Compte et mécompte d’un dialogue de sourds
L’issue des concertations sur le processus électoral augure, d’ores et déjà, le même chaos qui a marqué l’organisation des élections législatives du 30 juillet 2017 que l’opposition considère, jusqu’ici, comme une non-élection.
L’histoire bégaye. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’élection présidentielle du 24 février 2019 est partie pour calquer sur le chaos des législatives du 30 juillet 2017 dernier. La mésentente des différentes parties prenantes des concertations sur le processus électoral qui ont pris fin tout récemment, constitue un lit de contestations qui peuvent compromettre la sincérité et la transparence des prochaines joutes électorales de 2019.
Toutefois, le contexte dans lequel ont eu lieu ces concertations avec l’opposition dite significative conduite par le Parti démocratique sénégalais (Pds), qui a tout simplement opté pour la politique de la chaise vide, présageait déjà une situation difficile. Selon le secrétaire exécutif de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte), Djibril Gningue, ces concertations se sont tenues dans des conditions particulièrement difficiles caractérisées par un contexte post-électoral marqué par la méfiance et la suspicion de certains acteurs politiques vis-à-vis de l’administration électorale et du pouvoir, à la suite des élections législatives qui ont enregistré des défaillances et des dysfonctionnements notoires, d'une part, et, d’autre part, la non prise en compte des prérequis indispensables qui devaient permettre de faire face à cette situation afin de mobiliser toutes les chances de succès. D’ailleurs, relève-t-il, c’est ce qui explique l’implication de la société civile dans ces concertations.
‘’Dans ces conditions, il nous a paru plus judicieux, d'abord, de regrouper toute la société civile autour du Cosce (Collectif des organisations de la société civile pour les élections du Sénégal) et de la Pacte au sein d'une seule plateforme face aux acteurs politiques et, ensuite, de participer à ces concertations. Mais, dans une posture d'observateur qui nous a permis, non seulement d'apporter un avis éclairé, mais également de faire la médiation entre les parties sur les questions en discussion, objet de divergences, chaque fois que nous avons été sollicités en vue de contribuer au bon déroulement des travaux’’, confie M. Gningue.
Le spectre des législatives
Sous l’ère Macky Sall, les élections se suivent et se ressemblent. Elles sont souvent sujettes à de vives contestations de la part de l’opposition sénégalaise. Si, en 2014, on trouve peu à dire sur l’organisation du scrutin par les services du ministère de l’Intérieur, c’est tout à fait le contraire, en 2017, avec les élections législatives qui ont été parmi les plus contestées de l’histoire politique du pays. Cette situation de chaos, qui a émaillé le scrutin législatif, était pourtant prévisible, dès le départ, avec les multiples couacs notés dans la délivrance et la distribution des cartes d’identité nationale doublée de cartes d’électeur, mais aussi avec les divergences enregistrées lors des travaux de revue du Code électoral.
Cette même situation de chaos se dessine, aujourd’hui. En attendant l’arbitrage du président de la République voulu par les dispositions du Code électoral, en cas de mésentente, le Cadre de concertation sur le processus électoral est en train de rédiger son rapport qu’il doit remettre au ministre de l’Intérieur qui, à son tour, doit le soumettre à Macky Sall qui appréciera les différentes positions avant de prendre des décisions définitives. Celles-ci, qu’elles n’arrangent ou pas, engageront tous les acteurs du jeu politique, quoi qu’il advienne.
Veto de la majorité sur le bulletin unique
En effet, si les différentes parties prenantes à ces concertations sont tombées d’accord sur la nécessité d’auditer le fichier électoral, surtout après les élections chaotiques du 30 juillet dernier et sur la baisse de la caution (accord de principe), elles n’ont pas pu accorder leurs violons sur plusieurs questions.
‘’Sur la rationalisation des partis politiques et des candidatures, ces questions nous ont retardés pendant des semaines, parce que d’aucuns considéraient que c’est une manière d’empêcher des candidatures de se faire. Au niveau de la majorité, nous considérions que la question du parrainage n’est pas nouvelle. Elle est régie par le Code électoral et est réservé aux indépendants. Mais, dans la pratique, nous étions tous d’accord que cette loi était constamment violée, du fait que certains partis politiques prêtaient leur récépissé à des indépendants. Quand une loi est mal appliquée ou son application pose problème, il faut avoir le courage de la revoir et nous avions proposé qu’elle soit étendue à toutes les formes de candidatures’’, confie Benoit Sambou. Avant de nuancer : ‘’Même si nous ne sommes pas d’accord sur les termes, nous sommes d’accord sur les principes. Donc, pour moi, c’est très positif.’’
Rupture de confiance entre les acteurs
S’agissant de la question relative à l’adoption du bulletin unique voulue par l’opposition et les non-alignés, la majorité a opposé son veto. ‘’Après différentes propositions, nous considérons qu’on n’est pas encore prêt, au Sénégal, d’aller vers le bulletin unique. Il n’est pas prouvé que cela puisse faire avancer la démocratie ou faciliter le vote des électeurs. Si on doit l’appliquer à tous les types d’élections, cela poserait problème’’, explique le plénipotentiaire de la majorité.
Cependant, la question qui a le plus cristallisé les débats, c’est l’organisation des élections par une personnalité neutre. Une proposition de l’opposition et des non-alignés, mais qui est complètement rejetée par la mouvance présidentielle qui ne veut pas en entendre parler. ‘’La majorité considère qu’on peut avoir des élections transparentes sans avoir besoin de nommer une personnalité dite indépendante à la tête du ministère de l’Intérieur. Même si certains considèrent qu’on ne peut plus voler des élections au Sénégal, il n’y a pas de confiance entre les acteurs politiques. Ce qui pourrait installer une certaine confiance, c’est la nomination d’une personne neutre en charge de l’organisation des élections’’, estime Ndiawar Paye, mandataire du Cadre de l’opposition pour la régularité, la clarté et la transparence des élections (Corecte).
Cinq points d’achoppement divisent les acteurs
Des témoignages recueillis auprès des différents plénipotentiaires des parties prenantes des concertations, il ressort qu’au moins cinq points d’achoppement divisent les acteurs. Il s’agit de la rationalisation des candidatures avec le parrainage proposée par la majorité présidentielle et rejetée par l’opposition et le pôle des non-alignés, la rationalisation des partis politiques, la désignation du chef de l’opposition, le financement des partis politiques et sur le bulletin unique.
Ces points d’achoppement, avertit Djibril Gningue, s’ils sont laissés en l’état, pourraient constituer le lit d’une contestation à l’issue de la présidentielle de 2019 dont personne ne peut prévoir les conséquences sur la stabilité du pays.
Quoi qu’il en soit, fulmine le coordonnateur du pôle des non-alignés, Déthié Faye, ‘’si le gouvernement va dans le sens de la forte recommandation qui est faite à cet effet, il est clair qu’on va avoir un climat apaisé. Au cas contraire, le combat va se poursuivre et, peut-être, nous irons vers des situations plus difficiles que dans le passé’’.
Mais pour le plénipotentiaire de l’Alliance pour la République, le dernier mot revient désormais au président de la République. ‘’C’est à lui, de manière souveraine, de voir quelles suites réserver aux différentes propositions. Pour moi, il n’y a pas de points d’achoppement majeurs. Nous sommes d’accord sur les principes, notamment sur la rationalisation des candidatures, la rationalisation des partis politiques, la caution et l’audit du fichier. C’est cela le plus important’’, estime Benoit Sambou. Qui, au moment où beaucoup d’observateurs pointent un ‘’échec total’’ de ces concertations, relativise. Mieux, le chargé des élections de l’Apr estime même que ces concertations sont une réussite, dès lors que le processus a été mené jusqu’à son terme, sans qu’aucune partie ne boude les travaux.
‘’Globalement, nous sortons satisfaits de ces concertations, même s’il y avait des difficultés. Toujours est-il qu’il est normal que, quand des partis politiques se retrouvent autour de questions aussi importantes que l’organisation des élections, qu’il puisse y avoir des divergences. Mais le plus important, c’est que nous soyons allés au bout du processus et que chacun ait pu donner sa position’’, soutient le mandataire du parti au pouvoir.
Le plénipotentiaire des partis d’opposition regroupés dans le Corecte parle, plutôt, d’un bilan mitigé. ‘’Si on fait le bilan de ces concertations, on se rend compte que ce n’est pas un échec, comme le disent certains. Mais le bilan est mitigé. Si on a un très bon fichier et une bonne organisation des élections, il n’y a pas de raison qu’il y ait des contestations à l’issue des prochaines élections’’, déclare Ndiawar Paye.
Réécriture de la limitation du mandat présidentiel
Au cours des débats, le plénipotentiaire du Corecte et ses camarades disent avoir refusé et obtenu que la Cena ne préside pas les travaux. ‘’C’était une première victoire’’, s’exclame-t-il. La deuxième victoire, selon lui, c’est l’audit du fichier qui ne l’a pas été depuis 2011. ‘’Puisque nous sortons d’élections législatives très catastrophiques et très mal organisées, le premier combat que nous avons voulu porter, c’est donc l’audit du fichier qui a démarré depuis le 15 janvier, avec la participation d’experts internationaux.
C’est un acquis de taille qui valait le déplacement. Nous sommes également tombés d’accord sur le financement des partis politiques. Il reste maintenant à définir les modalités ; une commission sera mise en place à cet effet’’, se glorifie-t-il. Tout en ajoutant : ‘’Nous avons également demandé la réécriture des dispositions afférentes à la limitation du mandat du président de la République qui fait l’objet de différentes interprétations. Cette disposition sera réécrite de manière très claire et très précise pour dire que le mandat actuel fait partie du décompte. Les différentes parties ont également convenu de revoir les dispositions régissant la Cena et le Cnra. Une commission de discussion sera, à cet effet, mise en place’’, confie-t-il dans la foulée.
Ce qui amène Benoit Sambou à soutenir que, globalement, les concertations se sont passées dans de très bonnes conditions. ‘’Avec les trois pôles, opposition, majorité et non-alignés, on a discuté de questions relatives à l’audit du fichier, à l’organisation des prochaines élections, à la rationalisation des partis politiques. Sur l’audit, on a trouvé des consensus forts sur les termes de référence et il est en train de se dérouler. Cela contribuera à rassurer les différentes parties sur la fiabilité du fichier’’, tente-t-il de calmer.
ASSANE MBAYE