Quand enterrer un mort devient un parcours de combattant
Qui perd un être cher à Saint-Louis, notamment dans la langue de Barbarie, éprouve un double chagrin : le deuil et les difficultés pour inhumer, surtout si cela doit se faire au cimetière Thiaaka Ndiaye. Accéder à ce cimetière classé patrimoine mondial est devenu un véritable parcours du combattant
En cet après-midi, devant le cimetière Thiaaka Ndiaye, des pêcheurs débarquent le fruit de leur labeur. À côté, les mareyeurs ont aligné, à qui mieux-mieux, leurs camions frigorifiques. Ils sont venus de l’intérieur du pays et même de la sous-région pour se ravitailler en produits de mer. Pour compléter le tableau, des ménagères venues se ravitailler en poissons et autres condiments, déambulent entre les camions. Tout ce beau monde doit cependant jouer des coudes avec les cortèges funèbres. Leur unique souci est d'avoir de l’argent. Le repos éternel des défunts est le cadet de leurs soucis. Il en est ainsi, depuis des semaines à Thiaaka Ndiaye. Les familles des disparus galèrent pour accéder à l'enceinte du cimetière.
Jeudi, 17 heures. Le cortège funèbre de feu Madické Wade, membre fondateur du PAI, des deux rakkas de Ndar, enseignant et écrivain, s’engage dans la grande avenue de Guet Ndar pour rallier le cimetière. Une longue file de voitures renseigne sur l'aura et la célébrité de l’illustre disparu. Le cortège cherche à accéder au lieu du repos éternel. Mais pêcheurs et transformatrices de produits halieutiques ont obstrué la voie. Une seule solution s'impose : faire appel à la police. Il faut une vingtaine de minutes pour sortir la dépouille de l’ambulance et pénétrer dans le cimetière. Les klaxons et les sermons n'ont aucune prise sur les ''voisins du cimetière'' qui refusent obstinément de céder le passage.
La porte du cimetière et ses alentours sont devenus la ''gare'' de plus d’une centaine de camions frigorifiques. Les gros véhicules prennent position, tôt le matin et, inlassablement, des manœuvres en tenues en lambeaux vont remplir leurs chambres froides en produits halieutiques. Alors que des pirogues quittent le quai, d’autres stationnées sur la berge du fleuve déversent leur chargement. À côté, des femmes à la recherche de poisson scrutent la marchandise. Hommes et femmes sont tendus vers l’appât du gain ou du poisson, c'est selon, sans aucun égard pour les défunts qui reposent à côté. Un pied posé sur le mur, avec en ligne de mire les tombeaux, un homme tacheté de sang de poissons, une cigarette coincée entre les lèvres, comptent des liasses de billets. Au tohu- bohu des vendeurs et acheteurs se mêlent les cris des ''porteurs de caisses''.
Le cimetière des pêcheurs classé patrimoine mondial, n’est presque plus visité. Jadis, cette partie de la langue de Barbarie était propre et illuminée. Aujourd’hui, elle est en proie à l'anarchie. Pire, ce lieu dégage des odeurs nauséabondes. Boulettes de chair en décomposition, excréments de chevaux, et la fumée qui s'échappe des pots d'échappement rendent l'atmosphère irrespirable. ''Ces camionneurs ne s’intéressent qu’à l’argent qu’ils amassent et aux poissons qu’ils achètent à bas prix pour les vendre à l’intérieur du pays. En laissant derrière eux une traînée nauséabonde dans la ville, dénonce Ousmane Mbaye, amer.
Autorités et fils nantis de Saint-Louis pointés d’un doigt accusateur
Face au chaos qui règne au cimetière Thiaaka Ndiaye, les familles des disparus n’ont eu de cesse d’attirer l’attention des autorités. Celles-ci font la sourde oreille. En effet, selon des sources bien informées, chaque camion qui vient s'approvisionner verse 10 000 francs comme droit de stationnement. Et pourtant, un plan de réhabilitation de la berge à été annoncé par la Commune. Le spectacle du cimetière Thiaaka Ndiaye est désolant. Une partie du mur de clôture s’est effondrée. Aucune initiative n’a été prise pour le reconstruire. ''Au moment où des fils de la ville distribuent de l’argent, les murs des cimetières s’affaissent'', fustige Ousmane Mbaye.
Sur la route qui mène vers le quartier de Hydrobase, le voyageur ne peut rester insensible au décor qui s’offre à ses yeux : Les cimetières de Thième et Thiaka Ndiaye ont perdu une grande partie de leurs murs de clôture. Dans celui de Thiaaka Ndiaye, autour des tombes sont hérissés des piquets de bois ou de fer, recouverts de filets de pêche qui, à l'origine, étaient l'unique moyen de protéger les sépultures contre les chacals et les chiens errants. Le même spectacle est constaté au cimetière Marmiyal, dans le faubourg. Et pourtant, ces lieux offrent le repos éternel à des saints, des érudits de l’islam, des figures emblématiques de la ville tricentenaire de Saint-Louis et autres personnes qui ont marqué d'une pierre indélébile la vieille cité, considérée comme une ville de l'excellence, de la teranga et du bon goût.
Les populations doivent constamment veiller à l’entretien et la protection des cimetières. Devant ce supplice, les autorités municipales sont amorphes. Ce que dénoncent les populations qui exigent du maire de la ville et des autorités administratives de trouver des solutions au stationnement des camions frigorifiques le long du cimetière Thiaaka Ndiaye.