Macky reconnaît la priorité de travailler pour l’autosuffisance alimentaire
Le président de la République s’est prononcé, hier, dans la presse française, sur la tension internationale autour de l’intervention russe en Ukraine. Ceci, pour rappeler la nécessité pour les pays africains de maîtriser leur consommation dans un monde globalisé.
Développer les infrastructures d’un pays, c’est bien. Développer son économie l’est encore plus. Si les deux vont de pair, dans la gestion des autorités sénégalaises, la première option semble avoir pris le pas sur la seconde. Ce, malgré le changement de régime lors des 20 dernières années.
Pourtant, deux chocs économiques mondiaux ont démontré la nécessité pour un pays comme le Sénégal de parvenir à prendre son économie en main, surtout sur le plan alimentaire : la crise économique de 2008 et plus récemment la pandémie de coronavirus. Alors que le monde, en particulier le Sénégal, continue à subir l’impact de cette dernière crise, la guerre en Ukraine vient menacer directement les capacités alimentaires des pays les moins résilients aux chocs exogènes. Cette situation remet au-devant de la scène l’impératif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Le premier à le reconnaître n’est autre que le président de la République Macky Sall.
Dans un entretien accordé au quotidien français ‘’L'Humanité’’ publié hier, le chef de l’Etat explique l’incertitude et les tensions qui habitent un monde déjà sous pression depuis deux ans, avec les effets de la pandémie de coronavirus sur l’économie, que la guerre en Ukraine menace de tout bord. ‘’Devant tant d’incertitudes et de facteurs aggravants d’une crise qui s’ajoute à une autre, on ne peut rien exclure a priori. C’est pourquoi il faut tout faire pour arrêter au plus vite ce conflit et s’asseoir autour de la table pour trouver une issue négociée à la crise. La guerre, c’est la faillite de l’humanité’’, assure le président Macky Sall.
Une réplique des émeutes de 2008 n’est pas à écarter
Ce dernier répond à une préoccupation sur un risque de revoir des émeutes de la faim comme en a connu l’Afrique en 2007 et en 2008. Le Sénégal n’en avait pas été épargné. Pendant ces deux années-là, une importante et rapide augmentation des prix de différents produits, en particulier des denrées de grande consommation et les produits énergétiques (gaz, électricité, essence) a été notée. Les ménages sénégalais ont eu le choc de voir les prix de différents produits augmenter de 30 à 40 % en quelques semaines.
Des marches des marchands ambulants à Dakar et de protestation contre la vie chère organisée par des syndicats (novembre 2007) à la marche organisée à Guédiawaye par les imams et chefs de quartier pour protester contre les surfacturations de la Senelec (décembre 2008), en passant par l’appel du mouvement Front Siggil Senegaal (26 avril 2008), plusieurs émeutes ont secoué le pays, aboutissant à la chute du président de la République Abdoulaye Wade en 2012.
De telles heures difficiles ne sont plus à exclure dans les mois à venir. Avec les répercussions des conséquences du conflit entre Russes et Ukrainiens sur l’économie mondiale et africaine, ‘’Naturellement, ce sont les économies les plus faibles, de surcroît dépourvues de mécanismes de résilience conséquents, qui subiront le plus durement les effets économiques et sociaux de la guerre’’, se désole le président de la République.
Un fatalisme qui suit déjà le discours du président de la République française Emmanuel Macron qui affirmait, la semaine dernière, lors du Sommet de Versailles sur les conséquences de cette guerre pour l’Europe, que certains pays africains risquent de connaître des zones de famine. Près des deux tiers du blé que consomme l’Afrique proviennent d’Ukraine (8,3 %) et de la Russie (22 %) avec laquelle les échanges pourraient se compliquer dans un contexte de lourdes sanctions occidentales contre Moscou.
Ceci a déjà un impact sur les cours de marchés internationaux particulièrement volatiles et peu réputés pour leur rationalité. Et la flambée des prix des hydrocarbures a déjà provoqué une forte inflation sur les produits de première nécessité.
Comme Macron, Macky voit venir des lendemains compliqués
Le gouvernement du Sénégal a déjà lancé une panoplie de mesures dont une campagne d’homologation des prix des denrées de grande consommation. Des ajustements budgétaires permettent d’absorber les chocs de l’inflation sur le marché international. Mais jusqu’à quand ces actions seront suffisantes ? Car la solution a été reconnue par le président Macky Sall, lorsqu’il affirme : ‘’Cette situation, comme du reste celle née de la pandémie, nous rappelle la nécessité de gagner au plus vite la bataille de notre souveraineté alimentaire, en investissant massivement dans l’agriculture et la transformation de nos produits agricoles. C’est une des priorités essentielles du Sénégal avec le Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré (Pap2A) que nous avons adopté en septembre 2020 pour nous préparer à la relance économique post-Covid. Le secteur agricole y occupe une place de premier choix. Ce qui justifie la hausse du budget consacré à la campagne agricole, qui passe à 70 milliards de francs CFA cette année, contre 60 milliards l’année dernière.’’
Estimé pour la période 2019-2023 à 14 712 milliards F CFA, le coût global du Pap2A a connu une augmentation de 614 milliards (4 %) par rapport au Pap2 initial. Le secteur primaire y est prévu pour 1 195,2 milliards de F CFA, correspondant à 9,9 % du coût de la stratégie. Pour ce qui est de l’agriculture, représentant 8,4 % du Pap2A, les principaux programmes sont : le Projet d’appui au programme national d’autosuffisance en riz (Pnar), le Programme national de l’horticulture et le Projet de valorisation des eaux pour le développement des chaînes de valeur (Provale/CV).
L’autosuffisance en riz, principal céréale que consomment les Sénégalais, est l’objet de nombreux plans, ces 20 dernières années. En 2008, l’ancien président de la République Abdoulaye Wade avait lancé la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) sans enregistrer de gros succès, avant son départ en 2012. La production de riz blanc n’excédait pas alors les 400 000 t, soit moins du tiers des besoins. Son successeur, Macky Sall, a maintenu l’objectif. Et s’il a mis la priorité sur le riz, promettant de ‘’couvrir intégralement, à l’horizon 2017, la demande nationale en riz blanc de bonne qualité, estimée à 1,08 million de tonnes, soit 1,6 million de tonnes de paddy’’, il a reculé l’objectif à l’année 2019... sans parvenir à l’atteindre.
L’autosuffisance, un objectif jusqu’ici illusoire
Pourtant, le Sénégal possède deux grands fleuves (Sénégal et Casamance) avec des vallées qui abritent la production locale de riz. Mais la gouvernance de la production de riz fait défaut depuis toujours. L’aménagement des terres, l’accès au crédit des producteurs, l’écoulement de la production sont encore mal organisés. Entre 2012 et 2019, le nord du Sénégal a enregistré 20 000 ha plantés supplémentaires (pour atteindre 73 000 ha), selon la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal (Saed). Mais ces champs ne produisent pas les 600 000 t prévues dans le plan, parce que la double culture n’y est pas encore effective. Avec des semis qui doivent se faire entre février et mars, mais qui se poursuivent certaines années jusqu’en avril, la récolte de la première campagne annuelle se fait trop tardivement et affecte la seconde campagne d’hivernage.
A cela s’ajoutent les annonces politiques de plans non-préparés et sans études de faisabilité par les services administratifs concernés. La plupart des plans lancés dans le domaine agricole ont été appliqués par un organigramme vieillissant, rompu aux politiques d’austérité liées au plan d’ajustement structurel imposé par des organismes internationaux.
Bien plus simple à atteindre que l’autosuffisance en riz, le Programme d’appui à l’autosuffisance en moutons Tabaski (Pronam) n’est toujours pas une réalité.
Bien que les infrastructures connaissent un développement remarqué ces dernières années au Sénégal, deux chocs exogènes ont fini de rappeler au gouvernement que les priorités sont peut-être ailleurs.
Lamine Diouf