Publié le 28 Dec 2021 - 12:09
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

 Mort d'un Archevêque sans concession

 

Desmund Tutu est mort, et ce n'est pas seulement l'Afrique du Sud qui perd son "Arch", mais toute l'humanité libre ; celle qui refuse toute concession à la moindre injuste, à la moindre exaction, à la moindre oppression.

Le Prix Nobel de la Paix 1984 s'est donc éteint hier, dans la plus grande discrétion, à l'âge de 90 ans, soustrayant à notre regard et à notre affection une figure marquante du siècle dernier, un nom essentiel de l'histoire de l'Afrique du Sud.

Le décès de l'archevêque émérite ne fait pas que remonter à notre mémoire la figure du combattant intrépide, du religieux engagé qui n'échappa à la prison que grâce à son statut ; du militant enthousiaste et fervent qui organisait des marches pacifiques contre la ségrégation et plaidait pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria.

Son départ pour la félicité éternelle ressuscite aussi en nous la mémoire de l'iconoclaste ecclésiaste qui, prenant le risque d'irriter sa propre église, défendait les droits des homosexuels en lançant joyeusement : ‘’Je ne pourrais pas vénérer un dieu homophobe...’’

Sur le terrain des droits humains, il affrontait la Chine en se rangeant du côté du Dalaï-lama, en critiquant sans ambages et sans indulgence les régimes qui se sont succédé dans son pays, y compris celui de son grand ami Nelson Mandela, dont il dénonçait les dignitaires avides et "profiteurs".

Et ces inévitables pas de danse, devenus le long du temps et jusqu'à la caricature, la marque de fabrique de ses engagements sur le terrain de ses luttes ; l'éclat inimitable de ses rires d'anthologie qui scandaient ses philippiques contre les totalitarismes, les exclusions, les violences, la haine et le mépris. Ses convictions étaient fortes comme son courage ; ses combats étaient résolus, mais il les voulait exubérants et joyeux à l'instar de la Grâce. Toute vie n'est-elle pas avant tout une grâce ? Les fêlures qui l'abîment ne viennent-elles pas des transgressions des hommes et de leur inclinaison au mal ?

Ainsi, du régime de  Thabo Mbecky qu'il n'hésita pas à pourfendre quand il prit conscience des dérives de l'ANC et des errements du président dans sa lutte contre le sida notamment,  le "Bishop" eut ces mots terribles, alors qu'il promet de ne plus jamais voter pour l'ANC :  ‘’Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres qui pensent en être aussi.’’

L'archevêque était de toutes les luttes où l'oppresseur, narcissique et arrogant, embastille et tue. En Palestine, au Zimbabwe de Robert Mugabé, entre autres, du côté du Tibet où le Dalaï-lama le tient en son cœur comme "un frère aîné spirituel "...

Il secouait de sa verve les séquoias de tyrannie les plus impressionnants, bouleversait sans complexe les ordres les plus solidement établis. Parce qu'il était précisément l'ordre de la vérité et de la fidélité à ses principes et c'est justement à ce titre qu'il devrait inspirer notre classe politique et les générations qui montent. Fascinées qu'elles sont toutes par les facilités qu'offre une carrière politique, elles en occultent et les dangers et le sacerdoce. Attirées par le lucre, les jouissances expéditives et l'arrogance du pouvoir, elles n'évoquent désormais la vertu qu'avec condescendance.

La mort de Desmund Tutu devrait leur rappeler le sens de l'engagement au service des autres ; la vertu du service, l'honneur du devoir, l'impératif de vérité et de fidélité à soi et à ses valeurs.

Desmond Tutu est né le 7 octobre 1931 à Klerksdorp, petite cité minière au sud-ouest de Johannesburg. Il nous a quittés hier deux mois après avoir fêté ses 90 ans. Il nous laisse le souvenir de ses convictions et de sa tendresse ; celui de son doux regard pénétrant et de ses emportements telluriques contre l'injustice. Il était bon, il était fort. Il aimait les hommes, il craignait Dieu.

Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe, écrit Victor Hugo : ‘’En vain l'oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe, Passe sur leur sépulcre où nous nous inclinons ; Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle, La gloire, aube toujours nouvelle, Fait luire leur mémoire et redore leurs noms ! "...

 ‘’Dieu attend l’archevêque, il va l’accueillir à bras ouverts’’, avait écrit, quant à lui, Nelson Mandela, parti bien avait Desmund...

Puisse-t-il en être ainsi !

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