la première crise venue…
Aussi, grâce à d’importantes ressources hydriques et des terres arables conséquentes, le potentiel agricole sénégalais devrait défier toute convulsion, fort de ses filières céréalières et horticoles qui font des envieux dans la sous-région.
Apparemment, tout cela n’aura résisté ni à la crise de la pandémie qui n’a pas encore dit son dernier mot et qui fait peser sur le Sénégal les risques d’une troisième vague, avec de nouveaux taux de contamination stupéfiants et des morts en proportion ; ni aux vicissitudes du climat dont les réchauffements soudains et brutaux compromettent tragiquement les récoltes.
L’Etat se trouve ex abrupto confronté à une course contre la montre : juguler le plus vite possible les risques d’insuffisance alimentaire et renforcer, pendant que la saison s’y prête, le potentiel des producteurs dont les ressources sont au demeurant insuffisantes pour se procurer les élémentaires intrants.
Samedi, le chef de l’Etat, qui a sans doute été mis au parfum du rapport de la FAO et qui, de par ses tournées opérées à l’intérieur du pays, a dû se rendre à l’évidence d’un pays sinistré par la crise, défiguré dans ses confins par la pauvreté de ceux dont c’est le rôle de nourrir les populations, a sorti une nouvelle trouvaille de son chapeau et a indiqué que le pays s’appuiera sur ‘’ses domaines agricoles communautaires’’ (Dac) pour ‘’moderniser, diversifier, rendre davantage productive son agriculture et garantir sa souveraineté alimentaire’’.
Vœu pieux ? Pas tout à fait, puisque c’était à la faveur de l’inauguration d’un domaine agricole communautaire construit sur 5 000 ha pour un investissement de plus de 6 milliards F CFA à Keur Momar Sarr, aux environs de Louga, que le premier des Sénégalais a tenu ces propos.
Une volonté indéniable est donc là, de fortifier les structures de la production agricole sénégalaise et d’atteindre cette autosuffisance alimentaire qui ne devrait plus être fonction de quelque accident endogène ou exogène que ce soit, mais plutôt apte à traverser les chocs les plus rudes sur le temps le plus long.
La Covid nous sert la leçon de tout ce qui peut arriver et fragiliser les hommes, mais aussi les économies et la vie. Elle nous contraint surtout à l’instinct de résilience et d’imagination au cœur d’une nature dont nous avons forcé les désordres en lui imposant les règles malsaines de nos avidités et de nos démesures. C’est confrontés au retour qu’elle nous fait de notre propre ‘’hybris’’ que nous nous trouvons désemparés et que nous rameutons nos réponses artisanales.
Il faut espérer pour notre pays, que les Dac ne soient pas encore une de ces réponses artisanales et cosmétiques dont les politiques ont le génie et qu’ils constituent la véritable panacée dont le Sénégal a besoin pour s’affranchir définitivement de l’aide alimentaire et accéder à la ‘’souveraineté alimentaire’’ que le chef de l’Etat lui-même semble appeler de tous ses vœux.
Pour le moment, l’on en est bien loin et c’est ce que vient nous rappeler le rapport de la FAO dans des termes qui ne flattent pas forcément notre fierté…
Section: