Publié le 12 Jun 2025 - 15:38
MOUSTAPHA DIAKHATE

Un franc-tireur sans concession

 

Figure iconoclaste du paysage politique sénégalais, Moustapha Diakhaté ne laisse personne indifférent. Ancien bras droit de Macky Sall, devenu pourfendeur du régime Sonko-Diomaye, il incarne une opposition sans concession, volontaire et provocatrice, souvent isolée, mais toujours audible. Belliqueux avec ses adversaires comme avec ses anciens alliés, cet homme de rupture s’est fait une spécialité : celle de dire tout haut ce que beaucoup murmurent tout bas. Quitte à franchir, parfois, la ligne rouge.

 

C’est un habitué des polémiques, un homme de colère autant que de convictions. Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, fait une nouvelle fois la une de l’actualité politique, pour avoir franchi les lignes rouges de la République, selon les autorités actuelles. Arrêté pour la deuxième fois en moins de six mois, il est placé sous mandat de dépôt, poursuivi pour "offense au chef de l’État" et "offense à une personne exerçant tout ou partie des prérogatives du chef de l’État". Il sera jugé le mercredi 18 juin 2025 devant le tribunal des flagrants délits de Dakar.

En novembre 2024, Moustapha Diakhaté avait déjà été condamné à deux mois de prison, pour avoir traité certains partisans du Pastef de "peuple maudit". Une sortie qui avait déclenché un tollé national, mais qui n’avait pas suffi à modérer la virulence du personnage.

Cette fois, c’est une critique acerbe sur le protocole de la République, mêlée d’insultes contre les institutions, qui l’a conduit de nouveau devant les enquêteurs. En cause, une sortie publique où il dénonce la mise sur un pied d’égalité du président de la République, du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale lors de certains événements officiels. Un protocole qu’il juge irrespectueux de la hiérarchie républicaine, n’hésitant pas à qualifier les responsables politiques de "gougnafiers".

Dans une publication sur Facebook, Moustapha Diakhaté a détaillé les conditions de sa convocation, critiquant la manière cavalière dont il a été appelé à se présenter à la police, avant de clamer, avec emphase, son respect de la légalité républicaine. Mais c’est surtout sa diatribe contre le régime en place qui fait réagir : "Avec l’arrivée au pouvoir de Pastef, le premier parti fasciste africain...", écrit-il, affirmant que le pays vit une politique d’épuration visant à effacer toute opposition.

Comparant Sonko à Hitler, citant Angela Merkel et l’ascension du nazisme, Moustapha Diakhaté déploie une rhétorique brutale, quitte à choquer. Il ne manque pas d’accuser le nouveau régime de vouloir bâillonner toute presse libre et de réduire l’espace public à un monologue partisan. Il est aussi l’un des rares responsables politiques à qualifier les "martyrs" de Pastef de "gens de l’enfer", une déclaration qui lui vaut les foudres constantes des militants du parti au pouvoir.

Car Diakhaté ne fait pas dans la demi-mesure. Même sous le précédent régime, ses relations avec Macky Sall étaient tendues, bien qu’il fût l’un des premiers cadres de l’APR. Très proche de Marième Faye Sall, l’ancienne première dame, il n’a jamais caché son amertume à l’égard de Macky Sall, surtout après son limogeage. Sa trajectoire est celle d’un homme libre, mais souvent seul, y compris dans ses propres rangs.

Fondateur du mouvement Àar Doomi Senegaal/Mouvement pour la République et la démocratie, il a récemment reconnu les réalisations économiques de Macky Sall, tout en condamnant vigoureusement sa gestion de la crise préélectorale et l’amnistie accordée à Ousmane Sonko, qu’il considère comme une trahison des principes républicains.

Moustapha Diakhaté est, en somme, un opposant radical et un solitaire politique, dont la voix dérange autant qu’elle anime le débat public. Ses sorties tonitruantes, même quand elles flirtent avec la provocation outrancière, participent à dessiner les contours d’une opposition qui refuse les compromis et préfère l’affrontement au silence.

Une trajectoire émaillée de ruptures et de provocations

Toujours vêtu d’un boubou traditionnel sobre, assorti parfois d’un bonnet et de lunettes, Moustapha Diakhaté impose par son allure et son verbe. Il s’exprime avec aisance en wolof, maniant la langue avec dextérité, mais aussi avec une certaine virulence. Sa parole est tranchante, directe, parfois déstabilisante. Loin de fuir les polémiques, il les embrasse, quitte à choquer ou à diviser.

Cette posture de provocateur assumé lui a déjà coûté cher. En 2021, il se retrouve au centre d’un tollé, après avoir tenu des propos perçus comme irrévérencieux à l’endroit du Prophète de l’islam. Sous la pression de la communauté musulmane, il finit par faire amende honorable : ‘’Je m’adresse à mes sœurs et frères en islam pour exprimer mes sincères et profonds regrets pour les propos que j’ai malencontreusement tenus au cours d’une émission sur un site internet de la place’’, avait-il déclaré, tentant de désamorcer une colère qui menaçait de se transformer en rejet social définitif.

Mais l’homme politique est coutumier des ruptures. Avant de se lancer dans l’arène politique, Moustapha Diakhaté évoluait dans les sphères technocratiques, en particulier à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), où il était commis au service du crédit. Sa carrière bascule brutalement en 2002, lorsqu’il est licencié pour ‘’faute lourde’’ par le directeur national de l’époque, Seyni Ndiaye.

En cause : une conférence de presse qu’il aurait tenue sur un projet encore en discussion au sein de la banque, ce qui constituait, aux yeux de la direction, une violation grave de ses obligations de réserve. Ce licenciement provoque un mouvement de solidarité syndicale : le Sytbefs (Syndicat des travailleurs de la BCEAO) menace alors de boycotter les caisses et de paralyser l’institution.

Cet épisode marque un tournant : Diakhaté quitte définitivement la technocratie pour se consacrer à la politique et à la critique sociale. Il rejoint le PDS et le quitte plus tard pour accompagner Macky Sall après sa rupture avec Wade. Ce qui le propulsera au rang de député dans la 12e législature.

Cependant, depuis la perte du pouvoir, il est devenu une figure marginale, mais omniprésente, incontournable dans le paysage médiatique et sur les réseaux sociaux.

Ni tout à fait dans le système ni véritablement hors du jeu, Moustapha Diakhaté incarne une opposition viscérale, portée par une conscience politique forgée dans les méandres de l’histoire institutionnelle du pays. Un homme en rupture permanente — avec ses anciens alliés, avec les régimes successifs, mais aussi parfois avec lui-même.

Moustapha Diakhaté restera-t-il une voix discordante dans le concert politique ou parviendra-t-il à transformer sa radicalité en projet alternatif audible ?

En attendant, il continue de jouer son rôle préféré : celui du franc-tireur inclassable, à la fois héritier critique du système et opposant rugueux au pouvoir. Un homme qui, à défaut de rassembler, force le débat et secoue les certitudes, pour le meilleur… ou pour le pire.

Amadou Camara Gueye

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