CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA
Un aéronef pour réarmer la souveraineté ?
Le ‘’timing’’ choisi pour l’acquisition d’un nouvel aéronef présidentiel est incontestablement mauvais. Et il se trouve qu’en politique, les erreurs de ‘’timing’’ confinent vite à la faute. Macky Sall en est encore une fois, à l’apprendre à ses dépens. La curée des critiques exprimées depuis l’annonce par le porte-parole du gouvernement de cette acquisition, témoigne de l’indignation sincère des gens ordinaires qui ne comprennent pas et de celle plus politique de ceux qui se sont attribué, par idéologie, ou par posture, le rôle de critiquer et de conspuer.
Ils n’ont pas tort : alors même que la question de l’emploi, notamment celui des jeunes, nécessite dès maintenant et pour longtemps encore, la mobilisation de plusieurs milliards de nos francs et que les ressources nationales peinent à les réunir ; alors même que la paupérisation des populations , aggravée par une crise sanitaire dont les incidences sur les ménages et la collectivité, a, ici et là, des accents parfois tragiques et constitue un véritable défi pour notre société ; alors aussi et surtout que l’axe 3 du PSE consacre la promotion de la bonne gouvernance et que le gouvernement a paru en faire, ces derniers temps, son credo, c’est vrai que l’achat de cet Airbus A-Néo pour la bagatelle de 57 milliards de nos francs (si tant est que c’est le vrai cout), résonne comme un acte d’indécence politique. Si indécent qu’il en parait obscène et pour l’opposition, trop heureuse d’avoir ce pain béni à grignoter et pour la société civile qui y voit un déni de réalité : la réalité d’un Sénégal qui s’appauvrit et qui accumule aujourd’hui plus gravement qu’hier, les contre-performances économiques.
Les colères de février et mars 2021 ont largement révélé le degré de mécontentement social qu’a généré, en l’espace d’une année de crise sanitaire, une telle récession. Elles ont arraché avec, une rare violence dans ce pays si paisible d’habitude, les pansements qui recouvraient les nécroses d’une société en faillite qui se nourrissait de chimères.
Mais pour se défendre, le gouvernement, par la bouche de Seydou Guèye, son porte-parole, a formulé une réplique qui a du sens : ‘’ Ce n’est pas l’avion de Macky Sall mais bien celui du Président de la république.’’, a-t-il dit. En clair, ce n’est pas l’avion d’un homme mais d’une institution ; et pas n’importe laquelle : la première dans un système démocratique à régime présidentiel.
Les locations répétitives d’avions, au demeurant à fort coût, mettaient à mal et la crédibilité et la respectabilité de cette institution à l’international. Les défaillances de ‘’La Pointe de Sarène’’ posaient quant à elles, à côté des contingences de crédibilité, d’évidentes questions de sécurité. Il fallait y remédier en renouvelant l’aéronef présidentiel qui est, avant tout et au regard des paramètres évoqués plus haut, un attribut majeur de souveraineté.
Reste évidemment l’incontournable question de la transparence de la transaction qui a permis au pays d’acquérir cet avion. Dans la dynamique de renouvellement de la flotte aérienne et navale de l’armée sénégalaise et de la compagnie Air Sénégal, l’Etat a engagé d’importants financements. Suffisant pour que les radars de suspicion nationale se mettent en alerte et y trouvent le foyer de transactions en clair-obscur, de décaissements plus ou moins transparents et d’opérations à forts relents de corruption.
D’autant plus que, pour justifier les non-dits des transactions pour l’acquisition, légitime dans le principe, de cet avion présidentiel, le gouvernement se réfugie derrière le principe du ‘’secret défense’’, ce qui veut peu dire ou rien, dans un tel contexte. Sous tous les cieux, le contribuable sait avec plus ou moins d’exactitude, ce que lui coûtent les moyens de transports de ses dirigeants…
Cinquante-sept milliards, c’est donc le montant plus ou moins officiel de cet appareil de dernière génération flambant neuf qui assurera les déplacements du Chef de l’état sénégalais et qui sera comme une sorte de VRP du prestige sénégalais et de la place qui doit être la sienne en Afrique comme dans le monde. Et cela est un symbole essentiel en ces temps où le pays est à la recherche d’un repositionnement diplomatique sur le continent comme dans le reste du monde.
Les difficultés économiques que connait le Sénégal comme la plupart des pays africains en ce début de lendemains de Covid-19, ne sauraient à elles seules, constituer un frein à la recherche des arguments qui faciliteraient sa remise en selle diplomatique, sa crédibilité et son prestige. Ceux-ci constituent autant de pièces dans le puzzle de l’émergence souhaitée par tous et que les contingences économiques, aussi bien endogènes qu’exogènes, ne facilitent pas. Et c’est la raison pour laquelle l’on peut se laisser aller à penser, que la ‘’faute‘’ de ‘’timing’’ n’est pas tout à fait insoluble, dans ce réarmement de souveraineté qui est le point de départ de toute ambition nationale.
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