Instrument politique au service des partis ou vrai organe de contrôle de l'Exécutif ?
L'établissement de la commission d'enquête parlementaire pour faire la lumière sur les agissements du Conseil constitutionnel suscite de vives polémiques, surtout que les précédentes enquêtes étaient marquées par de forts relents politiques.
C’est bien connu qu’en politique, la meilleure façon d’enterrer une affaire, c’est de créer une commission d’enquête, avait déclaré Georges Clemenceau, ancien président du Conseil français. Cette manœuvre a la formidable capacité d’absoudre les pouvoirs publics et de faire diversion pour apaiser la clameur populaire en démontrant une prise en main de la part de la représentation nationale des préoccupations du peuple. Dans son essence primaire, les commissions d'enquête doivent comporter à la fin des suggestions destinées à remédier aux dysfonctionnements constatés.
L’Assemblée nationale, lors de la précédente législature, avait institué des enquêtes, entre autres : information parlementaire sur les inondations, affaire des 94 milliards F CFA impliquant le nouveau directeur de l’Onas Mamour Diallo. Les conclusions de ces deux enquêtes n’ont pas abouti à des réformes majeures dans le domaine des inondations ainsi qu’à l’ouverture d’une enquête judiciaire concernant la seconde affaire. D’autant plus que le rapport final de la commission dirigée par Benno Bokk Yaakaar a ‘’lavé’’ Mamour Diallo, lui aussi membre de la majorité présidentielle qui, au regard des députés, n’a commis aucune infraction.
L'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), qui va se saisir du dossier, ira à contre-courant de cette décision en recommandant au procureur l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de Mamour Diallo.
Cet épisode a fini de décrédibiliser l’institution parlementaire, d’autant plus que l’enquête parlementaire sur les inondations ne lèvera aucun voile sur les 767 milliards F CFA issus du Plan décennal de lutte contre les inondations (2012-2022).
Par essence, les missions d’information sont constituées en vue d’informer l’Assemblée nationale pour lui permettre d’exercer son contrôle sur la politique du gouvernement. Elles peuvent être créées soit par une ou plusieurs commissions, soit par la conférence des présidents. Elles établissent un rapport qui peut donner lieu, en séance publique, à un débat sans vote ou à une séance de questions.
Des enquêtes parlementaires pour calmer la vindicte populaire
De ce fait, aux yeux de l’opinion, les commissions d’enquête parlementaire ne servent qu’à détourner la vindicte populaire avec souvent des conclusions qui finissent dans les tiroirs de l’Assemblée nationale.
En outre, les propositions d’ouverture de commissions d’enquête parlementaire sur la pêche et sur la production électrique, notamment avec l’importation de charbon proposée par Mamadou Lamine Diallo depuis le début de la nouvelle législature, sont toujours restées lettre morte.
Ainsi, les incessants appels de Guy Marius Sagna à l’établissement de commissions d’enquête dans divers autres dossiers affectant la vie quotidienne des Sénégalais n’ont pas fait sourciller cette nouvelle législature.
Les scandales du fonds Force Covid-19, l’affaire Prodac, la crise foncière, l’émigration irrégulière, entre autres, n’ont pas déclenché des enquêtes parlementaires. C’est pourquoi l’accord du bureau de l’Assemblée nationale pour l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire afin de statuer sur l’invalidation de la candidature de Karim Wade en a surpris plus d’un. Les députés du Parti démocratique sénégalais ont indiqué détenir des preuves contre deux membres du Conseil constitutionnel : les juges Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye, accusés de corruption et de collusion avec le candidat de la mouvance présidentielle Amadou Ba, dans le but de faire invalider la candidature de Karim Wade, leader du PDS. Surtout que l’établissement de cette commission parlementaire apparaît comme un moyen de pression politique du PDS pour faire reporter l’élection présidentielle.
La communication des responsables est rapidement passée de la présumée corruption des magistrats à un fort discrédit contre le Conseil constitutionnel, ne laissant aucune suite possible au report du scrutin. Une situation qui a fait sortir de ses gonds Birahime Seck du Forum civil, branche sénégalaise de Transparency International. ‘’Nous avons suivi l’actualité au niveau de l’Assemblée nationale. Cent vingt députés ont pu voter la réquisition permettant de mettre en place une commission d’enquête parlementaire. Il faut impérativement que cette élection puisse se tenir et qu’on cesse de nous parler de report. Il n’y a aucune relation possible à établir entre la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire et le report d’une élection qui doit se tenir le 25 février’’, a-t-il fait savoir.
Ainsi, le Parlement, qui doit être le réceptacle des aspirations du peuple, peine souvent à remplir ses prérogatives en matière d’enquête. Le jeu des partis politiques empêche la pleine expression du pouvoir Législatif face aux pouvoirs Judiciaire et Exécutif.
Pour Me Moussa Sarr, ‘’les commissions d'enquête parlementaire n'aboutissent malheureusement pas à grand-chose. Le Parlement étant inféodé au pouvoir Exécutif, tout le monde sait qu'il n'a aucun pouvoir de parvenir à l'éclatement de la vérité. Si vraiment on veut faire la lumière sur cette affaire, le bon sens commande de faire ouvrir une procédure judiciaire’’, avait-il déclaré en avril 2019.
Mamadou Makhfouse NGOM